Par un arrêt attendu du 11 septembre 2019, la Cour de cassation a étendu le préjudice d’anxiété aux salariés exposés à des produits toxiques, ne limitant plus la reconnaissance d’un tel préjudice aux seuls salariés exposés à l’amiante. D’autres substances peuvent désormais ouvrir droit au préjudice d’anxiété. Cet élargissement du périmètre de la réparation du préjudice d’anxiété n’est toutefois pas sans limite puisque l’employeur peut s’exonérer de sa responsabilité en justifiant avoir pris les mesures de prévention nécessaires en vertu de son obligation de sécurité.
Elargissement jurisprudentiel progressif du périmètre de réparation du préjudice d’anxiété…
La réparation du préjudice d’anxiété, qui correspond au droit d’obtenir réparation d’un préjudice tenant à l’inquiétude permanente générée par le risque de déclarer à tout moment une maladie liée à l’amiante, n’a été pendant longtemps admise que dans des cas très limités.
Dans un premier temps, la Cour de cassation ne l’a en effet admise que pour les salariés bénéficiaires ou susceptibles de bénéficier de la préretraite amiante (« ACAATA ») instaurée par l’article 41 de la loi 98-1194 du 23 décembre 1998. La réparation du préjudice d’anxiété était ainsi réservée aux seuls salariés exerçant des métiers spécifiques dans certains établissements exposés à l’amiante dont la liste est fixée par un arrêté ministériel du 7 juillet 2000.
Dans un second temps, la Cour de cassation a toutefois opéré un revirement de jurisprudence – non des moindres – en permettant à tout salarié justifiant d’une exposition à l’amiante dans le cadre de son activité professionnelle, générant un risque élevé de développer une pathologie grave, d’agir en réparation de son préjudice d’anxiété contre son employeur en vertu de l’obligation de sécurité même si ces salariés ne répondaient pas aux conditions d’octroi mentionnées ci-dessus (Cass., soc., Ass. Plén. 5 avril 2019 – n°18-17.442). De la sorte, la Cour de cassation admettait que la réparation du préjudice d’anxiété ne soit plus limitée aux seuls salariés des établissements classés amiante.
Une fois « lézardée », la position adoptée jusqu’alors en matière de réparation du préjudice d’anxiété ne pouvait qu’ouvrir la voie à l’admission de nouveaux cas de réparation sur le fondement des règles du droit commun.
C’est ainsi que la Chambre sociale de la Cour de cassation a considéré, à peine quelques mois plus tard, dans son arrêt du 11 septembre 2019, que tout salarié en mesure de justifier (i) une exposition à une substance nocive ou toxique générant un risque élevé de développer une pathologie grave et (ii) un préjudice d’anxiété personnellement subi résultant d’une telle exposition peut agir contre leur employeur au titre du manquement de ce dernier à son obligation de sécurité (Cass., soc., 11 septembre 2019 – n°17-24.879).
Tout salarié ayant été exposé à une substance nocive – qu’il s’agisse d’amiante, de produits cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction (autrement appelés « agents chimiques CRM ») ou encore de produits pouvant générer des maladies graves engageant potentiellement le pronostic vital) – se voit donc désormais placé sur un même pied d’égalité en matière de réparation du préjudice d’anxiété.
Si l’élargissement du périmètre de réparation du préjudice d’anxiété est indiscutable et va indéniablement conduire à l’introduction de nouvelles actions judiciaires, il ne s’agit toutefois aucunement d’une boite de pandore ; l’engagement de la responsabilité de l’employeur étant soumis à de strictes conditions.
… sous réserve toutefois de l’exonération de sa responsabilité par l’employeur
Tout en affirmant l’élargissement du périmètre de représentation du préjudice d’anxiété, l’arrêt du 11 septembre 2019 ne manque pas de rappeler le principe, posé en 2015 (Cass. soc., 25 novembre 2015 n°14-24.444), selon lequel l’employeur peut être exonéré de sa responsabilité de manquement à l’obligation de sécurité s’il justifie avoir pris les mesures de préventions nécessaires pour protéger la santé des travailleurs, telles que prévues aux articles L. 4121 et L. 4121-2 du Code du travail.
Par conséquent, même si un lien étroit existe entre la reconnaissance du préjudice d’anxiété et la démonstration de l’existence d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, la réparation du préjudice d’anxiété n’est pas automatique !
Le rôle des juges du fond sera donc, encore plus que jamais, essentiel pour apprécier in concreto :
- L’existence, la preuve et l’étendue de l’exposition réelle du salarié à un risque personnellement subi
- Ainsi que la pertinence des mesures de prévention mises en œuvre par l’employeur pour (i) assurer la sécurité et (ii) protéger la santé physique et mentale des travailleurs
En effet, si les juges considèrent souverainement que l’employeur a mis en place les mesures de prévention nécessaires face à un risque avéré pour la santé de ses salariés, aucun manquement à l’obligation de sécurité pour l’entreprise ne pourra de facto être caractérisé. De la sorte, la Cour de cassation s’éloigne de la logique d’une obligation de sécurité de résultat pour retenir celle d’une obligation de moyens.
Quoi qu’il en soit, malgré l’incontestable apport de l’arrêt du 11 septembre 2019, certaines interrogations demeurent dans la mesure où la Cour de cassation reste silencieuse sur la définition du préjudice d’anxiété et sur la preuve pesant sur les salariés exposés. En effet, que doit-on entendre exactement par substances toxiques ou nocives générant un risque élevé de développer une maladie grave ? Comment le salarié concerné prouvera-t-il l’existence d’un risque élevé pour lui de développer une pathologie grave ? Devra-il justifier d’une durée minimale d’exposition ?
Autant de questions qui restent actuellement en suspens et auxquelles les prochaines décisions jurisprudentielles devront répondre, ou du moins, pour lesquelles il serait particulièrement souhaitable d’obtenir un éclairage.