Dès mai 2021, lors du dépôt de leur liasse fiscale, les entreprises françaises vont devoir mettre en pratique les dispositions issues de la Directive ATAD 2, alors qu’il reste beaucoup d’incertitudes sur leur mise en œuvre. Visant à lutter contre les dispositifs dits « hybrides », ces mesures anti-abus peuvent avoir un impact conséquent sur la détermination du résultat fiscal des sociétés membres d’un groupe international et vont particulièrement toucher le secteur financier, compte tenu des flux de financement intra-groupe et de leurs activités.
Ces nouvelles règles introduites par les articles 205 B, C et D du Code général des impôts (CGI) remplacent l’ancien dispositif de l’article 212-I, b du CGI qui refusait la déductibilité des charges financières versées à une entreprise liée si les produits correspondants n’étaient pas soumis à une imposition minimale chez l’entreprise créancière. Désormais, les entreprises doivent s’assurer que leurs flux internationaux ne comportent pas un élément « d’hybridité », c’est-à-dire une asymétrie fiscale résultant de la divergence de qualification d’un paiement, voire d’un instrument ou d’une entité ou de la divergence de l’attribution d’un paiement par deux ou plusieurs Etats conduisant, notamment, à une situation de non-imposition ou de double déduction.
Bref rappel des règles
Les nouvelles dispositions du CGI visent plus précisément 12 cas (7 cas généraux et 5 cas spécifiques) pour lesquels l’asymétrie fiscale doit être corrigée aux fins d’imposition. Sans entrer dans les détails de chaque cas, il est possible d’identifier des critères communs.
Les dispositifs hybrides visent tout paiement international…
Si l’ancien dispositif ne concernait que les paiements d’intérêts à une entreprise française ou étrangère, les dispositions issues de la Directive ATAD 2 s’appliquent à tout paiement international : elles visent non seulement les paiements transfrontaliers d’intérêts, mais également ceux de dividendes, de redevances, ou encore à titre d’exemple les abandons de créances.
…entre entreprises associées ou entre un siège et son établissement…
Sauf en cas de dispositif dit « structuré »1 (pour lequel cette condition n’est pas nécessaire pour l’application des règles anti-hybrides), seuls les paiements à une « entreprise associée » peuvent constituer un dispositif hybride.
Cette notion, large et spécifique au nouveau texte, recouvre tous les cas où il existe entre un contribuable et une entreprise un lien de détention directe ou indirecte d’au minimum 50 % (réduit à 25 % dans certaines situations)2, ou lorsqu’une entreprise fait partie du même groupe consolidé que le contribuable, ou encore dès lors qu’il existe une influence « notable » exercée par ou sur le contribuable.
Les paiements entre un siège et son établissement, ou entre plusieurs établissements d’une même entité sont également dans le champ de ces nouvelles dispositions.
… impliquant une divergence d’analyse entre deux ou plusieurs Etats…
Les dispositifs hybrides naissent d’une divergence d’appréciation d’une même situation par deux ou plusieurs Etats (e.g. qualification différente d’un même paiement voire d’un instrument ou d’une même entité par deux Etats ou divergence d’attribution d’un même paiement entre les Etats).
En revanche, à la différence de l’ancien dispositif anti-hybride visé à l’article 212-I b du CGI, le cas de la faible ou non-taxation du bénéficiaire du fait de l’application d’un taux d’impôt sur les sociétés réduit ou nul dans son pays de résidence n’est par exemple pas capturé par le dispositif.
… conduisant à une asymétrie dans le traitement fiscal
L’asymétrie correspond à l’application d’un traitement fiscal différent d’un même paiement. Deux situations se distinguent : soit l’asymétrie nait de la déduction d’une charge pour le débiteur, sans inclusion corrélative du revenu dans le résultat imposable du bénéficiaire ; soit d’une double déduction effectuée au titre du même paiement par deux entités.
Les cas intéressant particulièrement le secteur financier
Les paiements réalisés au titre d’un instrument financier hybride
Ce dispositif hybride vise les situations où un paiement effectué au titre d’un instrument financier serait déductible dans l’Etat de résidence du débiteur, sans être inclus dans les revenus imposables dans l’Etat de résidence du bénéficiaire. Cette « hybridité » doit résulter d’une asymétrie liée à la qualification fiscale de l’instrument ou du paiement lui-même.
Cette définition peut recouvrir des situations très variées ; le cas le plus classique étant le versement de sommes considérées comme des intérêts (déductibles) dans l’Etat du débiteur, et comme des dividendes (non imposables) dans l’Etat du bénéficiaire. Cela ne concerne pas uniquement les profit participating loans (PPL) mais peut concerner également des abandons de créance, des prêts in-fine, ou des renégociations de contrats…. Une analyse au cas par cas est donc nécessaire.
Les paiements impliquant un établissement stable
Pour les entreprises du secteur financier, la problématique peut par exemple se poser dans le cas d’un financement accordé par une succursale d’une société française située dans un pays non européen. Dans ce cas, il peut exister des cas de non-imposition des intérêts, en France et au niveau de la succursale. Il convient alors de déterminer si cette non-imposition provient d’un régime fiscal particulier existant dans le pays d’implantation de la succursale (dans ce cas les dispositions ATAD 2 ne s’appliqueraient pas) ou d’une divergence de vue entre les deux pays sur l’attribution des intérêts entre l’Etat du siège et l’Etat de la succursale (auquel cas les dispositions ATAD 2 trouveraient à s’appliquer).
Les paiements impliquant une entité hybride
La question de « l’hybridité » se pose en particulier pour les fonds. Pour les fonds français la question de la transparence est centrale.
Les règles de fonctionnement des fonds français ne permettent pas une appréhension automatique des revenus par les porteurs de parts : soit parce que le fonds est constitué sous la forme d’une société (e.g. SICAV), soit parce que même pour un fonds contractuel, comme un FCP, les porteurs de parts ne peuvent appréhender les revenus que sur décision de la société de gestion. Dans cette situation, la plupart des acteurs du secteur considèrent que les fonds français ne sont donc pas transparents, ce qui devrait réduire le risque « d’hybridité ».
Par ailleurs, les organismes de placement collectif (« OPC ») sont exclus de la qualification d’« entité hybride inversée » par la Directive3. Si le texte français prévoit également une exclusion des OPC à participation large (Article 205 C, al.2 du CGI), il conviendrait idéalement que l’administration fiscale confirme cette exclusion des fonds de manière plus générale afin d’éviter de créer des divergences d’interprétation entre les pays, et par la même de générer une trop grande incertitude pour les investisseurs.
Les mesures devant être mises en place par les entreprises françaises
Plus d’un an après la transposition d’Atad 2 en droit français, l’administration n’a toujours pas publié ses commentaires sur ce nouveau dispositif, même sous forme de projet soumis à consultation publique. Face à des zones d’ombre persistantes sur l’interprétation et l’application de certaines dispositions, des précisions sur la position française seraient pourtant les bienvenues, et ce d’autant plus que les contribuables devront procéder aux corrections subséquentes pour neutraliser les éventuelles asymétries fiscales constatées sur leurs flux dès le dépôt de leur liasse en mai 2021.
En attendant, il est indispensable pour les entreprises ayant une activité internationale de procéder dès à présent à une analyse précise de leurs opérations. La réalisation, par exemple, d’une cartographie détaillée, listant les différents flux entrants et sortants, peut constituer un outil efficace pour relever les situations comportant une trace d’« hybridité » (le cas échéant). En tout état de cause, il conviendra pour ces entreprises de constituer une documentation qui pourra être présentée en cas de vérification de comptabilité.
1 : Dispositif hybride « dont les termes intègrent la valorisation de l’effet d’asymétrie ou un dispositif qui a été conçu en vue de générer les mêmes conséquences qu’un dispositif hybride »
2 : L’action conjointe avec une autre personne doit par ailleurs être prise en considération pour l’appréciation de ces seuils de 50% et 25% (voir article 205 B I, 16 du CGI). Cette notion d’action conjointe n’est pas sans susciter certaines difficultés d’interprétation dans le cas des fonds d’investissement.
3 : Par exception, les mesures relatives aux hybrides inversés ne rentrent en vigueur qu’à compter de janvier 2022