Dans un arrêt du 26 janvier 2024, la Cour d’appel administrative de Marseille donne une illustration d’un cas de taxation à la TVA d’une société civile réalisant des cessions immobilières (CAA de Marseille n°22MA01817, 2e chambre, 26 janvier 2024, inédit au recueil Lebon).
La difficile question de la qualité d’assujettie en matière de cessions immobilières par une société civile n’exerçant pas d’activité économique par ailleurs
D’un point de vue TVA, les cessions de terrains à bâtir n’entrent dans le champ d’application de la TVA que lorsqu’elles sont réalisées par des assujettis agissant en tant que tel (Art. 256, I du CGI et 257, I-2i1° du CGI).
Dans le cas d’une société qui n’est pas assujettie à la TVA au titre d’une autre activité, il convient donc de rechercher si les cessions en cause caractérisent une activité économique pour les besoins de la TVA.
En effet, sont considérées comme assujetties à la TVA, les personnes qui effectuent de manière indépendante une activité de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales ou assimilées. À cet égard, est notamment considérée comme activité économique une opération comportant l’exploitation d’un bien meuble corporel ou incorporel en vue d’en retirer des recettes ayant un caractère de permanence (Art. 256 A du CGI).
En matière de cessions immobilières, l’administration fiscale a apporté des précisions concernant la notion d’assujetti et notamment concernant le statut TVA des personnes non assujetties à la TVA réalisant des cessions d’immeubles (BOI-TVA-IMM-10-10-10-10-20120912, points 40 et suivants).
Distinction entre investisseur agissant à titre privé et investisseur professionnel
L’Administration opère une première distinction concernant la nature de l’investisseur.
- Dans le cas d’une activité exercée par un investisseur agissant à titre privé (simple exercice du droit de propriété) l’activité est considérée hors du champ matériel de la TVA.
- En revanche, si l’activité est exercée par un investisseur professionnel, ce dernier réalisant des opérations « dans le cadre d’un objectif d’entreprise ou dans un but commercial », l’activité économique entre alors dans le champ de la TVA.
Caractérisation de l’activité économique
En application de la jurisprudence communautaire, certains éléments sont considérés comme insuffisants, en eux-mêmes, pour caractériser une activité économique.
Tels est, en principe, le cas des éléments suivants :
- Lotissement parcellaire du terrain, préalablement à la cession, pour en tirer un meilleur prix global
- Nombre de parcelles vendues
- Durée sur laquelle s’étalent les opérations
- Importance des recettes qui en sont tirées au regard de ses autres ressources
En revanche, une démarche active de commercialisation foncière du cédant, caractérisée par l’acquisition de biens en dehors d’une pure démarche patrimoniale ou par la mobilisation de moyens le plaçant en concurrence avec les professionnels, permet de caractériser l’activité économique.
L’administration fiscale donne un exemple de ce qui peut être regardé comme une démarche active de commercialisation et un exemple de ce qui ne l’est pas.
- Exemple de démarche active : le fait d’engager des moyens propres, tels que l’ouverture d’un bureau de vente ou des commissions garanties versées à un agent mandaté.
- Exemple de démarche patrimoniale : le fait de confier la vente d’un terrain à un notaire ou une agence, rémunérés uniquement par une commission payable par l’acquéreur.
Le Conseil d’État a, quant à lui, eu l’occasion de préciser que la livraison, par une personne physique, de terrains à bâtir était soumise à la TVA lorsqu’elle procédait, non de la simple gestion d’un patrimoine privé, mais de démarches actives de commercialisation foncière.
Ont été regardées par ce dernier comme constituant de telles démarches :
- La réalisation de travaux de viabilisation ou la mise en œuvre de moyens de commercialisation de type professionnel, similaires à celles déployées par un producteur, un commerçant ou un prestataire de services ;
- Les démarches entreprises dans le cadre d’une opération d’aménagement d’un terrain à bâtir, d’une ampleur telle qu’elles ne sauraient relever de la simple gestion d’un patrimoine privé.
- Conseil d’État n°432596, 8e – 3e chambres réunies, 9 juin 2020, mentionné dans les tables du recueil Lebon
- Conseil d’État n°459206, 9e – 10e chambres réunies, 9 décembre 2022, mentionné dans les tables du recueil Lebon
La méthode du faisceau d’indices
L’administration fiscale invite, par ailleurs, à utiliser la méthode du faisceau d’indices utilisée pour la requalification de cessions réputées privées en opérations de marchands de biens, en précisant que « là où les critères d’importance et d’habitude ne suffisent pas à caractériser une activité économique, il est possible de considérer celle-ci comme bien établie lorsqu’en outre le cédant se trouve engager des dépenses d’aménagement significatives, et a fortiori lorsque ces dernières sont prépondérantes dans la valeur des cessions réalisées ».
Une nouvelle illustration de cette difficulté en défaveur du cédant
Le cas qui était soumis à la CAA de Marseille est une illustration de la difficulté que suscite cette notion d’assujetti à la TVA lorsqu’une société civile réalise des opérations de cessions de terrains.
Au cas particulier, une société civile immobilière et forestière constituée en mars 1960, avait acquis, le lendemain de sa constitution, une propriété rurale avec maison d’habitation et dépendances de 615 hectares.
Cette société avait pour objet statutaire l’acquisition de cette propriété et sa mise en valeur par son aménagement, en partie sous le régime forestier et en partie par division en lots de terrain.
L’acte d’acquisition précisait que la partie du terrain non soumise au régime forestier était destiné à la construction d’un ensemble de 150 maisons individuelles.
En novembre de la même année, un arrêté autorisant un lotissement sur le terrain avait été délivré.
Après lotissement, la société avait procédé à la cession des lots selon le calendrier suivant.
- Entre 1960 et 1982 : cession de la majorité des lots
- Entre 2001 et 2007 : cession d’autres lots
- En 2016 :
- cession du dernier lot à bâtir d’une surface de 42 hectares pour un montant de 1,575 millions d’euros ;
- cession d’une parcelle non constructible de 2 hectares pour un montant de 225 000 euros.
Le litige au cas particulier portait sur la cession du lot à bâtir intervenue en 2016, laquelle a été regardée comme devant être soumise à la TVA par l’administration fiscale.
La Cour a confirmé la position de l’administration fiscale au motif que la société devait être regardée comme ayant exercé à titre habituel, au titre de la période en litige, une opération immobilière procédant d’une intention spéculative, la rendant ainsi passible de la TVA.
Pour ce faire, la Cour s’est fondée sur les éléments suivants :
- L’intention spéculative de la société dès l’acquisition de la propriété, caractérisée par :
- L’objet statutaire de la société
- La précision portée dans l’acte d’acquisition quant à la destination de cette propriété
- La brièveté de délai entre l’acquisition de la propriété et le lancement des opérations de division du terrain en 150 lots
- Le caractère habituel de cette activité, caractérisé par :
- Le nombre d’opération de ventes intervenues depuis 1960
- La fréquence de ces ventes
En revanche, n’ont pas été regardés comme étant pertinents par la Cour :
- L’écoulement d’un délai de 9 ans entre les cessions intervenues en 2007 et celle intervenue en 2016
- L’absence de concrétisation du projet de construction de 150 maisons individuelles
- Les difficultés financières de la société ayant motivé les deux ventes de 2016
Cette affaire met donc en lumière, si besoin était, de l’attention qui doit être portée au régime de TVA appliqué aux opérations de cessions immobilières réalisées par des sociétés civiles.