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Modification du code du commerce : quels sont les points clés de la réforme des procédures collectives ?

Prévue par la loi PACTE, l’ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021 publiée le 16 septembre, ainsi que son décret d’application (n°2021-1218 du 23 septembre 2021) publié le 24 septembre, entreront en vigueur, pour l’essentiel, le 1er octobre 2021. Cette ultime réforme qui vise à transposer la directive « restructuration et insolvabilité » ne bouleverse pas entièrement le droit positif des difficultés des entreprises, mais marque néanmoins un changement de paradigme en la matière.

Evolution de l’ordonnance : vers un changement de paradigme

Le point de départ de l’ordonnance réformant le code de commerce dans ses dispositions relatives aux entreprises en difficulté est à trouver dans la volonté d’harmoniser le droit des Etats membres en matière de restructuration et d’insolvabilité des entreprises.

Le chemin est long, indiscutablement chaotique, partant du règlement 1346/2000 qui se bornait à déterminer la juridiction compétente pour ouvrir et piloter une procédure d’insolvabilité transfrontalière, jusqu’à l’actuelle directive 2019/1023 transposée par l’ordonnance du 15 septembre 2021.

Le droit européen poursuit ainsi désormais un objectif d’harmonisation des législations nationales, préfigurant ainsi de la prochaine étape, qui viserait l’unification des procédures d’insolvabilité au sein du marché unique.

Une telle volonté de renforcement de l’harmonisation du droit des affaires est déjà à l’œuvre entre la France et l’Allemagne, lesquelles, avec le traité de coopération d’Aix-la-Chapelle du 22 janvier 2019, se sont engagées à coordonner leurs transpositions respectives du droit issues des directives de l’Union européenne.

Envisager par la suite une unification des règles européennes, justifiée par la nécessité de « contribuer à améliorer la libre circulation des capitaux, conforter la liberté d’établissement et renforcer le bon fonctionnement du marché intérieur », suppose donc au préalable de rapprocher les législations nationales.

C’est ici que l’ordonnance peut être lue comme posant les bases d’un progressif glissement de paradigme dans le droit français des procédures collectives.

Les droits de l’insolvabilité relèvent de cultures différentes et de comportements propres aux différents Etats membres (culture économique, sociologie, etc.). Le Rapport de présentation de l’ordonnance adoptée, remis au Président de la République, insiste sur la recherche d’un « objectif général d’équilibre » entre les « intérêts des créanciers et ceux des débiteurs et des garants ».

Sans doute, l’actuelle ordonnance ne dénature-t-elle pas l’économie générale du droit de l’insolvabilité français, lequel place toujours en tête des priorités la sauvegarde de l’entreprise créatrice d’emplois. D’autres systèmes juridiques, au sein de l’Union, mettent la priorité sur la protection des droits des créanciers, motif pris que la disponibilité d’un financement suppose de rassurer les bailleurs de fond, quitte à sacrifier quelque peu la survie des entreprises, de toutes les façons défaillantes. Il serait toutefois excessif, aujourd’hui, de dénoncer le caractère pro-débiteur du droit français au risque, souvent caricaturalement mis en avant, d’échauder les créanciers/bailleurs de fonds.

Il n’en demeure pas moins que la priorité accordée au maintien de l’activité, marqueur de l’approche française, est écornée avec certaines des nouvelles solutions de l’ordonnance du 15 septembre 2021.

Il est notamment mis en avant que l’efficacité des procédures préventives, attribuée à la précocité d’une intervention qui est posée en principe par la directive, exige une « meilleure prise en compte des droits des créanciers et des garants ». Cela apparait de manière sensible avec les nouvelles dispositions d’articulation entre le droit des sûretés et le droit des difficultés des entreprises, tous deux réformés à la même date.

L’apparition d’un critère nouveau, celui dit « du meilleur intérêt des créanciers » issu directement du « best interest test » de tradition anglo américaine, va en ce sens également.

Enfin, la consécration du privilège de post-money, introduit par le droit d’adaptation à la crise sanitaire, participe de cette même philosophie qui consiste à renforcer les droits des apporteurs de fonds, afin de garantir la disponibilité des sources de financement.

Il y a donc, en filigrane, une évolution qui semble préparer à un changement de philosophie, vers une priorité plus importante donnée aux créanciers, au détriment de l’objectif premier de sauvegarde de l’entreprise et donc de ses emplois. En ce domaine aussi, on observe une prise de distance avec un « quoi qu’il en coûte ».

Mais il ne s’agit, à ce stade, que de prémisses, de balbutiements d’un nouveau paradigme, et l’ordonnance s’attèle encore à maintenir l’approche française.

A cet égard, les nouvelles dispositions intègrent dans le code de commerce toute une série de mesures visant à mieux coordonner le droit de l’insolvabilité avec le nouveau droit des sûretés, auquel une autre ordonnance, publiée le même jour, donne naissance.

Initialement cet objectif de coordination « droit des procédures collectives/droit des sûretés » devait faire l’objet d’un texte à part ; c’est ainsi que furent soumis à consultation public deux documents, l’un visant les mesures de transposition de la directive, l’autre les mesures de coordination entre les deux droits.  Il a finalement été décidé, par mesure de simplicité, de rassembler l’ensemble (coordination entre les deux droits et modification des procédures collectives) en une seule ordonnance que nous commentons aujourd’hui.

L’ordonnance qui a été publiée, dans un délai d’habilitation prorogée de quatre mois par rapport à l’habilitation initiale, réussi donc le tour de force de maintenir l’architecture générale du droit français du traitement des difficultés des entreprises tout en semant les graines d’une transformation à terme de ces principes fondateurs.

Le triple objectif poursuivi par l’exécutif « de simplification du droit des sûretés », « de renforcement de l’efficacité du droit des entreprises en difficultés » et « de préservation de l’équilibre entre les intérêts en présence », s’observe à l’examen des quatre points clefs à retenir de l’actuelle réforme ; points que nous développerons dans une série d’analyses à suivre.

Ces nouvelles dispositions, qui entrent en vigueur le 1er octobre prochain, sous réserves de quelques mesures dont l’entrée en vigueur est décalée dans le temps, ne s’appliquent toutefois pas aux procédures (judiciaires) en cours au 17 septembre. 
Pour vous aider à mieux appréhender cette réforme, nous vous proposons une série d’articles analysant ces 4 axes.

1. L’instauration de « classes de parties affectées» et la prise en compte du principe du « meilleur intérêt des créanciers »

L’instauration de classes de créanciers, dites « classes de parties affectées », remplace désormais les comités de créanciers.

Contrairement à ces derniers dont la composition dépendait de la qualité des créanciers (sociétés de financement et établissements de crédit d’une part, principaux fournisseurs de biens ou de services d’autre part et enfin créanciers obligataires), les classes seront composées sur un critère de « communauté d’intérêt économique », faisant notamment référence aux niveaux de risque des créanciers.

La mise en place de classes de parties affectées sera imposée aux procédures collectives ouvertes à compter du 1er octobre 2021 dans plusieurs situations spécifiques, dont l’ouverture d’une sauvegarde accélérée ou le dépassement par la société en difficulté de certains seuils devant encore être fixés par décret (nombre de salariés et montant du chiffre d’affaires ou montant net du chiffre d’affaires de la société).

Dans le respect des critères énoncés au nouvel article L.626-30 du code de commerce, il incombera à l’administrateur judiciaire de soumettre aux parties affectées les modalités de répartition en classes et de calcul de leurs voix et / ou droits de vote respectifs.

S’agissant de l’adoption du plan (de cession ou de redressement), la réforme intègre également un dispositif d’application forcée interclasse permettant désormais au tribunal, sous certaines conditions, d’imposer le plan à des classes de parties affectées réfractaires (cross class cram-down).

En l’état, en réservant au juge de larges pouvoirs, le système français qui ne donne pas encore au créancier une place prééminente sur le devenir de l’entreprise, semble bien préservé.

Toutefois, on voit apparaitre des forces contraires aux termes de cette ordonnance : : emblématique à cet égard est le nouveau principe de « meilleur intérêt des créanciers » permettant aux classes les mieux garanties de faire imposer par le tribunal leur solution aux autres créanciers.

2. La pérennisation du privilège de post money au-delà de la crise sanitaire

Le privilège de « post money », instauré parmi les mesures de soutien aux entreprises durant la crise sanitaire par l’ordonnance n° 2020-596 du 20 mai 2020, est désormais introduit dans le code de commerce et se trouve ainsi pérennisé.

Ce dispositif est analogue au privilège de new money très usité au cours des procédures de conciliation (article L.611-11 du code de commerce). Le privilège de post money » encourage le financement des entreprises en difficulté en sauvegarde ou en redressement judiciaire en octroyant un rang préférentiel aux créanciers qui consentent un nouvel apport en trésorerie pendant la période d’observation en vue d’assurer la poursuite de l’activité pour la durée de la procédure ou dans le cadre de l’exécution du plan.

3. L’articulation avec le droit des sûretés.

Le droit des sûretés fut modernisé en 2006. Il fait à nouveau l’objet d’une réforme, d’ensemble cette fois-ci, incluant donc toutes les sûretés personnelles en plus des seules sûretés réelles, par une ordonnance du 15 septembre publié le 16, en même temps que la réforme du droit des procédures collectives.

La recherche d’une plus grande efficacité supposait tout particulièrement d’améliorer la coordination entre ces deux droits. Il était en effet dénoncé par la doctrine et la pratique, depuis longtemps, trop de zones de friction entre ces deux droits spéciaux alors que les difficultés des entreprises soulèvent systématiquement des aspects de garantie.

L’ordonnance procédure collective prend donc le soin d’améliorer l’articulation des dispositions du droit des sûretés avec celles des procédures collectives aux fins de simplification et d’amélioration du droit des créanciers (et des garants).

C’était l’un des objectifs de la réforme prévue par la loi PACTE, laquelle devait « simplifier, clarifier et moderniser les règles relatives aux sûretés et aux créanciers titulaires de sûretés dans le Livre VI du code de commerce, en particulier dans les différentes procédures collectives,

4. Un renforcement de la prévention, une promotion de l’anticipation

La directive « Restructuration et Insolvabilité » actait de la nécessité pour les pays membres de disposer de procédures de restructuration préventives efficaces.

Le droit français, notamment depuis la réforme de 2005 qui s’appuyait sur un usage bien plus ancien des praticiens, propose des outils efficaces permettant d’identifier et de traiter en amont les difficultés rencontrées par un débiteur afin d’en faciliter la résolution.

L’ordonnance poursuit dans la même direction et prévoit un certain nombre de mécanismes visant notamment à accélérer le processus de communication d’information au Président du Tribunal de Commerce ou à favoriser l’intervention du commissaire aux comptes du débiteur, en amont de toute procédure, mais également à renforcer l’attractivité des procédures de conciliation et de sauvegarde, ouvertes à l’initiative du débiteur.

 

 

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