La CJUE vient d’être saisie d’une question préjudicielle par la CAA de Versailles pour savoir si le fait que les produits de participation reçus de filiales non-résidentes sont exclus de la neutralisation de la quote-part de frais et charges instaurée dans le cadre de l’intégration fiscale, est compatible avec la liberté d’établissement. Des arguments sérieux militent pour que les sociétés françaises concernées préservent leurs intérêts et demandent dès à présent le remboursement des sommes qu’elles ont ainsi réintégrées à leurs résultats imposables ces dernières années.
On sait que les produits de participation reçus par une société du groupe intégré en provenance d’une autre société du groupe intégré, ouvrent droit, lorsqu’ils sont éligibles au régime mère-fille, à une neutralisation de la quote-part de frais et charges de 5 % afférente à ces produits, sauf s’il s’agit de distributions versées par une société intégrée au cours de son premier exercice d’intégration (CGI, art. 223 B, al. 2).
Pour tenir compte de la jurisprudence {Papillon} (CJCE, 27 novembre 2008, aff. C-418/07), ce mécanisme de neutralisation a été étendu aux dividendes versés par une société intermédiaire, sise dans un Etat membre de l’UE ou de l’EEE, pour autant qu’ils proviennent d’une distribution faite par une sous-filiale intégrée à la société intermédiaire (CGI, art. 223 B, al. 2).
En revanche, en sont exclus les dividendes directement versés à une société du groupe par une filiale étrangère, le régime de l’intégration fiscale étant réservé aux seules sociétés établies en France.
Une société française, tête d’un groupe intégré, a vainement demandé à bénéficier de la restitution de la quote-part de frais et charges afférente aux dividendes perçus par une filiale intégrée qui les avait elle-même perçus de ses propres filiales sises dans d’autres Pays de l’Union européenne, et qui, si elles avaient été situées en France, auraient rempli toutes les conditions pour rejoindre le groupe.
Elle a par conséquent demandé aux juridictions françaises de saisir la CJUE d’une question préjudicielle portant sur la conformité à la liberté d’établissement de l’exclusion du mécanisme de neutralisation des dividendes versés par des sous-filiales sises dans un autre Etat membre.
Rappelons que la CJUE a, à plusieurs reprises, été amenée à se prononcer sur l’euro-conformité de certains aspects des régimes de groupe au sein de l’Union européenne. Dans le cadre de sa décision Papillon précitée, elle a jugé qu’était incompatible avec le droit européen la législation française antérieure à la 3e LFR 2009, en ce qu’elle s’opposait à ce que puissent rejoindre le groupe des sous-filiales résidentes détenues par l’intermédiaire d’une filiale résidente d’un autre Etat membre.
Puis, dans un arrêt X Holding, la Cour a jugé que le refus de permettre à des sociétés non-résidentes de rejoindre l’entité fiscale formée par des sociétés néerlandaises constituait certes une restriction à la liberté d’établissement (point n°19), justifiée toutefois au regard de la nécessité de préserver la répartition du pouvoir d’imposition entre les Etats membres (point n°33). La Cour a en effet considéré que dès lors que le périmètre de l’entité fiscale pouvait être librement modifié par la société mère, admettre la possibilité d’y inclure une filiale non-résidente aurait pour conséquence de permettre à la société mère de choisir librement l’Etat membre où elle fait valoir les pertes de cette filiale.
Dans l’affaire qui nous occupe, la société requérante se réfère précisément à l’arrêt X Holding, arguant que sa portée est limitée à la consolidation des résultats des sociétés étrangères avec ceux des sociétés résidentes, et que la Cour n’a pas tranché la question de la conformité au droit communautaire des autres avantages réservés aux sociétés membres d’un groupe fiscal.
Ce point nous semble pouvoir être discuté. En effet, si la Cour centre son raisonnement sur la consolidation des bénéfices et des pertes des sociétés intégrées, elle précise à titre liminaire qu’il ne s’agit que de l’un des avantages du régime (point 18 « la possibilité (…) d’être soumises à un régime d’intégration fiscale, est constitutive d’un avantage pour les sociétés concernées. Ce régime permet, notamment, de consolider au niveau de la société mère les bénéfices et les pertes des sociétés intégrées et de conserver aux transactions effectuées au sein du groupe un caractère fiscalement neutre »). Et c’est finalement l’exclusion des sociétés non-résidentes du régime de l’unité fiscale dans sa globalité qu’elle valide.
La société requérante fait également valoir que l’avantage tiré de la neutralisation de la quote-part de frais et charges n’est pas inhérent au régime de groupe lui-même, l’élimination de la double-imposition découlant de l’application du régime mère-fille. Par ailleurs, contrairement aux autres neutralisations opérées au sein de l’intégration fiscale, la neutralisation de la quote-part de frais et charges concerne une opération unilatérale.
Cela étant, la CJUE semble désormais faire preuve de plus de sévérité s’agissant des avantages réservés par les Etats membres aux seules sociétés résidentes dans le cadre de leurs régimes de groupes. Ainsi a-t-elle récemment jugé que l’impossibilité de constituer une « entité fiscale unique » entre des sociétés sœurs néerlandaises détenues par une mère établie dans un autre Etat membre et ne disposant pas aux Pays-Bas d’établissement stable était contraire à la liberté d’établissement (CJUE, 12 juin 2014, aff. C-39/13, C-40/13 et C-41/13). On observera toutefois que la Cour ne s’était pas expressément prononcée sur la nature de l’interrogation soulevée par l’Allemagne, qui demandait dans le chef de quelle société devrait alors se faire la consolidation.
Dans l’attente de la décision de la CJUE, pour préserver leur droit à restitution sur les années antérieures, les groupes concernés ont intérêt à présenter dès à présent des réclamations contentieuses. En effet, s’ils attendent la décision de la CJUE, la période répétible portera sur les seules impositions mises en recouvrement ou payées dans les deux années précédant leur demande.