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Exit taxes, la réponse de la CJUE : l’interdiction des exit taxes sur les transferts d’actifs de sociétés

Exit taxes, la réponse de la CJUE : l’interdiction des exit taxes sur les transferts d’actifs de sociétés

Depuis la présentation par la Commission européenne de sa Communication de décembre 2006 : « Imposition à la sortie et nécessité de coordonner les politiques fiscales des États membres », nous avons abordé à plusieurs reprises la question des exit taxes sur ce blog. La Cour vient maintenant dans une réponse à une question préjudicielle de confirmer les positions prises par la Commission européenne depuis 2006, à savoir que sa jurisprudence en matière d’exit tax visant l’imposition des personnes physiques est parfaitement transposable à la fiscalité des sociétés, ce faisant elle énonce un principe de portée générale qui concerne l’ensemble des plus-values latentes afférentes à des éléments de patrimoine. La conséquence est claire : un Etat membre peut établir le montant de l’impôt mais il ne peut en exiger le paiement immédiat avant réalisation effective de la plus-value. Une coordination des dispositions fiscales des Etats membres est indispensable.

La Résolution adoptée par le Conseil en 2008 n’ayant porté que sur l’évitement de la double imposition lorsqu’un Etat membre applique une exit tax à des transferts d’actifs, la Commission européenne a engagé des procédures d’infraction à l’encontre des Etats membres qui en dépit des décisions de la CJUE ont maintenu des exit taxes en matière d’imposition des sociétés (voir article de Morgan Vail, « Vers une plus grande fluidité des transferts de sièges dans l’UE ? Les cas irlandais, belge, portugais, danois, néerlandais et espagnol » ; article de Romain Grau et Morgan Vail, « Peut-on librement transférer des actifs en Europe depuis la France ? » ; article de Romain Grau et Morgan Vail, « L’imposition à la sortie, un sujet toujours en voie de règlement dans les Etats membres de l’UE », Revue de Droit Fiscal 17 décembre 2009, n°51, étude, pp. 24 à 26 ; et article de Morgan Vail, « Des taxes à la sortie dans un marché unique ?! »). Nul ne sera donc surpris d’apprendre que la CJUE vient de confirmer la position de la Commission dans une réponse à une demande de décision préjudicielle (affaire C-371/10 du 29 novembre 2011 introduite par le Gerechtshof Amsterdam dans la procédure National Grid Indus BV) au sujet de l’imposition des plus-values latentes afférentes aux actifs de ladite société à l’occasion du transfert du siège de direction effective de celle-ci au Royaume-Uni. La société National Grid Indus avait jusqu’au 15 décembre 2000 son siège de direction effective aux Pays-Bas. Titulaire d’une créance en livres sterling sur National Grid Company plc établie au Royaume-Uni, elle a enregistré un gain de change non réalisé sur cette créance. Après le transfert de son siège de direction effective vers le Royaume-Uni au 15 décembre 2000, en vertu de la convention entre les deux pays, National Grid Indus ne disposant plus d’établissement stable aux Pays-Bas, le droit d’imposer le bénéfice et les gains en capital est revenu, après ledit transfert exclusivement au Royaume-Uni. Toutefois, l’inspecteur néerlandais, sur la base du décompte final des plus-values latentes existant au moment du transfert du siège a décidé que le gain de change devait être imposé aux Pays-Bas. Suite au recours formé par la société et après confirmation de cette imposition par le rechtbank Haarlem, le Gerechtshof Amsterdam saisi d’un appel a adressé les questions préjudicielles suivantes à la CJUE :

  1. Si un État membre impose, en raison du transfert du siège de direction effective, le décompte final d’une société constituée selon le droit de cet État membre et qui transfère son siège de direction effective de cet État membre dans un autre État membre, cette société peut-elle invoquer, dans l’état actuel du droit communautaire, l’article 43 CE (devenu article 49 TFUE) contre cet État membre?
  2. S’il est répondu par l’affirmative à la première question, une imposition du décompte final telle que celle en cause, qui impose les plus-values afférentes aux éléments de patrimoine de la société transférés de l’État membre d’origine vers l’État membre d’accueil, telles qu’elles existaient au moment du transfert du siège, sans report et sans qu’il soit possible de tenir compte des moins-values ultérieures, est-elle contraire à l’article 43 CE (devenu article 49 TFUE), en ce sens qu’une telle imposition du décompte final ne peut pas être justifiée par la nécessité de répartir les pouvoirs d’imposition entre les États membres?
  3. La réponse à la question précédente dépend-elle, notamment, de la circonstance que l’imposition du décompte final en cause concerne un gain (de change) généré dans le cadre de la compétence fiscale néerlandaise, tandis que ce gain ne peut pas être exprimé dans le pays d’accueil selon le régime fiscal qui y est en vigueur ?

Après un raisonnement fondé sur la séquence des décisions intervenues en ce qui concerne le transfert de siège, la Cour conclut « … qu’une société constituée selon le droit d’un État membre, qui transfère son siège de direction effective dans un autre État membre, sans que ce transfert de siège affecte sa qualité de société du premier État membre, peut se prévaloir de l’article 49 TFUE aux fins de mettre en cause la légalité d’une imposition mise à sa charge, par le premier État membre, à l’occasion dudit transfert de siège ».

Par conséquent, les garanties du traité en matière de liberté d’établissement sont d’application et on retrouve là la première étape du raisonnement conduit par la Commission dans sa Communication de décembre 2006.

S’agissant des réponses aux deux autres questions, la Cour ayant rappelé l’interdiction des obstacles à la liberté d’établissement, s’appuie, ainsi que la Commission l’avait anticipé, sur sa jurisprudence précédente (affaires « Lasteyrie du Saillant » et « N ») pour conclure que la mesure en cause constitue bien une restriction en principe interdite par les dispositions relatives à la liberté d’établissement, quand bien même celle-ci ne concernait que l’imposition des personnes physiques : « le transfert du siège de direction effective d’une société de droit néerlandais dans un autre État membre entraîne l’imposition immédiate des plus-values latentes afférentes aux actifs transférés alors que de telles plus-values ne sont pas imposées lorsqu’une telle société transfère son siège à l’intérieur du territoire néerlandais. Les plus-values afférentes aux actifs d’une société procédant à un transfert de siège à l’intérieur de l’État membre concerné ne seront imposées que lorsqu’elles auront été effectivement réalisées et dans la mesure où elles l’auront été. Cette différence de traitement en ce qui concerne l’imposition des plus-values est de nature à décourager une société de droit néerlandais de procéder au transfert de son siège dans un autre État membre (voir, en ce sens, arrêts précités de Lasteyrie du Saillant, point 46, et N, point 35) ».

S’agissant ensuite de savoir si cette restriction peut être justifiée, la Cour rejette l’argument de National Grid et confirme qu’un Etat membre est en droit d’imposer la valeur économique générée par une plus-value latente sur son territoire même si la plus-value concernée n’y a pas encore été réalisée. En revanche, pour traiter de la proportionnalité de la mesure, la Cour introduit une distinction entre l’établissement de l’impôt et le recouvrement de celui-ci !

Pour ce qui concerne l’établissement du montant de l’impôt, la Cour conclut que le fait que, aux fins de sauvegarder l’exercice de ses compétences fiscales, l’Etat membre d’origine fixe l’impôt de manière définitive au moment où la société en raison du transfert de son siège de direction effective dans un autre Etat membre cesse de percevoir des bénéfices imposables dans l’Etat membre d’origine n’est pas disproportionné. En revanche, suivant en cela le raisonnement de la Commission, la Cour estime que cet Etat membre doit au moins offrir un choix à la société entre le paiement immédiat du montant de l’imposition ou le paiement différé accompagné de la charge de suivre les actifs transférés aux fins d’une imposition correcte des plus-values latentes au moment de leur réalisation effective. A défaut, sa conclusion est claire : « …une réglementation qui impose le recouvrement immédiat de l’imposition sur les plus-values latentes afférentes aux éléments de patrimoine d’une société transférant son siège de direction effective dans un autre Etat membre, au moment même dudit transfert n’est pas compatible avec la liberté d’établissement telle que prévue à l’article 49 TFUE ».

Cette décision est d’une grande importance pratique :

Au moment où, sous l’effet de la crise, on évoque volontiers le besoin d’une coordination effective des politiques économiques et tout particulièrement des politiques fiscales, le cas des exit taxes nous indique tout le chemin qui reste à parcourir avant que nos Etats membres acceptent toutes les conséquences (fiscales) du grand marché et en intègrent efficacement les règles dans leurs législations fiscales.

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