Implantée à Francfort-sur-le-Main, la nouvelle Autorité européenne de Lutte contre le Blanchiment de Capitaux et le financement du terrorisme (ALBC) devrait mener ses premières missions de surveillance et de sanction à partir de mi-2025, à l’exception de son pouvoir normatif qui est applicable dès cette semaine. Dans ce contexte et compte tenu de son rôle essentiel au sein de l’Union européenne (UE), l’instauration de cette nouvelle autorité suscite déjà beaucoup de questions, en particulier pour les acteurs du secteur financier.
Quand l’ALBC a-t-elle été instaurée ?
L’ALBC a été instaurée par le Règlement (UE) 2024/1620 du Parlement européen et du Conseil du 31 mai 2024.
Ce Règlement fait partie d’un ensemble de textes visant à renforcer le cadre juridique de l’UE en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT) et qui comprend :
- le Règlement (UE) 2023/1113 du Parlement européen et du Conseil du 31 mai 2023 sur les informations accompagnant les transferts de fonds et de certains crypto-actifs ;
- le Règlement (UE) 2024/1624 du Parlement européen et du Conseil relatif à la prévention de l’utilisation du système aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme ; et
- la Directive (UE) 2024/1640 du Parlement et européen et du Conseil relative aux mécanismes à mettre en place par les États membres pour prévenir l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme.
Les dispositions du Règlement (UE) 2024/1620 prévoyant la création de l’ALBC seront applicables à compter du 26 juin 2024. En dehors de son pouvoir normatif (exemple : élaboration de projets de normes techniques d’exécution et émission d’orientations et de recommandations) applicable dès le 26 juin 2024, les autres pouvoirs et missions de l’ALBC (dont ceux de surveillance et de sanction) seront applicables à compter du 1er juillet 2025.
Pour quelles raisons l’ALBC a-t-elle été instaurée ?
La mise en œuvre des mesures de LCB-FT transposées en droit interne dans chacun des États membres de l’UE présente certaines différences ou lacunes qui ont pu nuire au bon fonctionnement du marché intérieur.
L’objectif de la création de l’ALBC est donc d’instaurer une autorité chargée de contribuer, à l’échelle de l’UE, à la mise en œuvre de règles harmonisées dans le domaine de la LCB-FT (en ce compris, notamment, la contribution à la convergence de la surveillance en matière de LCB-FT dans l’ensemble du marché intérieur, ou encore le soutien à l’harmonisation des pratiques de détection, par les cellules de renseignement financier (CRF), des activités ou flux financiers suspects).
Où l’ALBC sera-t-elle située ?
L’ALBC aura son siège en Allemagne, à Francfort-sur-le-Main.
Quels seront les missions et les pouvoirs de l’ALBC vis-à-vis des acteurs du secteur financier ?
L’ALBC disposera de la personnalité juridique ce qui lui permettra, au sein de chaque État membre de l’UE, d’acquérir ou d’aliéner des biens immobiliers et mobiliers, ou encore d’introduire une action en justice. Cela lui permettra également de conclure des partenariats transfrontières pour le partage d’informations en matière de LCB-FT. De même, et pour les besoins de ses travaux, celle-ci va pouvoir conclure des accords de coopération avec l’OLAF (l’Office européen de lutte antifraude), Europol, Eurojust, le Parquet européen, des autorités LCB-FT de pays tiers et des organisations internationales.
De manière générale, les missions de l’ALBC seront principalement les suivantes :
- mener un suivi des menaces, vulnérabilités et risques liés aux activités de blanchiment de capitaux et financement du terrorisme (« BC-FT») à l’échelle de l’UE (incluant le suivi des évolutions dans les pays-tiers et qui sont susceptibles d’impacter l’UE).
- analyser l’efficacité au sein de l’UE de l’application des règles de LCB-FT par les entités assujetties, incluant celles du secteur financier.
- Créer et tenir à jour une base de données centrale en matière de LCB-FT à l’échelle de l’UE.
- Soutenir l’analyse des risques de BC-FT ainsi que le renforcement de la coopération et l’échange d’informations en matière de LCB-FT au sein de l’UE.
- Publier des ouvrages et dispenser des formations en matière de LCB-FT.
Plus spécifiquement, l’ALBC exercera une surveillance directe sur certains établissements/groupes (i.e. établissements de crédit/financiers ou groupe d’établissements de crédit/financiers au plus haut niveau de consolidation au sein de l’UE1). À ce titre, l’ALBC va :
- Veiller au respect par ces établissements/groupes des exigences qui leur sont applicables en matière de LCB-FT.
- Réaliser des contrôles et des évaluations de surveillance de ces établissements/groupes afin de déterminer si leur corpus procédural et leurs dispositifs de contrôle interne sont propres à satisfaire aux obligations qui leur sont applicables.
- Imposer, en cas de manquements, des exigences spécifiques, des mesures administratives, des sanctions pécuniaires et des astreintes sur la base des résultats des contrôles et des évaluations de surveillance précités.
- Participer à la surveillance exercée à l’échelle des groupes en matière de LCB-FT ; et
- Développer et tenir à jour un système d’évaluation des risques et des vulnérabilités de ces établissements/groupes.
En outre, l’ALBC exercera également un rôle vis-à-vis des superviseurs financiers et des CRF nationales (pour la France, il s’agit de Tracfin).
En ce qui concerne les premiers, l’ALBC va notamment :
- procéder régulièrement à des évaluations des moyens, pouvoirs et stratégies de ces superviseurs dans le domaine de la LCB-FT ;
- assister en cas de besoin les superviseurs nationaux dans la surveillance d’établissements/groupes qui ne sont pas directement surveillés par l’ALBC ; et
- régler, avec effet contraignant, les différends survenus entre superviseurs financiers sur les mesures à prendre à l’égard d’une entité assujettie.
En ce qui concerne les secondes, l’ALBC va, par exemple :
- assurer un suivi de l’évolution des modifications du cadre juridique des CRF (incluant leur ressources),
- soutenir les travaux des CRF et contribuer à l’amélioration de leur coopération et coordinations mutuelles,
- mettre en place, coordonner et faciliter la réalisation d’analyses communes par les CRF,
- prêter assistance aux CRF à leur demande,
- développer et mettre à disposition des CRF des outils, des services, des expertises et des formations destinés à renforcer leurs capacités de détection et d’analyse.
Pour mener à bien ses missions, l’ALBC disposera de pouvoirs de surveillance et d’enquête et, plus largement, de l’ensemble des pouvoirs et des obligations incombant aux superviseurs financiers dans le domaine de la LCB-FT en vertu du droit de l’UE (sauf exception). Elle pourra, selon les cas, également émettre des orientations et des recommandations, des invitations à agir, des instructions, effectuer une médiation et régler des désaccords entre superviseurs, autorités de surveillance et CRF. Elle pourra également exiger la production d’information et de documents auprès de ces mêmes superviseurs, autorités de surveillance et CRF.
Sur quels textes l’ALBC s’appuiera-t-elle pour mener à bien ses missions ?
L’ALBC appliquera directement l’ensemble des dispositions pertinentes des règlements européens en matière de LCB-FT.
En ce qui concerne les directives européennes de l’UE en matière de LCB-FT, l’ALBC appliquera le droit national de chacun des États membres transposant ces directives.
De quelle manière l’ALBC va-t-elle être organisée ?
L’ALBC est structurée en cinq organes. Un conseil général, principalement en charge de la mise en œuvre du système de surveillance LCB-FT, des missions de l’ALBC en ce qui concerne les CRF ainsi que du pouvoir normatif de l’ALBC.
Le conseil exécutif, principalement en charge de la planification globale et de l’exécution des missions confiées à l’ALBC, devra adopter les décisions qui ne relèvent pas du champ de compétence du conseil général.
A côté de ces organes collégiaux, l’Autorité sera dotée d’un président, qui la représentera et aura la responsabilité de préparer les travaux du conseil général et du conseil exécutif, notamment d’établir l’ordre du jour de toutes les réunions, de les convoquer et de les présider,
Pour compléter la présidence, un directeur exécutif sera plus spécifiquement en charge de la gestion quotidienne de l’ALBC. À ce titre, il devra notamment mettre en œuvre les décisions adoptées par le conseil exécutif, établir et mettre en œuvre le projet de document unique de programmation, élaborer le projet de rapport annuel, élaborer un plan d’actions donnant suite aux conclusions des rapports d’audit et évaluations internes ou externes, etc.
Enfin, une commission administrative de réexamen sera chargée d’instruire toute demande de réexamen contre une décision de sanction prise par l’ALBC.
Quelle sera la méthode de l’ALBC pour mener à bien sa surveillance ?
La méthode de surveillance LCB-FT mise en œuvre par l’ALBC doit reposer sur une approche fondée sur les risques. Cette méthode sera déterminée et mise à jour avec les autorités de surveillance nationales, et ce, de façon harmonisée à l’échelle de l’UE.
Que contiendra la base de données centrale de l’ALBC ?
La base de données centrale élaborée et tenue à jour par l’ALBC comprendra, notamment, les informations suivantes :
- La liste et des informations sur les autorités de surveillance nationales portant sur les entités assujetties à la réglementation LCB-FT.
- Des statistiques sur les catégories et le nombre d’entité assujetties et soumises à surveillance par catégorie ainsi que des informations de base sur leur profil de risque.
- Le détail des mesures administratives appliquées et sanctions pécuniaires imposées dans le cadre de la surveillance d’entités assujetties en réponse à des violations des exigences de la LCB-FT (incluant les motifs et la nature de l’infraction).
- Tout conseil ou avis relatif aux risques en matière de BC-FT donné à d’autres autorités en matière d’agrément, retrait d’agrément, d’évaluation de la compétence et d’honorabilité d’actionnaires ou membres d’organes de direction d’entités assujetties.
- Les résultats des évaluations des profils de risque inhérents et résiduels des établissements financiers soumis à surveillance directe de l’ALBC opérant dans au moins six États membres de l’UE.
- Les résultats et les rapports des contrôles thématiques et autres actions transversales de surveillance concernant des domaines ou des activités à haut risque.
- Des informations sur les activités de surveillance menées au cours de l’exercice et des informations statistiques sur les effectifs et les ressources des superviseurs et des autorités de surveillance.
- Toute donnée ou information pertinente aux fins des activités de surveillance en matière de LCB-FT.
Comment la surveillance directe par l’ALBC des établissements/groupes s’opèrera-t-elle ?
Des équipes communes de surveillance seront constituées entre l’ALBC et les superviseurs financiers nationaux chargés de la surveillance de l’établissement/groupe. Les travaux des équipes communes de surveillance seront coordonnés par un membre du personnel de l’ALBC.
Les tâches d’une équipe commune consisteront à :
- Réaliser les contrôles et les évaluations de surveillance de l’établissement/groupe.
- Coordonner des inspections sur place et établir, s’il y a lieu, des mesures de surveillance.
- Participer à l’élaboration de projets de décision qui tiendront compte des examens, des évaluations et des inspections sur place.
- Se mettre en rapport avec les superviseurs financiers nationaux lorsque cela s’avère nécessaire pour l’exécution de missions de surveillance.
Comment les pouvoirs de l’ALBC aux fins de l’exécution de ses missions pourront-ils se manifester ?
Aux fins de l’exécution de ses missions, l’ALBC disposera de plusieurs pouvoirs, tels que les suivants :
- émettre des demandes d’information à l’attention des établissements/groupes sous surveillance directe,
- conduire des enquêtes nécessaires auprès des établissements/groupes sous surveillance directe,
- mener des inspections sur place dans les locaux des établissements/groupes sous surveillance directe (y compris, si besoin, en obtenant une autorisation par une autorité judiciaire),
- appliquer des mesures administratives (recommandations, injonctions, déclarations publiques, restrictions ou limitations d’activités, imposer des modifications, proposer des retraits ou des suspensions d’autorisation). Par exemple, au titre de ces mesures, l’ALBC pourra notamment exiger le renforcement de politiques, de procédures et de contrôles internes ou encore imposer la mise en œuvre de mesures visant à réduire les risques de BC-FT,
- imposer des sanctions pécuniaires, selon une échelle mentionnée au sein du Règlement (UE) 2024/1620, en cas de violation grave, répétée ou systématique d’obligations réglementaires,
- décider d’infliger des astreintes afin, par exemple, de contraindre un établissement/groupe sous surveillance directe,
- publier les mesures administratives, les sanctions pécuniaires et les astreintes qu’elle prononce.
Comment la surveillance indirecte par l’ALBC des autres établissements/groupes s’opèrera-t-elle ?
En ce qui concerne les établissements/groupes qui ne font pas l’objet d’une surveillance directe, l’ALBC pourra notamment :
- Réaliser des évaluations périodiques de superviseurs financiers ainsi que de leurs outils et leurs ressources.
- Veiller à ce que des collèges de surveillance LCB-FT dans le secteur financier soient établis pour les établissements/groupes précités qui exploitent des établissements dans plusieurs États membres et fonctionnent de façon cohérente.
- Inviter les superviseurs financiers nationaux à agir dans des circonstances exceptionnelles en cas d’indices d’infractions graves, répétées ou systématiques (par exemple, si l’ALBC est tenue informée d’une dégradation rapide de la situation d’un établissement/groupe précité au titre de ses obligations en matière de LCB-FT).
- Régler des différents entre superviseurs financiers dans des situations transfrontières (en cas d’inactivité d’un superviseur financier et si cela affecte les missions de l’ALBC, par exemple).
- Prendre des mesures en cas de manquements systématiques à la surveillance, notamment lorsqu’un superviseur financier n’a pas appliqué les dispositions de son droit national transposant la directive précitée.
L’ALBC détiendra-t-elle un pouvoir normatif ?
L’ALBC aura pour mission d’élaborer :
- des textes à caractère technique : des projets de normes techniques de réglementation et de normes techniques d’exécution qui devront être soumises à la Commission européenne pour adoption ;
- des textes visant à une application commune, uniforme et cohérente du droit de l’UE : des orientations et des recommandations à l’intention des autorités de surveillance et des superviseurs nationaux, des CRF ou encore des établissements/groupes assujettis aux obligations en matière de LCB-FT ; et
- des avis et conseils techniques à l’intention du Parlement européen, du Conseil et de la Commission européenne sur l’ensemble des questions relatives à son domaine de compétence.
Quels seront les moyens financiers et humains de l’ALBC pour mener à bien ses missions ?
L’ALBC disposera d’un budget annuel constitué :
- d’une contribution de l’UE ;
- de redevances payées par les établissements/groupes sous surveillance directe ou non ;
- de contributions financières volontaires des États membres ;
- de rémunérations de publications, formations et autres services fournis par l’ALBC à des CRF et homologues de pays tiers ;
- d’un éventuel financement de l’UE sous la forme de conventions de contribution ou de subventions ad hoc.
L’ALBC disposera de son personnel propre qui sera doté, pour partie, du statut de fonctionnaire européen. Elle pourra également faire appel à des experts nationaux détachés ou à d’autres agents qui ne feront pas partie de son personnel, y compris des délégués de CRF.
En dehors des autorités de surveillance et de supervision du secteur financier, avec quelles autres autorités l’ALBC devra-t-elle coopérer ?
Pour l’exercice de ses pouvoirs et de ses missions, l’ALBC va établir, et devoir maintenir, une coopération étroite avec les autorités européennes de supervision (ESMA, EBA et EIOPA). Celle-ci sera, en particulier, nécessaire lors de l’exercice par l’ALBC de son pouvoir normatif.
[1] Ce nombre d’établissements/groupes peut être limité par l’ALBC, en consultation avec les autorités de surveillance nationales, à 40. La première sélection de ces établissements débutera au plus tard le 1er juillet 2027 et s’achèvera d’ici la fin de l’année 2027. La sélection sera ensuite renouvelée tous les 3 ans.