LCB-FT : l’Union européenne propose de renforcer l’harmonisation du cadre juridique

Depuis le début des années 90, l’Union européenne (ci-après l’« UE ») a mis en place un cadre pour la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (ci-après « LCB-FT ») qui, au fil des années a été éprouvé et renforcé. Ce renforcement a concerné autant son champ d’application, que les obligations qui en découlent pour les entités assujetties.

Alors que l’UE aura œuvré pour la mise en place d’une réglementation réellement coordonnée dans les 27 États membres, le rapport du GAFI de mai 2020 avait révélé que la crise sanitaire avait accentué les fraudes et les actes de blanchiment de capitaux, amenant la Commission à soumettre, dès 2021, un ensemble de propositions législatives (paquet européen) visant à améliorer la LCB-FT au sein de l’UE.

Le 12 février 2024, un accord provisoire a été conclu entre le Parlement européen et le Conseil concernant les projets définitifs de :

  • règlement européen établissant une autorité européenne de lutte contre le blanchiment de capitaux (ci-après le « Projet de Règlement ALBC »),
  • règlement sur la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme (ci-après le « Projet de Règlement LCB-FT »), et
  • directive sur les mécanismes à mettre en place par les Etats Membres pour prévenir l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme et abrogeant la directive (UE) 2015/849 (ci-après le « Projet de Directive LCB-FT »).

Le choix de l’instrument, un règlement européen, pour ce qui est des principes et de l’architecture institutionnelle (création d’une autorité européenne supplémentaire), est une réaction au fait que le texte actuel, la 5e directive anti-blanchiment, fut transposé de manière très inégale par les Etats membres. Cela justifie le changement d’échelle : coordination confiée à une autorité européenne (comme en matière financière), adoption de textes fondamentaux communs aux Etats membres.

Elargissement du champ d’application

Le Projet de Règlement LCB-FT propose d’étendre l’application des obligations en matière de LCB-FT à de nouveaux acteurs.

Tout d’abord, et dans le prolongement des récentes évolutions relatives à l’encadrement et à la traçabilité des opérations relatives aux crypto-actifs, les prestataires de services sur crypto-actifs (PSCA) seront soumis aux dispositions en matière de LCB-FT.

Ensuite, alors que la directive (UE) 2015/849 actuellement en vigueur prévoit que « les personnes négociant des biens, dans la mesure où les paiements sont effectués ou reçus en espèces pour un montant égal ou supérieur à 10 000 € » sont assujetties aux obligations en matière de LCB-FT, le Projet de Règlement LCB-FT envisage (i) d’appliquer une limite maximale de paiement en espèces pour des biens ou services à hauteur de 10 000 € et (ii) de restreindre le périmètre des entités assujetties aux négociants de produits de luxe (e.g., métaux précieux, pierres précieuses, bijoutiers, orfèvres), négociants de voitures de luxe, d’avions et de yachts ainsi qu’aux négociants de biens culturels (œuvres d’art).

Il convient de préciser que les clubs et agents de football professionnels seront également des entités assujetties conformément au Projet de Règlement LCB-FT. Toutefois, le Projet de Règlement LCB-FT prévoit la possibilité pour les Etats membres de retirer ces derniers de la liste des personnes assujetties, dès lors qu’ils présentent un risque faible en matière de blanchiment des capitaux et de financement du terrorisme.

Renforcement des obligations en matière de LCB-FT

Au-delà de l’élargissement du champ d’application du cadre européen en matière de LCB-FT, le Projet de Règlement LCB-FT intègre de nouvelles obligations.

On peut noter que des mesures de vigilance renforcée spécifiques sont prévues s’agissant de relations transfrontières qui, au sens dudit Règlement, présentent un risque plus élevé en matière de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme. En outre, il convient de préciser que des diligences spécifiques sont prévuess’agissant des relations transfrontières impliquant des prestataires de services sur crypto-actifs.

De la même façon, des mesures de vigilance renforcée devront être mises en place par les établissements de crédit et les établissements financiers1 lors de relations commerciales avec des personnes fortunées2 entrainant le traitement d’un grand nombre d’actifs.

On peut également évoquer l’obligation pour les entités assujetties de déterminer et de vérifier l’identité de toute personne effectuant, à titre occasionnel, une transaction en espèces d’une valeur comprise entre 3 000 € et 10 000 €.

Enfin, une définition harmonisée des bénéficiaires effectifs a été intégrée dans le Projet de Règlement LCB-FT. Deux critères cumulatifs s’appliquent : (i) celui du contrôle, direct ou indirect de l’entité et (ii) celui de la propriété, directe ou indirecte, de l’entité à hauteur de 25 % minimum. Ces critères ne sont pas novateurs et certains auteurs estiment que le seuil proposé est trop élevé.

Il convient toutefois de noter que le Projet de Règlement LCB-FT prévoit que la Commission évalue l’adéquation du seuil de 25 % et son potentiel abaissement à 15 % pour certaines catégories d’entités auxquelles est associé un haut risque de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme. Cette évaluation devrait être effectuée dans les 2 ans suivant l’entrée en vigueur du Projet de Règlement LCB-FT.

Cadre institutionnel national et européen

Le Projet de Directive LCB-FT prévoit, quant à elle, la possibilité pour les Etats membres d’appliquer des obligations LCB-FT à des entités autres que les entités expressément assujetties par les instruments européens.

S’ils usent de cette faculté (marge d’appréciation nationale), les Etats membres devront notifier leur intention à la Commission et lui communiquer (i) leur motivation, (ii) une étude d’impact concernant cette extension, (iii) la description des obligations auxquelles l’Etat membre veut assujettir les entités concernées et (iv) le projet de texte que l’Etat membre envisage d’adopter. La Commission sera ensuite amenée à publier une liste de tous les secteurs auxquels les Etats membres ont décidé d’appliquer tout ou partie de la règlementation en matière de LCB-FT. Cette faculté, contrairement à l’objectif d’harmonisation, pourrait, selon la manière dont les 27 Etats membres réagiront, créer une diversité de champ d’application des obligations en matière de LCB-FT.

Le Projet de Directive LCB-FT prévoit également que les Etats membres s’assurent que l’ensemble des entités assujetties soient soumises à un niveau minimum d’enregistrement pour permettre leur identification par les superviseurs.

Des évaluations régulières des risques supranationaux et nationaux devront être réalisées : la Commission devrait remettre un rapport dans les 4 ans suivant l’entrée en vigueur du Projet de Directive LCB-FT; l’ALBC devrait émettre un avis dans les 3 ans suivant la transposition du Projet de Directive LCB-FT, puis tous les 2 ans ; et une autorité nationale devra effectuer et mettre à jour tous les 4 ans une évaluation des risques.

Un ensemble de règles relatives au registre des bénéficiaires effectifs est également établi dans le Projet de Directive LCB-FT (i.e., informations devant y figurer, contrôle des informations, accès aux informations). La Commission devra également adopter par voie de spécifications techniques, notamment, des modèles de demande d’accès au registre des bénéficiaires effectifs, les modèles devant être utilisés pour la validation ou le refus de l’accès ou encore des procédures concernant la reconnaissance mutuelle de l’intérêt légitime à l’accès entre Etat membre.

Un système unique et centralisé devra, conformément au Projet de Directive LCB-FT, être mis en place par les Etats membres permettant d’identifier tous les détenteurs ou bénéficiaires effectifs des comptes bancaires, comptes-titres, comptes détenant des crypto-actifs et comptes de dépôts. De la même façon, un système unique devrait permettre l’identification des biens immobiliers, de leurs propriétaires, des potentielles charges grevant le bien. L’accès à ces informations serait limité, notamment, aux autorités nationales compétentes et à l’ALBC.

Création d’une autorité européenne spécialisée

Le Conseil et le Parlement sont parvenus à un accord concernant la création de l’ALBC, ses pouvoirs et les modalités de fixation de son siège. Le 22 février 2024, il a été décidé que le siège de l’ALBC serait situé à Francfort, écartant les espoirs français d’accueillir cette nouvelle autorité, à côté de l’ESMA et de l’EBA, et dont les sièges sont tous deux situés à Paris.

Il résulte du Projet de Règlement ALBC, que celle-ci (i) disposerait d’un pouvoir de surveillance des entités assujetties à haut risque du secteur financier, (ii) interviendrait en soutien en ce qui concerne la surveillance du secteur non financier, (iii) coordonnerait les cellules de renseignement financier et (iv) pourrait infliger des sanctions pécuniaires aux entités assujetties.

En particulier, s’agissant du pouvoir de surveillance de l’ALBC, il portera sur une sélection d’établissements de crédits et d’établissements financiers (y compris les prestataires de services sur crypto-actifs) qui présentent un risque élevé en matière de blanchiment des capitaux et de financement du terrorisme. Il est prévu que l’ALBC supervise jusqu’à 40 groupes et entités lors de la première procédure de sélection. Les entités assujetties non sélectionnées continueront d’être surveillées à titre principal au niveau national.


[1] Notamment les entités, autres que les établissements de crédit et entreprises d’investissement exerçant une activité de crédit-bail, la gestion de portefeuille, l’exécution d’ordre pour compte propre ou pour le compte de tiers, la tenue de compte-conservation ou encore les intermédiaires en assurance ou les PSCA.
[2] Dont le patrimoine représente un montant minimum de 50 000 000 €.

Benjamin Balensi

Benjamin Balensi, Avocat Associé, exerce son activité au sein de l’équipe droit des affaires. Il conseille les sociétés françaises et les groupes internationaux dans le cadre du développement de leur […]

Thibault Jézéquel

Thibault Jézéquel, Avocat Directeur, exerce son activité au sein de l’équipe de droit des affaires du cabinet. Il est spécialiste en réglementation bancaire et financière. À ce titre, il accompagne […]

Mathilde Lourenço

Mathilde est collaborateur junior au sein du département Corporate M&A de Deloitte Legal. Elle intervient en droit des sociétés, sur des questions réglementaires, des réorganisations juridiques et des opérations de […]