La CAA de Versailles juge que les sommes perçues ou versées au titre d’un « swap de taux » doivent être exclues du calcul du montant des charges financières nettes pour l’application du rabot de l’article 212 bis du CGI et de l’article 223 B bis du CGI.
Nous revenons plus en détails sur cette décision préalablement commentée dans la mesure où nous avons été récemment informés que cette dernière faisait l’objet d’un pourvoi.
Pour mémoire, les anciens articles 212 bis et 223 B bis du CGI obligeaient les entreprises soumises à l’IS dont le montant des charges financières nettes atteignait au moins 3M€ à réintégrer au moins 15 % (pour 2013) puis 25 % (à compter de 2014) du montant de ces charges pour la détermination de leur résultat imposable – dispositif communément appelé « rabot » fiscal.
La notion de charges financières était définie par le texte : « comme le total des charges financières nettes venant rémunérer des sommes laissées ou mises à disposition de l’entreprise, diminué du total des produits financiers venant rémunérer des sommes laissées ou mises à disposition par l’entreprise ».
La doctrine administrative prévoyait expressément que les sommes perçues ou versées en application d’un contrat de swap de taux devaient être prises en compte dans la base soumise à la limitation (BOI-IS-BASE-35-40-20140430 n° 45).
Pour rappel, un swap de taux (« contrat d’échange de taux d’intérêt ») est un contrat bilatéral dans lequel les parties s’accordent pour échanger des flux d’intérêts fixes contre des flux variables calculés sur la base d’un montant notionnel, sans échange monétaire. Un swap « classique » ou « vanille » est par principe mono‑devise.
Dans cette affaire, la CAA de Versailles confirme le jugement rendu par le TA de Montreuil le 18 janvier 2018 selon lequel les paiements versés et reçus dans le cadre d’un contrat de swap de taux de couverture ne constituent pas des charges financières nettes qui doivent être prises en compte pour le calcul du rabot.
A l’instar du TA de Montreuil, et dans la lignée des conclusions soumises par le rapporteur public, Isabelle Danielian, elle retient également une lecture littérale du texte de loi, et fait prévaloir une conception étroite de l’expression de « sommes laissées ou mises à la disposition » pour la mise en œuvre de ce dispositif dérogatoire.
Cette solution vient infirmer la position de l’Administration telle que mentionnée au BOFiP.
À la lecture de cette décision, plusieurs arguments semblent avoir été retenus par la Cour, notamment :
- Sur la nature des swaps de taux : les swaps de taux ont été souscrits pour couvrir le risque de hausse des intérêts à taux variable dus aux obligataires, dans le cadre des emprunts obligataires émis. Ces opérations n’interfèrent en rien sur le montant du capital emprunté. Les paiements sont eux‑mêmes calculés sur la base d’un montant notionnel (= référence de calcul des intérêts qui n’a même pas à correspondre au capital de l’emprunt dont il peut être absolument déconnecté). Aucun flux financier de versement ou de remboursement de sommes mises à disposition n’intervient entre l’entreprise et l’établissement financier.
Comme le souligne le rapporteur public, « les sommes versées en exécution d’un contrat de swap ne rémunèrent donc pas un prêt d’argent, et c’est bien là l’essentiel. Les prêteurs initiaux ne sont pas impliqués dans l’accord de swap et continuent à se tourner vers leur cocontractant pour obtenir le paiement des intérêts. L’existence d’un swap ne peut supprimer l’obligation pour chacune des parties de payer les intérêts à son prêteur initial et ce, y compris, évidemment, en cas de défaillance du cocontractant au swap ».
On s’écarte ainsi de l’idée selon laquelle les charges supportées au titre des swaps de taux rémunèrent des « sommes laissées ou mises à disposition » de l’entreprise au sens de l’article 212 bis du CGI, dont la lecture littérale induit la constatation d’intérêts payés pour un capital prêté.
D’ailleurs, la position de l’Administration en matière de retenue à la source, semble elle-même aller dans ce sens (BOI-RPPM-RCM-30-20-10-20191220 n° 20).
- Sur la comptabilisation des swaps de taux : à la lecture de l’article 212 bis la seule « qualification » comptable reste insuffisante. Le texte exigeant la réunion de plusieurs conditions, soient (i) une « charge financière » (ii) qui « vienne rémunérer des sommes laissées ou mises à disposition de l’entreprise ».
Or, l’ensemble des charges figurant au compte 66 « Charges financières » ne rémunèrent pas des « sommes laissées ou mises à la disposition » de l’entreprise, certaines de ces sommes pouvant être inscrites sur d’autres comptes du plan comptable. Et inversement, la comptabilisation des charges en compte 66 (dont swaps de taux) n’implique pas davantage que celles-ci entrent dans le champ d’application du « rabot » fiscal.
Depuis le 1er janvier 2019, le dispositif du rabot a été remplacé (Loi n° 20181317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019 – art. 34) par un autre dispositif de limitation des charges financières nettes (art. 212 bis et 223 B bis du CGI).
Avec ce nouvel article 212 bis III modifié, le législateur est lui-même venu ajouter une liste de dispositions précisant un certain nombre d’éléments à prendre considération parmi lesquels figurent :
e) « Les intérêts payés au titre d’instruments dérivés ou de contrats de couverture portant sur les emprunts de l’entreprise » (catégorie qui vise expressément les swaps de taux) ;
f) Les gains et pertes de change relatifs à des prêts, des emprunts et des instruments liés à des financements ;
g) « les frais de garantie relatifs à des opérations de financement » ;
h) « les frais de dossier liés à la dette ».
Pour certains commentateurs, la décision conserve néanmoins tout son intérêt :
- Quant à l’opportunité de déposer des réclamations contentieuses pour les paiements versés au titre de swaps de taux « vanille », sous réserve des délais requis. Pour les autres catégories de swaps de taux/autres types de swaps, une analyse devra être menée à la lumière de cette décision afin de déterminer si la solution est transposable.
Au contraire, les entreprises qui ont perçu des paiements au titre de swaps, pourraient quant à elle invoquer la doctrine administrative plus favorable. - Quant à la définition du taux maximum de déduction des intérêts (art. 39,1,3° du CGI) : la position de l’Administration pencherait plus pour inclure les swaps de taux d’intérêt dans le calcul du taux d’intérêt intragroupe. Selon certains praticiens, cette décision permettrait davantage d’argumenter en sens contraire.
Il convient néanmoins de rester prudent et de garder à l’esprit qu’un pourvoi devant le Conseil d’État a été formé contre la décision de la CAA de Versailles.
À suivre…