A la lumière des travaux du Pôle de prospective fiscale : commentaires orientés sur le projet de la Commission européenne de Recommandation du Conseil concernant le programme national de réforme de la France pour 2014 et portant avis du Conseil sur le programme de stabilité de la France pour 2014 (En savoir plus).
Le Semestre européen
Chaque année, le « Semestre européen » débute par la publication de l’examen annuel de la croissance, qui établit les priorités pour stimuler la croissance et l’emploi au cours de l’année à venir. Il se traduit ensuite, à la fin du printemps, par l’adoption de conseils personnalisés aux États membres : les Recommandations par pays.
Dans le cadre de l’exercice du Semestre européen 2014, la Commission européenne vient d’adopter et de publier ses Recommandations en vue de l’adoption par le Conseil des ministres de Recommandations pour la politique économique et surtout budgétaire de chacun des 28 Etats membres de l’UE. Ces recommandations spécifiques présentent les conditions que la Commission juge nécessaires pour un retour de la croissance et de l’emploi en Europe, elles se fondent sur une évaluation en profondeur pour chaque Etat membre de ses plans pour assainir les finances publiques (Programmes de stabilité et de croissance) et des mesures envisagées pour soutenir la croissance et l’emploi (Programme de réforme nationale).
L’examen annuel de la croissance signale notamment un certain nombre de domaines fiscaux où des améliorations peuvent être apportées et aide les États membres à mettre en œuvre des réformes fiscales favorables à la croissance. Pour 2014, la Commission a retenu les priorités suivantes :
- élargir la base d’imposition et supprimer les exonérations mal ciblées. L’élargissement de la base d’imposition constitue un moyen plus efficace et plus favorable à la croissance que la hausse des taux d’imposition. Cette priorité vise notamment à faciliter le passage à un système de TVA plus simple et plus efficace et à réduire les subventions nuisibles à l’environnement ;
- déplacer la charge fiscale pesant sur le travail — en particulier pour les travailleurs peu qualifiés et les jeunes travailleurs — vers des bases d’imposition liées à la consommation, à la propriété et à la pollution en tenant compte des aspects d’équité ;
- améliorer le respect des obligations fiscales en luttant contre la fraude et l’évasion fiscales, en s’attaquant de façon coordonnée à la planification fiscale agressive et aux paradis fiscaux, en rendant l’administration fiscale plus efficiente et en simplifiant les procédures de mise en conformité avec la législation fiscale. En outre, l’examen annuel de la croissance rappelle que la coopération entre administrations fiscales est essentielle pour lutter contre la fraude et l’évasion fiscales ;
- revoir les régimes fiscaux à l’origine d’incitations fiscales à l’endettement.
Les Recommandations adressées à la France
Le constat fait dans l’exposé des motifs de la recommandation adressée à la France est instructif et recoupe bon nombre d’éléments sur lesquels nous avons souvent attiré l’attention en ce qui concerne la relative inadaptation de la structure des prélèvements obligatoires aux besoins de la croissance économique en France :
« La pression fiscale globale en France est élevée et croissante. En 2013, le ratio des impôts au PIB s’est établi à 45,9 %, ce qui en fait l’un des plus élevés de l’Union européenne et ce qui représente une hausse de 3,3 pp depuis le début du processus d’assainissement budgétaire en 2010. Dans ce contexte, un comité spécial (les « Assises de la fiscalité ») a contribué à la conception d’une réforme du système fiscal. Peu de progrès ont été enregistrés jusqu’à présent en termes de réduction des taux nominaux d’impôt sur le revenu et sur les sociétés et de renforcement de l’efficacité de la TVA. En revanche, une surtaxe temporaire sur les grandes entreprises a été prolongée jusqu’en 2015, ce qui portera leur taux d’imposition global au niveau record de 38,1 % (le taux nominal de 33,3 % étant déjà l’un des plus élevés de l’Union européenne). Le gouvernement français a annoncé une réduction progressive du taux nominal à 28 % d’ici à 2020, mais aucun calendrier précis n’a été communiqué concernant cette mesure. Des progrès limités ont également été réalisés au cours de l’année écoulée dans la réduction et la rationalisation des dépenses fiscales relatives à l’impôt sur le revenu. Malgré certaines avancées dans le domaine de la fiscalité environnementale (par exemple l’introduction progressive d’une taxe carbone ou « contribution climat énergie »), la part de la fiscalité environnementale dans le PIB reste faible. Notamment, les droits d’accises en France ne sont pas indexés sur le taux d’inflation et certaines subventions importantes néfastes pour l’environnement, telles que le taux d’accises préférentiel pour le gazole, continuent d’exister. Enfin, aucune mesure supplémentaire n’a été prise en 2013 pour remédier aux incitations fiscales favorisant l’endettement des entreprises en vue de prévenir une nouvelle augmentation de l’endettement privé. »
On retrouve bien ici l’expression des principales difficultés que connait la politique fiscale de la France depuis fort longtemps avec en particulier une tendance générale à des assiettes trop étroites (tant en matière d’impôt sur les sociétés, d’IRPP que de TVA) et à une politique qui vise le plus souvent à agir sur les taux (à la hausse) alors même que l’on sait la faible efficacité et le caractère distortif de ce type de politique. Les statistiques de recettes pour 2012 telles qu’elles figurent dans les comptes nationaux viennent d’être publiées par Eurostat dans « Taxation Trends 2014 » et nous aurons l’occasion dans un prochain article de revenir sur ces chiffres dans le détail mais les tendances confirment, hélas une fois encore, une évolution défavorable. Ainsi, les recettes d’impôt sur les sociétés montrent une stagnation à 2,3% du PIB en dépit d’une hausse du taux d’IS tandis que les autres taxes pesant sur la production, dont nous avons souvent dénoncé le caractère très néfaste pour les entreprises ont à nouveau augmenté : 4,5 % du PIB, près de deux fois les recettes d’IS !
Les orientations prioritaires de politique fiscale proposées par la Commission prennent donc un sens tout particulier s’agissant de la France pour laquelle la Commission a isolé plusieurs recommandations plus particulièrement fiscales :
Recommandation n° 2 :veiller à ce que la réduction des coûts du travail résultant du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi soit maintenue; à prendre des mesures pour réduire encore les cotisations sociales patronales conformément aux engagements pris au titre du Pacte de responsabilité et de solidarité, en s’assurant qu’aucune autre mesure n’annule leurs effets et que le ciblage actuellement envisagé soit conservé; à poursuivre l’évaluation de l’incidence économique des exonérations de cotisations sociales, en mettant l’accent sur l’emploi, l’évolution des salaires et la compétitivité et en prenant des mesures adéquates le cas échéant; à réduire encore, d’une manière neutre sur le plan budgétaire, les coûts salariaux, en particulier aux niveaux les plus bas de l’échelle des salaires, notamment par des réductions ciblées des cotisations sociales patronales, en tenant compte des différents dispositifs de soutien des salaires (…) ;
Cette recommandation ne surprendra personne, la France occupant la 1re place depuis plusieurs années en ce qui concerne le niveau de ses cotisations sociales (17% du PIB). En revanche, certains s’interrogent, à juste titre sur la nécessité de faire porter prioritairement la baisse des coûts salariaux sur les « niveaux les plus bas de l’échelle des salaires ». En effet, les économistes sont divisés sur ce point mais les analyses et comparaisons récentes (voir Olivier Passet, « Stimuler l’emploi faiblement qualifié : une erreur obsessionnelle », Xerfi Canal) laissent penser qu’une telle politique pourrait bien viser le mauvais cheval et réduire les gains de productivité en concentrant le soutien sur les secteurs à emploi dégradé (emplois fractionnés, temps partiel, etc.) et à faible valeur ajoutée. En réalité, nos déficits de taux d’emplois par rapport à nos partenaires les plus performants se rencontrent dans l’industrie, les services aux entreprises et l’éducation et essentiellement sur les emplois hautement qualifiés. Aussi devrions-nous plutôt concentrer nos ressources sur les secteurs à forte valeur ajoutée qui produisent les plus fortes externalités d’innovation et de croissance.
Recommandation n° 3 : simplifier, d’ici à décembre 2014, les règles administratives, fiscales et comptables des entreprises et à prendre des mesures concrètes pour mettre en œuvre le « plan de simplification » lancé par le gouvernement (…) ; prendre des mesures pour simplifier la politique en matière d’innovation et en renforcer l’efficacité, notamment par une évaluation et, le cas échéant, une adaptation du « crédit d’impôt recherche » (…) ;
Recommandation n° 5 : réduire la charge fiscale sur le travail et à intensifier les efforts visant à simplifier et à accroître l’efficacité du système fiscal; à cette fin, à prendre des mesures, à partir du budget 2015, pour supprimer les dépenses fiscales inefficaces relatives à l’impôt sur le revenu et à l’impôt sur les sociétés sur la base des récentes évaluations et de l’initiative des « Assises de la fiscalité » tout en réduisant les taux nominaux; à prendre des mesures supplémentaires pour supprimer les incitations fiscales favorisant l’endettement des entreprises; élargir la base d’imposition, notamment sur la consommation; supprimer progressivement les subventions néfastes pour l’environnement ;
On retrouve ici également des thèmes sur lesquels ce blog a déjà témoigné et Deloitte Société d’Avocats a déjà œuvré : qu’il s’agisse du besoin et des possibilités de simplification administrative et fiscale de l’économie française au sens le plus large (participation de Deloitte Société d’Avocats aux travaux de la Commission Warsmann, au Rapport Fouquet) ou de la nécessité de systèmes fiscaux (IS, IRPP, TVA) à assiette large et taux modérés (illustrée par de nombreux articles publiés sur ce blog). A cet égard, la mesure annoncée visant à ce que près de deux millions de foyers fiscaux ne paient pas d’impôt sur le revenu et un million en paie moins n’est certainement pas conforme à cet objectif ! On doit même sérieusement s’interroger sur sa rationalité alors même que déjà, comme le rappelle Jean-Marc Vittori (Les Echos du 3 juin 2014: « Les trois bizarreries d’une baisse d’impôt »), 17 millions de foyers fiscaux sur 36 ne paient pas d’impôt sur le revenu ce qui fait de l’IRPP français (hors CSG) l’impôt sur le revenu le plus faible de toute l’Union européenne (moins de 4% du PIB en 2012 à comparer à une moyenne de 9,4% dans l’UE-28) alors qu’il est le seul élément de progressivité de notre système fiscal ! On connait fort bien toutes les conséquences de cette exclusion du champ de l’impôt pour la démocratie, on en sous-estime probablement les effets économiques globaux.
Allons un pas plus loin dans l’examen des recommandations : Deloitte Société d’Avocats a consacré son Cercle de prospective fiscale l’an passé à faire connaître une autre politique en matière de lutte contre l’endettement excessif des entreprises avec la déduction d’intérêts notionnels telle que pratiquée maintenant par l’Italie au lieu d’une politique purement répressive uniquement dirigée contre la sous-capitalisation. Cette approche a éveillé beaucoup d’intérêt dans les travaux de la Commission européenne et se trouve reflétée dans ses publications récentes (Taxation Papers N° 33, « The Debt-Equity Tax Bias: consequences and solutions »).
Quant au besoin d’élargir l’assiette TVA, tout particulièrement en France, c’est au cours de ces dernières années un thème récurrent des travaux tant de l’OCDE (voir notre article sur le sujet : « Global VAT policy trends and developments« ) que de la Commission européenne (voir le Livre blanc de la Commission européenne et notre blog : « Le Livre Blanc de la Commission européenne : L’ambition d’une TVA moderne pour l’UE ? »).
Le Pôle de prospective fiscale s’est ainsi emparé des principaux défis de politique fiscale au cours de ces dernières années pour tout à la fois informer sur les évolutions et tendances en cours et permettre d’anticiper raisonnablement les domaines dans lesquels des changements sont nécessaires ou à prévoir.