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Adoption de la directive sur la lutte contre les pratiques d’évasion fiscale (dite « ATAD »)

Adoption de la directive sur la lutte contre les pratiques d’évasion fiscale (dite « ATAD »)

Adoptée le 12 juillet dernier à l’issue d’âpres discussions, la directive sur la lutte contre les pratiques d’évasion fiscale (dite « ATAD ») témoigne de la résolution de l’Union européenne d’être un acteur à part entière dans le combat contre l’érosion des bases fiscales, parallèlement aux travaux menés par l’OCDE depuis déjà quelques années. Il aura fallu moins de 6 mois de rounds de discussions à rebondissements, pour finir par le suspense d’une procédure de silence, et toute la force de conviction de la présidence néerlandaise de l’Union pour réaliser cet exploit.

La Commission européenne avait, en effet, présenté le 28 janvier dernier un paquet de mesures en vue de lutter contre l’évasion fiscale. Il comportait notamment un projet de directive permettant d’assurer un certain degré d’uniformité dans la mise en œuvre des résultats du projet BEPS dans l’ensemble de l’Union, ainsi qu’une recommandation sur les conventions fiscales, une révision de la directive sur la coopération administrative qui introduit un système d’échange de déclarations pays par pays, ainsi qu’une communication sur une stratégie extérieure pour une imposition effective.

Moins de 6 mois après, ECOFIN vient d’adopter le texte final de cette directive qui a, au fil des discussions et des compromis, subi beaucoup d’aménagement par rapport au texte d’origine. Sa transposition devra intervenir avant le 31 décembre 2018, pour un effet au 1er janvier 2019 (sauf règles spéciales).

La procédure

Le projet de directive1 ATAD a bien été soumis au Parlement européen pour avis consultatif où un vote est intervenu le 8 juin dernier. Il avait, auparavant, été adopté par le Comité économique et social le 28 avril 2016.

L’accord sur le texte définitif de l’ATAD est intervenu suite à une réunion de ECOFIN du 17 juin 2016, avec effet au 21 juin (la réunion du 17 juin avait en effet abouti à une procédure de silence jusqu’au 20 juin minuit, suite à une réserve du ministre belge).

L’adoption formelle par le COREPER est intervenue le 12 juillet dernier.

Les mesures

La proposition de directive comportait à l’origine six grandes mesures visant à empêcher l’évasion fiscale, contraignantes pour tous les Etats membres et conçues comme des règles de standard minimum.

Seules cinq d’entre elles figurent finalement dans la version définitive. La « switch over clause » a, en effet, été finalement abandonnée.

Ce mécanisme spécifique se serait appliqué aux revenus étrangers en provenance d’un Etat tiers (dividendes, produits de cession de parts) non conventionné. Les autorités fiscales de l’Etat Membre concerné auraient eu ainsi la possibilité de refuser l’exonération si le revenu avait été imposé à un taux très faible ou nul dans le pays tiers (taux d’imposition inférieur à 40 % du taux légal d’imposition en vigueur dans l’Etat membre considéré). Dans ce cas, le contribuable aurait été soumis à l’impôt sur les revenus étrangers et avait pu déduire en contrepartie l’impôt acquitté à la source à l’étranger, le cas échéant.

Trois d’entre elles transposent dans l’UE le plan d’action BEPS, les deux autres sont des initiatives européennes, relevant de l’ACCIS.

1. Règle relative aux sociétés étrangères contrôlées (« SEC ») : prévenir les transferts de bénéfices vers des pays à fiscalité faible ou nulle (mesure BEPS-OCDE) – art. 7

Cette mesure permettra à l’Etat membre de la société mère d’imposer certains revenus non distribués (revenus d’actifs financiers, revenus de la propriété intellectuelle, dividendes et produits de cession de titres, loyers, revenus de sociétés de facturation) d’une filiale détenue à plus de 50 % (ou d’un établissement stable) située dans un Etat où elle paye un impôt sur les bénéfices inférieur à la différence entre l’IS qu’elle aurait payé si elle avait été imposée selon les règles de l’Etat membre de la société mère et l’impôt effectivement payé. Ce critère correspond à un taux d’imposition effectif inférieur à 50 % de celui de l’Etat membre considéré, étant souligné que la complexité de la rédaction de l’article 7 résulte de l’opposition de l’Irlande à y voir figurer de façon explicite un tel taux d’imposition effectif de référence.

La règle SEC ne sera toutefois pas applicable aux entreprises sises dans un Etat de l’UE ou de l’EEE, sauf en l’absence de véritable activité économique (« substantive economic activity »). Quant à la question de savoir ce qu’est une activité économique réelle, le texte se réfère à l’existence de locaux, de personnels et d’équipement, mais le fait que ces personnels, locaux et équipements doivent être adaptés à l’activité économique en cause et justifier les revenus attribués a été supprimé dans la dernière version.

Pour les entreprises établies dans un pays tiers, les Etats membres peuvent décider d’appliquer la même clause de sauvegarde.

2. Limitation de la déductibilité des intérêts : décourager les entreprises de mettre en place des montages d’endettement artificiels afin de réduire au minimum leurs impôts (mesure BEPS-OCDE) – art. 4

Les surcoûts d’emprunt (montant du dépassement des coûts d’emprunts déductibles supportés par un contribuable par rapport aux revenus d’intérêts imposables et revenus économiquement équivalents, conformément au droit national) d’une entreprise seront déductibles, au titre de l’exercice fiscal au cours duquel ils ont été supportés, mais uniquement à hauteur de 30 % de son EBITDA (résultat net fiscal avant déduction des intérêts, impôts, dotations aux amortissements et provisions, les revenus exonérés devant également être exclus de l’EBITDA). Les Etats membres ont la possibilité de permettre aux entreprises de déduire les surcoûts d’emprunts à hauteur de 3 000 000 €.

Les surcoûts d’emprunt et l’EBITDA peuvent être calculés au niveau du groupe fiscal, en englobant les résultats de tous ses membres. Dans ce cas, le plafond de 3 000 000 € s’apprécie au niveau du groupe.

Pour les entreprises qui sont membres d’un groupe consolidé à des fins de comptabilité financière, une clause de sauvegarde peut être prévue. Deux options sont possibles : soit l’entreprise membre d’un tel groupe consolidé comptablement peut être autorisée à déduire l’intégralité des surcoûts d’emprunt si le ratio entre ses fonds propres et ses actifs est supérieur au ratio équivalent du groupe, soit une telle entreprise est autorisée à déduire les surcoûts d’emprunts calculés par rapport au ratio du groupe.

Peuvent également être prévus des mécanismes de report des intérêts excédentaires selon plusieurs modalités (soit en avant de manière illimitée, soit en avant de façon illimitée et en arrière sur 3 exercices maximum). Le report de la capacité d’EBITDA non utilisée (en avant sur 5 ans maximum) peut être combiné avec le report illimité des intérêts excédentaires mais seulement en avant.

Une clause de grand-père peut permettre d’exclure les prêts contractés avant le 17 juin 2016. Pour les prêts contractés avant cette date mais faisant l’objet de modifications ultérieures, l’exclusion ne s’appliquera pas à l’augmentation du capital prêté ou à la durée du prêt, mais sera limitée aux conditions du prêt initial (considérant 8).

Les prêts contractés, y compris auprès de parties liées, pour financer un projet européen d’infrastructures publiques à long terme peuvent également être exclus de la règle de limitation de la déductibilité des intérêts.

On notera que cette règle constitue un standard minimum européen. Les Etats membres peuvent utiliser également des règles ciblées pour lutter spécifiquement contre l’endettement intragroupe – telles que les règles de sous-capitalisation (considérant n°6).

Enfin, les entreprises financières (au sens de l’article 2 (5) de la directive) peuvent ne pas être concernées par cette limitation.

S’agissant de l’entrée en vigueur de l’article 4, une dérogation sera accordée aux Etats membres qui, à la date d’entrée en vigueur de la directive, sont dotés de mesures de droit interne, ciblées et d’effet équivalent à celles de la directive, et qui pourront alors appliquer celles-ci jusqu’à ce que l’OCDE érige les règles de l’action 4 du plan BEPS en standard minimum (ce qui n’est pas prévu pour l’heure et, s’agissant d’un droit mou, nous semble aujourd’hui une évolution hautement hypothétique), ou au plus tard jusqu’au 1er janvier 2024. Pour bénéficier de cette dérogation, les Etats membres concernés doivent communiquer à la Commission européenne, avant le 1er juillet 2017, les éléments nécessaires à l’évaluation de la comparabilité de leurs mesures internes. Il nous semble que la France dispose de règles nationales « aussi efficaces » que celles de la directive. On attendra la position du Ministre s’agissant de l’appréciation du régime français du rabot et l’usage, que l’on espère positif, que la France pourrait faire de cette possible dérogation.

3. Dispositifs hybrides : empêcher les entreprises d’exploiter des asymétries nationales pour éluder l’impôt (mesure BEPS-OCDE) art. 9

Un dispositif hybride est caractérisé lorsque deux Etats membres donnent une qualification juridique différente au même contribuable (entité hybride) ou au même paiement (instrument hybride) conduisant à une double non-imposition (double déduction ou déduction/exonération). Dans ce cas l’une des deux juridictions devra alors refuser la déduction d’un paiement conduisant à ce type de revenu. En cas de double déduction, la déduction ne doit être accordée que par le pays de la source du revenu. En présence d’une déduction sans prise en compte du revenu correspondant dans l’autre Etat, l’Etat membre du contribuable doit refuser la déduction.

La mesure concerne les situations entre un contribuable établi dans un Etat membre et une entreprise associée (détention de droits de vote ou au capital directement ou indirectement à 50 % au moins) établie dans un autre Etat membre, ou un dispositif structuré conclu entre parties établies dans des Etats membres différents.

La Commission européenne a prévu que des travaux supplémentaires seraient entrepris afin de préciser les principes prévus par la directive.

4. Imposition à la sortie : empêcher les entreprises de délocaliser leurs actifs dans le seul but d’éviter l’impôt – art. 5

Tous les Etats membres appliqueront une taxe de sortie (« exit tax ») sur les actifs transférés hors de leur territoire. Un mécanisme d’étalement de l’imposition sur cinq ans en cas de transfert vers un autre Etat de l’UE ou de l’EEE est toutefois prévu.

Les Etats membres ont jusqu’au 31 décembre 2019 pour adopter des règles conformes.

5. Clause anti-abus générale : lutter contre la planification fiscale agressive lorsque d’autres règles ne s’appliquent pas – art.6

Devra être instaurée une règle anti-abus générale, visant les montages fiscaux non-authentiques, lorsqu’il n’existe pas d’autre règle anti-abus applicable spécifiquement à un tel montage, très proche de la nouvelle clause anti-abus prévue par la directive mère-fille.

Le calendrier de mise en œuvre

La Directive devra être transposée en droit interne avant le 31 décembre 2018 pour une application à compter du 1er janvier 2019.

Toutefois, s’agissant de l’article 4 (limitation de la déduction des intérêts), une dérogation est accordée aux Etats membres qui à la date d’entrée en vigueur de la directive, ont des mesures de droit interne, ciblées et équivalentes à celles de la directive, et qui pourront appliquer celles-ci jusqu’à ce que l’OCDE érige les règles de l’action 4 du plan BEPS en standard minimum, ou au plus tard jusqu’au 1er janvier 2024.

La Commission européenne évaluera la mise en œuvre de la directive 4 ans après son entrée en vigueur (qui intervient le 20e jour suivant celui de la publication au JOUE de la directive) et en rendra compte au Conseil de l’UE.

 


 

1 Le Conseil de l’UE, statuant à l’unanimité conformément à une procédure législative spéciale, et après consultation du Parlement européen et du Comité économique et social, arrête les directives en matière de fiscalité directe (TFUE, art. 115).
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