Du 27 avril au 30 juin 2010, la Commission européenne a initié une consultation sur la double imposition et le marché intérieur. En lançant cette consultation publique, la Commission invite les parties prenantes à présenter des cas concrets de double imposition survenus dans l’exercice des activités transfrontalières des ressortissants européens. La consultation porte sur les impôts payés directement à l’administration fiscale (impôts directs), comme l’impôt sur le revenu, l’impôt sur les sociétés, l’impôt sur les plus-values, les retenues à la source, les droits de succession et l’impôt sur les donations.
L’objectif de la Commission est d’avoir une idée de l’ampleur du phénomène et de ses incidences financières. Mais il s’agit aussi de savoir s’il a été mis fin à un cas de double imposition à la suite du recours introduit auprès d’une ou plusieurs autorités fiscales et surtout de connaître la durée de la procédure.
Fin janvier 2011, la synthèse de cette consultation a été publiée et montre qu’en dépit de la mise en place du marché commun les obstacles fiscaux demeurent.
Alors que la Commission européenne vient de publier sa proposition de directive en vue d’instaurer une Assiette Commune Consolidée pour l’Impôt sur les Sociétés (ACCIS, voir Adoption par la Commission d’une proposition de directive ACCIS) et qu’elle a adopté fin octobre 2010 un « Acte pour le marché unique » (voir L’Acte pour le Marché unique et la reprise des travaux pour une assiette commune consolidée des sociétés dans l’Union européenne), les résultats de sa consultation publique sur les conventions préventives de la double imposition dans le marché intérieur menée pendant plusieurs mois montrent l’ampleur du travail qu’il reste encore à accomplir.
En effet, dans les conclusions publiées le 25 janvier 2011, il apparaît que les 185 réponses reçues par la Commission en provenance des Etats membres (et une en provenance d’un Etat tiers) font état de 388 cas de double imposition. Même s’il ne s’agit pas d’un échantillon représentatif, il est légitime de se demander si un tel résultat est conforme aux attentes des opérateurs économiques après 52 ans d’intégration économique progressive dans un marché que l’on souhaite unique depuis 1993.
Ainsi, sur les 388 cas de double imposition signalés :
- 280 viennent de sociétés et 108 personnes physiques ;
- 47 cas impliquaient un Etat tiers ;
- 34% des cas rapportés étaient relatifs aux prix de transfert (premier cas de double imposition dans l’étude).
Plus inquiétant, dans une certaine mesure, seules 6% des sociétés ayant répondu disent n’avoir jamais rencontré de cas de double imposition transfrontalière.
Au-delà du nombre de cas, c’est surtout les montants en cause qui permettent de prendre l’ampleur du phénomène pour les entreprises et les particuliers européens. En effet, plus de 20% des situations rapportées par les entreprises avaient un enjeu de plus de 1 million € et plus de 35% des cas rapportés par les particuliers avaient un enjeu de plus de 100 000 €.
En ce qui concerne le « profil » des sociétés qui ont répondu, il est intéressant de voir que 33 ont un chiffre d’affaires (ci-après CA) de plus de 100 millions € ; 13 ont un CA entre 100 millions et 1 milliard € ; 16 entre 1 et 10 milliards € et 4 au-dessus de 10 milliards €.
En outre, 4 des groupes de sociétés ayant participé à la consultation ont plus de 100 entités dans l’UE ; 3 entre 51 et 100 ; 8 entre 21 et 50 ; 10 entre 11 et 20.
Ainsi, et au regard de ces éléments chiffrés, tous les Etats membres sont concernés, deux sont largement en tête des cas rapportés : la France (77) et l’Allemagne (55). Cela peut s’expliquer par le fait que ces deux Etats sont :
- Parmi les deux Etats où le plus souvent résident les répondants (France = 7, Allemagne = 20. Le UK arrive en deuxième position avec 11) ;
- Les deux Etats où les groupes / sociétés ayant répondu sont les plus actifs (France = 51 ; Allemagne = 44).
En ce qui concerne les particuliers, France et Allemagne :
- Sont parmi les deux Etats où le plus souvent résident les répondants (F = 13 et A = 12, mais Belgique = 32) ;
- 47 cas de double imposition concernant les particuliers impliquaient la France et 24 l’Allemagne (41 avec la Belgique) ;
- Mais cela s’explique sûrement par le fait que la France (9) et l’Allemagne (2) sont les Etats où les personnes ayant répondu sont actives professionnellement (Belgique = 6). D’ailleurs, 29 des cas de double imposition concernent les revenus d’activité (14 pour les dividendes, qui arrivent en 2ème position, 10 pour les pensions qui arrivent en 3e position).
Cet état des lieux est d’autant plus regrettable que les causes de double imposition sont identifiées depuis la communication COM(2001)582 du 23 octobre 2010, « Vers un marché intérieur sans entraves fiscales ». Il s’agit notamment :
- Des nombreux problèmes liés au traitement fiscal des prix de transfert intragroupe ;
- Des flux transfrontières de revenus entre sociétés liées qui sont le plus souvent sujets à des impositions supplémentaires ;
- Des limitations au rapatriement des pertes transfrontières ;
- Des opérations transfrontières de restructuration qui soulèvent des impositions substantielles ;
- Des conflits de droit d’imposition, qui sont souvent source de double imposition ;
- De certains systèmes fiscaux comprenant des incitants en faveur des investissements domestiques ;
- De la multiplication des législations fiscales, des conventions et des pratiques qui entraînent de substantiels coûts de mise en conformité et représentent en eux-mêmes un obstacle à l’activité économique transfrontière.
En dépit des avancées du droit communautaire notamment par le biais de la coordination, la consultation révèle que ces problèmes perdurent et que d’autres doivent être traités, quand bien même une possible ACCIS serait instaurée et en dépit des progrès réalisés grâce au Forum conjoint en matière de prix de transfert et de l’usage de la soft law.
Une première série de « nouveaux » problèmes réside dans l’insuffisance des instruments existants en vue de lutter contre la double imposition. C’est en particulier le cas :
- Du champ d’application de la directive I+R qui ne couvre pas les détentions indirectes ;
- De la procédure amiable de la convention d’arbitrage et des conventions fiscales qui ne permettent pas une résolution des conflits dans des délais raisonnables;
- De l’absence de prise en compte par les conventions fiscales bilatérales des situations triangulaires ;
- Du champ d’application des conventions fiscales qui est trop étroit (elles ne couvrent pas les successions et donations) ;
Une seconde série de difficultés nouvelles réside dans le mauvais fonctionnement des instruments existants pour supprimer la double imposition. Et ces difficultés apparaissent plus complexes à résoudre que les précédentes puisqu’il est notamment mis en avant :
- L’absence d’interprétation cohérente des conventions fiscales entre Etats membres ce qui conduit à des conflits de qualification (principalement : le concept de redevances, de revenus d’entreprise, de dividendes, d’établissement stable) ;
- L’intégration dans les Etats membres de conventions fiscales qui peut conduire à l’adoption de mesures procédurales qui sont en pratique incohérentes et qui privent les contribuables des droits offerts par les conventions.
Nul doute que la Commission devra s’inspirer de l’ensemble de ces développements pour mettre en place une stratégie nouvelle en la matière qui pourrait bien viser l’objectif que les auteurs du rapport Neumark appelaient de leurs vœux dès 1962 : une convention fiscale européenne multilatérale !