Loi Pacte et Responsabilité Sociétale de l’Entreprise : un nouveau défi dans le partage de valeur avec les salariés

Dans le cadre des derniers débats parlementaires relatifs à la Loi Pacte qui ont agité le Parlement mais également la société civile et les acteurs économiques, il n’aura échappé à personne que notre pays souhaite se doter d’un cadre particulièrement ambitieux pour la compétitivité du territoire français

En effet, les autorités publiques françaises poursuivent depuis plusieurs mois déjà, le projet de promouvoir et de développer l’attractivité de la France par l’instauration d’un certain nombre de mesures nouvelles et de réformes structurelles majeures. Citons à ce titre, la réforme des produits d’épargne retraite dont l’une des finalités affichées est de simplifier les différents produits proposés aux épargnants et d’assurer dans le même temps une uniformisation du régime fiscal et social applicable. Cela étant et compte-tenu de la complexité de mise en œuvre, les députés ont autorisé le Gouvernement1 à prévoir par voie d’ordonnance, le régime fiscal et social des produits d’épargne retraite dans les dix mois qui suivent la publication de la Loi Pacte. Pour le reste, les débats se poursuivent après l’échec de la Commission Mixte Paritaire le 20 février 2019 et l’adoption de la Loi Pacte en deuxième lecture par l’Assemblée nationale le 15 mars dernier. Sans remettre en cause l’importance d’une telle réforme pour les épargnants et l’ensemble du secteur de l’assurance, un autre dispositif de la Loi Pacte mérite néanmoins notre attention et ne devrait pas, à notre sens, être sous-estimé par les différents acteurs concernés.

Le Gouvernement vient en effet, dans le cadre de cette Loi Pacte, pousser les entreprises à repenser leur place dans notre société, en mettant au cœur de leur stratégie et de leur compétitivité le concept de Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE).

Il est intéressant de remonter à l’origine du concept de RSE pour mieux appréhender les évolutions qui conduisent aujourd’hui le Parlement à légiférer sur cette pratique dans le cadre de la Loi Pacte.

Il faut remonter au XXe siècle pour voir apparaître aux Etats-Unis les prémices du concept de RSE. Il s’est développé, comme c’est très souvent le cas, en Doctrine en se fondant sur la notion de philanthropie. A cette époque, certains auteurs sont partis du postulat que dès lors qu’un homme d’affaires avait réussi économiquement, il était investi d’un devoir : celui de justifier de son enrichissement en le mettant au profit de sa communauté.

C’est ensuite dans les années 1920-1930 que va véritablement apparaître l’idée qu’il existe un lien entre la Société et l’Entreprise et que ce lien doit être soutenu par l’entreprise de manière exemplaire. C’est ainsi que vont fleurir au sein même des entreprises, des règles de bonne conduite (notamment le Code AFEP-MEDEF ; développement de benchmark) permettant à leurs dirigeants de s’autoréguler au-delà du cadre réglementaire existant. Il est vrai que ce concept de RSE n’est pas nouveau pour les dirigeants et les comités exécutifs, qui n’ont pas attendu la Loi Pacte pour prendre conscience de l’impact non-négligeable que peut représenter leurs activités sur leur environnement écologique, social, économique ou humain et d’agir en considération de ces réalités.

Cette volonté d’être « socialement responsable » répond depuis longtemps à une sollicitation et à une demande des parties prenantes « externes » des entreprises, notamment de la part de leurs investisseurs, des pouvoirs publics ou encore de leurs clients. Cette émergence de l’initiative « privée » (Soft Law) et de cette volonté toujours plus forte d’autorégulation des entreprises peut notamment s’expliquer par la difficulté que rencontre le pouvoir législatif de se saisir de ces sujets et de les soumettre à son pouvoir normatif (Hard Law) – dès lors qu’il se pose comme le garant de l’intérêt général et à ce titre régulateur de l’activité économique des entreprises.

Or, le tournant majeur que nous pouvons observer avec la Loi Pacte réside précisément dans la volonté affichée du Législateur de contraindre les entreprises à tenir compte de ses parties prenantes « internes », en plaçant les salariés au cœur de sa démarche. Et tout l’enjeu est là : la législation de ces principes est-elle une étape indispensable pour une intégration et une application effective par l’ensemble des parties concernées ?

Nous pouvons légitimement nous interroger sur la solution choisie par les autorités publiques qui souhaitent ainsi développer par la contrainte une gouvernance dont le salarié-actionnaire serait l’un des acteurs clés ou encore le pivot.

Les quelques observations ci-après illustrent bien les difficultés de concilier ces exigences avec la liberté d’entreprendre. Dans ce contexte, l’émergence d’Actionnaires-salariés reste soumise à la bonne volonté des entreprises, sans que le régime des prélèvements obligatoires ne l’encourage clairement.

Comment ce projet ambitieux se traduit-il concrètement dans les dispositions de la Loi Pacte ?

La première mesure phare du projet vise évidemment à toucher directement à l’objet social de l’entreprise (tel que défini à date à l’Article 1382 du Code civil) afin de prendre en considération « les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ».

Dans la même perspective, il est prévu que soit refondé le code AFEP-MEDEF ainsi que le Haut Comité de Gouvernance d’Entreprise et plus largement que soit améliorée la relation actionnaires-investisseurs, en proposant notamment de rendre obligatoire la présence de deux salariés aux Conseils d’Administration. Ces deux mesures appellent les commentaires suivants.

D’une part, en tant que praticien du droit, nous ne pouvons que constater avec regret la difficulté pour le pouvoir législatif de s’assurer d’ores et déjà de l’effectivité de la  Soft Law, au premier rang duquel compte le Code AFEP-MEDEF. Aussi, en envisager se refonte laisse à sourire.

D’autre part, la mesure visant à une représentation obligatoire des salariés aux Conseils d’Administration – bien que respectable dans son principe – peut interroger eu égard aux développements de nouveaux comportements qui ont pu être constatés depuis l’arrivée des salariés-administrateurs au sein des Conseils d’Administration (ex : prise de décisions à forts enjeux en dehors de l’instance du Conseil).

Dans ce contexte, il y a fort à parier que le développement des salariés-actionnaires aura pour principal moteur l’épargne salariale et l’actionnariat salarié (via les dispositifs d’attributions gratuites d’actions). En effet, la mesure particulièrement forte du projet tient dans les objectifs affichés par les pouvoirs publics en matière de partage de valeur à l’horizon 2030. Pour rappel, cet objectif est double :

  • d’une part, prévoir une épargne salariale pour tous les salariés – en effet, seuls 16% des salariés des entreprises de moins de 50 salariés sont couverts par au moins un dispositif d’épargne salariale 
  • d’autre part, permettre aux salariés de détenir au moins 10% du capital social de leur entreprise

Si ces mesures peuvent réjouir en premier lieu les salariés et les praticiens-experts en dispositifs d’épargne salarial et d’actionnariat salarié que nous sommes, un certain nombre d’incertitudes demeurent qui pourraient tuer dans l’œuf ces belles ambitions.

Quels sont les moyens dont disposent les entreprises pour parvenir aux objectifs fixés par la Loi Pacte ?

S’il est en effet louable pour le Législateur d’améliorer le partage de valeur avec les salariés, encore faut-il que ces objectifs de partage de valeur soient atteignables pour les entreprises ; sans quoi les effets à moyen terme de ces mesures ne seront pas au rendez-vous.

Et quoi de plus fondamental lorsque l’on souhaite porter ce type de réforme sociétale, que de s’interroger sur les moyens à disposition des entreprises ainsi que sur les conditions de mise en œuvre pour parvenir à un véritable partage de valeur avec les salariés.

Or, il semblerait précisément qu’un certain nombre de craintes et d’interrogations commencent déjà à apparaître du côté des entreprises – acteurs clé de ces mesures.

Afin de tenter de dissiper ces incertitudes, il convient de rappeler que pour parvenir à ce seuil symbolique de 10% du capital social détenu par les salariés, le Parlement a déjà procédé à une réforme salutaire mais partielle de l’épargne salariale2 : en supprimant le forfait social sur les sommes versées au titre de l’intéressement3 et sur l’ensemble des versements d’épargne salariale pour les plus petites entreprises4, l’investissement des salariés va pouvoir trouver un relais efficace.

Néanmoins, la réforme n’est pas allée aussi loin qu’elle aurait dû et si les autorités publiques souhaitent obtenir des résultats concrets en matière de partage de valeur, une suppression totale du forfait social (qui a été abaissé à 16 % pour les versements volontaires de l’employeur dans les supports d’épargne retraite ) devra être envisagée et ce, de façon pérenne. En effet, aujourd’hui, le poids du forfait social est tel, que le salarié voit ses capacités d’investissement dans des actions de son entreprise ou même dans des supports d’investissement socialement responsables (ISR) considérablement réduites – ce qui est regrettable.

Le deuxième moteur pour favoriser le partage de valeur avec les salariés réside dans l’actionnariat salarié, qui devrait prendre notamment la forme d’attributions gratuites d’actions. Si le législateur a considérablement assoupli le cadre juridique de ces attributions depuis la Loi « Macron » du 8 août 2015 et a libéré ensuite le poids des prélèvements obligatoires pesant sur les revenus de capitaux mobiliers et sur les plus-values de cession par l’instauration de la Flat Tax6, les gains d’acquisition tirés de ces dispositifs en sont encore exclus. Or, l’un des leviers principaux pour soutenir le développement de l’actionnariat salarié et de facto la participation des salariés au capital social de leur entreprise réside dans une fiscalité favorable aussi bien pour le bénéficiaire, que pour l’entreprise qui les met en place.

Quels sont les obstacles qui pourraient fragiliser le développement de la participation des salariés au capital social de leur entreprise ?

Dans cette évolution profonde qui souhaite consacrer le passage de l’actionnariat salarié au salarié-actionnaire, il est également légitime de s’interroger sur le positionnement de ce dernier au sein de l’entreprise : comment sera gérée cette double casquette par le salarié et par les dirigeants/comité exécutifs ? Quels seront les moyens à mettre en œuvre par les entreprises pour permettre au salarié de jouer son nouveau rôle d’actionnaire ? L’appréhension des données habituellement communiquées à des investisseurs-professionnels sera-t-elle possible et envisageable pour tous les salariés, compte-tenu de la diversité des profils ?

Le principe même de partager de la valeur à tout prix avec les salariés interroge également. Quid de l’absence de valeur créée ? Est-ce que les choix financiers laissés aujourd’hui à l’entière discrétion des dirigeants, pourraient demain être remis en cause par le législateur ?

De même, l’incitation qui est faite aux salariés d’investir au capital de leur société ne doit pas être sous-estimée au regard de la prise de risque capitalistique qu’il représente. En effet, la gestion efficace en bon père de famille de ses placements financiers commande en principe une diversification des supports dans lesquels on est investi – ceci, afin de répartir la prise de risque et la possible perte en capital qui pourrait en résulter. Or, un salarié investi uniquement en actions de sa société peut être fortement exposé à la volatilité de l’action et à un risque de perte élevé. Ceci est d’autant plus prégnant au regard de la baisse de -11 % enregistrée par le CAC 40 au titre de l’année 2018. Dans ce cas précis, il n’est d’ailleurs pas prévu que le forfait social qui a été liquidé lors de l’investissement soit remboursé à l’employeur.

Une piste de réflexion pourrait être pour les entreprises de calibrer leurs attributions d’actions gratuites en les couplant à des mécanismes conduisant à de véritables investissements financiers pour leurs salariés et encadrés juridiquement et fiscalement comme tels, par exemple le co-investissement.

On le voit, le sujet est loin d’être si simple et il est clair qu’une application trop systématique et sans nuance du seuil de 10 % de salariés–actionnaires à toutes les entreprises, sans tenir compte ni de leurs tailles, ni de leurs stratégies financières et capitalistiques (cotée/non-cotée) pourrait être un frein réel dans le succès de ces mesures.

Ce cadre législatif trop flou et l’absence de modalités pragmatiques de mises en œuvre pourraient même mener à ce que les entreprises soient de nouveau tentées de s’éloigner de ce nouveau cadre coercitif afin de continuer à développer leurs propres règles plus en phases avec leurs objectifs. Cela conduirait à renforcer l’écart qui existe déjà entre la Soft Law et la Hard Law.

Les problématiques sont posées et il conviendra d’être particulièrement vigilant lors des prochaines semaines pour s’assurer que la volonté du Gouvernement de faire des salariés l’un des acteurs centraux de la responsabilité sociétale des entreprises soit à la hauteur de ses ambitions. Dès lors les entreprises devront s’assurer de proposer des mécanismes d’investissements attractifs dans la durée afin de fidéliser l’actionnaire salarié tout en renforçant leurs capacité d’investissement.


Lors du vote à l’Assemblée nationale en première lecture le 9 octobre 2018 du projet de Loi Pacte

Dans le cadre de l’adoption de la Loi de Financement de la Sécurité Sociale 2019

Pour les entreprises de moins de 250 salariés

Pour les entreprises de moins de 50 salariés

Dans le cadre de la Loi Pacte

Taux maximum de 34% (se décomposant comme suit : 12,8% d’impôt sur le revenu + 17,2% de prélèvements sociaux + 4% de Contribution sur les Hauts Revenus)

Nicolas Meurant

Nicolas Meurant, Avocat Associé, a plus de 23 années d’expérience de conseil aux sociétés et aux particuliers dans un environnement international. Il a développé une solide compétence en matière de […]