Le présent article met à jour notre précédent article « BSPCE : une décote pour les jeunes entreprises innovantes françaises ? » publié sur notre blog le 17 janvier 2024.
Les vertus du régime juridique et fiscal des BSPCE sont bien connues des entrepreneurs et des salariés des Jeunes Entreprises Innovantes (JEI). On a pu constater ces derniers mois des évolutions jurisprudentielles marquantes, ainsi qu’une modification de la doctrine administrative les 27 mars et 16 mai 2024. Ces évolutions contribuent à renforcer l’attractivité des BSPCE en modifiant son régime de manière substantielle.
La première modification de la doctrine administrative fait suite à l’annonce qui avait été faite par l’ancien Ministre délégué chargé du Numérique, Jean-Noël Barrot, pour les 10 ans du label French Tech à Bercy en octobre 2023. Les commentaires relatifs au prix d’acquisition des titres souscrits en exercice de BSPCE ont été intégrées au sein du BOI-RSA-ES-20-40-20.
La seconde modification concerne la possibilité d’exercer ses BSPCE via les fonds du compte espèce du PEA, et fait suite à un arrêt du Conseil d’État de décembre 2023.
Pour rappel, les BSPCE sont des instruments financiers destinés aux startups dont le mécanisme est proche de celui des stock-options. Ils permettent à leurs bénéficiaires de souscrire des actions de la société émettrice à un prix fixé au jour de leur attribution. Côté bénéficiaire, le gain réalisé au jour de la cession des actions sous-jacentes bénéficie d’un régime fiscal et social de faveur. Côté employeur, l’intérêt réside dans la possibilité d’attirer et de fidéliser des talents par l’attribution de BSPCE, objectif particulièrement important pour les jeunes entreprises.
Il est donc urgent de repenser votre politique d’attribution afin de tenir compte des ces évolutions.
Précisions sur le prix d’acquisition des titres souscrits en exercice des BSPCE
En matière de BSPCE, la loi n’apporte pas de précisions quant aux modalités de détermination du prix d’exercice des BSPCE ; hors cas spécifique d’une augmentation de capital ayant eu lieu dans les 6 mois précédents, auquel cas le prix d’exercice doit être au moins égal à la valeur de marché des titres sous-jacents.
La pratique de marché fixe en principe le prix d’exercice à la valeur de marché des titres sous-jacents à la date d’attribution.
Dans sa nouvelle doctrine administrative, l’Administration confirme cette pratique de marché en indiquant que le prix d’exercice « peut notamment être déterminé à la juste valeur du titre au jour de l’attribution, conformément aux méthodes financières objectives retenues en matière d’évaluation de titres. » Nous ne pouvons que saluer l’utilisation judicieuse de l’adverbe « notamment » permettant la prise en compte de chaque situation au cas par cas.
Application d’une décote sur le prix d’exercice des BSPCE
Dans la pratique, la valorisation des titres non cotés prend déjà souvent en compte une décote d’illiquidité. Cette notion de décote est d’ailleurs reprise de longue date par l’administration fiscale, notamment dans son guide « L’évaluation des entreprises et des titres de sociétés », dont la dernière version date, malheureusement, de 2006. On la retrouve également dans certains cas de jurisprudence.
En outre, notons que la loi prévoit d’ores et déjà l’application d’une décote mais uniquement dans le cas particulier où une augmentation de capital (par émission de titres) aurait été réalisée dans les 6 mois précédant l’attribution des BSPCE et sous certaines conditions. C’est le cas notamment lorsque les titres qui avaient été émis lors de cette augmentation de capital et les titres auxquels donnent droit les BSPCE attribués n’ont pas les mêmes droits.
À cet égard, les nouveaux commentaires fiscaux apportent quelques exemples s’agissant de l’appréciation de la « différence de droits » permettant l’application de cette décote : clauses d’incessibilité/illiquidité (et notamment les causes dites de lock-up) ainsi que les clauses de liquidation préférentielles ; que ces clauses soient d’origine statutaires ou contractuelles (i.e. clause issue d’un pacte d’actionnaire, par exemple).
Si le principe de la différence de prix entre deux catégories d’actions en fonction de leurs termes et conditions (qui ne sont pas toujours indiqués dans les statuts) n’est pas nouveau, on pourrait, notamment, se demander si l’Administration accepterait, ou non, l’application d’une telle décote sur l’intégralité des titres d’une société (peu importe leur catégorie) soumis à une même clause d’incessibilité (et donc s’il n’existe pas de « différence de droits » à cet égard).
Une décote, mais à quel taux ?
Un article du quotidien Les Échos, en date du 24 octobre 2023 et partagé par l’ancien Ministre sur LinkedIn, laissait présager l’application d’une décote pouvant aller jusque – 90 %. Cela étant, et malgré les attentes du marché, la modification de la doctrine administrative n’intègre pas expressément le taux de décote qui pourrait être appliqué.
Il conviendra donc de déterminer avec diligence le niveau de la décote applicable au cas par cas en s’assurant que les différents exercices de valorisation réalisés par les startups dans le cadre des différentes opérations (attributions de BSPCE, exercice des BSPCE, obligations déclaratives, cession d’actions, etc.) respectent les exigences du droit fiscal.
Un effet limité ?
Si, à l’origine, l’annonce ministérielle semblait limiter le bénéfice d’une telle décote aux JEI (l’éligibilité à ce statut étant strictement règlementé), il n’est fait aucune mention à ce statut particulier dans les nouveaux commentaires intégrés au BOFiP. Nous pouvons donc nous réjouir que cette décote ne soit soumise à aucune condition liée au statut juridique de la société (sous réserve bien entendu de son éligibilité au régime des BSCPE).
Cela étant, on peut s’étonner que les commentaires administratifs sur cette décote soient expressément intégrés C-2 §150 du BOI-RSA-ES-20-40-20 portant sur les « Dispositions applicables en cas d’augmentation de capital dans les six mois précédant l’attribution des bons » ce qui peut interroger sur leur caractère général, ou non.
Une autre interprétation pourrait néanmoins être envisagée dans la mesure où les dispositions générales nouvellement modifiées (C-1 §140 du BOI-RSA-ES-20-40-20) indiquent que le prix d’exercice les BSPCE peut notamment être déterminé à la juste valeur des actions au jour de l’attribution, conformément aux méthodes financières objectives retenues en matière d’évaluation de titres : pourrait-on alors considérer que cette « juste valeur » doit d’ores et déjà tenir compte des différentes décotes, conformément aux principes issus de la jurisprudence de la Cour de cassation et du Conseil d’État ?
À l’heure où nous écrivons ces lignes, la doctrine ne se prononce, malheureusement, pas clairement sur ce point.
Un exercice des BSPCE via le compte espèce du Plan d’Épargne en Actions (PEA)
Notons enfin que le sujet de la valorisation est d’autant plus sensible qu’un récent arrêt du Conseil d’État du 8 décembre 2023 (n° 482922) valide la possibilité pour les contribuables d’utiliser les liquidités du PEA pour exercer les BSPCE.
À ce titre, la doctrine administrative a été modifiée le 16 mai 2024, par la suppression du §30 du BOI-RSA-ES-20-40-20 qui indiquait que les BSPCE « ne peuvent donc figurer ni sur un plan d’épargne en actions (PEA), ni sur un plan d’épargne salariale, notamment sur un plan d’épargne d’entreprise (PEE). Il en est de même des titres acquis en exercice de ces bons. »
Cela étant, à notre avis, si les droits issus de l’exercice des BSPCE peuvent en effet être inscrits sur le PEA (sous réserve de l’éligibilité des titres sous-jacents au PEA), cela ne signifie pas pour autant que les BSPCE en tant que tels puissent figurer sur un PEA, un plan d’épargne salariale ou un PEE.
Points clés à retenir
La modification de la doctrine administrative confirme bien qu’en cette période de volatilité des marchés, le principe d’une décote suite aux opérations sur le capital est reconnu par la loi. L’Administration, sans donner de pourcentage de décote précis, s’est implicitement référée à la jurisprudence de la Cour de cassation et du Conseil d’État.
Les commentaires administratifs ont également été mis à jour le 16 mai 2024 pour tenir compte de la jurisprudence du 8 décembre 2023 dans laquelle le Conseil d’État reconnait la possibilité d’inscrire les actions souscrites par l’exercice de BSPCE au moyen du compte espèce du PEA de l’actionnaire individuel concerné (n° 482922)
Compte tenu de ces évolutions, les BSPCE confortent leur qualité de meilleur outil d’actionnariat salarié, essentiel à l’attractivité de la France et à la localisation sur notre territoire des sociétés innovantes et de la French tech !