Dans la lignée de sa jurisprudence Stéria, la CJUE vient de préciser sa grille de lecture s’agissant de la conformité au droit de l’UE d’avantages réservés aux membres de régimes de groupes, autres que le transfert des pertes au sein du groupe.
La CJUE examine, dans deux affaires jointes, la compatibilité au droit de l’UE de deux avantages résultant du régime néerlandais de l’entité fiscale unique, l’un lié à la déductibilité des intérêts d’emprunt contracté dans le but de financer l’acquisition du capital d’une filiale, et l’autre à la déductibilité des moins-values résultant de la variation du taux de change relative au montant des participations dans une filiale de la société mère du groupe intégré.
En premier lieu, la CJUE rappelle que le fait, pour un Etat membre, de réserver un avantage tel que le transfert des pertes aux sociétés membres d’un groupe intégré constitue une différence de traitement justifiée au regard de la nécessité de préserver la répartition du pouvoir d’imposer (CJUE, 25 février 2010, aff. C-337/08, X Holding).
Elle confirme également que tout avantage fiscal autre que le transfert des pertes à l’intérieur du groupe fiscal intégré doit faire l’objet d’un examen de compatibilité avec la liberté d’établissement (CJUE, 2 septembre 2015, aff. C-386/14, Groupe Stéria, point 27). Il convient ainsi d’examiner séparément la question de savoir si un Etat membre peut réserver de tels avantages aux sociétés membres d’un groupe fiscal intégré et, par voie de conséquence, les exclure dans des situations transfrontalières.
- Dans la première affaire (C-398/16), une société de droit néerlandais a créé une société italienne à laquelle elle a fait un apport en capital financé par un prêt contracté auprès d’une société suédoise du groupe auquel elle appartient afin d’acquérir une société de droit italien. Elle soutenait qu’elle aurait pu déduire les intérêts d’emprunt en cause s’il lui avait été possible de former une entité fiscale unique avec sa filiale italienne. Or, cette possibilité se trouve être réservée aux sociétés résidentes des Pays-Bas.
D’une part, le droit néerlandais prévoit une interdiction de la déduction des intérêts d’emprunt intra-groupe finançant l’acquisition du capital d’une filiale (loi relative à l’impôt sur les sociétés, art. 10a, § 2, sous b)). Cette interdiction est toutefois atténuée par une clause de sauvegarde selon laquelle les intérêts en cause peuvent être déduits dès lors que l’opération intra-groupe est économiquement justifiée (art. 10a, § 2, sous a)).
D’autre part, le régime de l’entité fiscale unique néerlandais permet de faire disparaître, pour les besoins du droit fiscal, les liens de participation existant entre les sociétés du groupe, tel qu’un apport en capital (loi relative à l’impôt sur les sociétés, art. 15). Dans cette hypothèse, la déduction des intérêts d’emprunt aurait été admise.
Après avoir vérifié l’existence d’une différence de traitement, elle recherche si les situations internes et transfrontalières sont comparables. Elle conclut par l’affirmative au regard de la combinaison des règles nationales en cause (règles de droit commun sur la déductibilité des intérêts d’emprunt intra-groupe et celles de l’entité fiscale unique).
Restait la question de la justification de la différence de traitement. Aucun des trois motifs examinés par la CJUE n’est toutefois susceptible de la justifier :- la nécessité de préserver la répartition du pouvoir d’imposer des Etats membres est écartée dès lors que le litige ne concerne pas un avantage spécifiquement lié à la constitution d’une entité fiscale unique mais la possibilité de déduire une charge d’intérêts, possibilité reconnue par le droit commun, et seulement restreinte en cas de financement d’acquisition intra-groupe (§ 40) ;
- la nécessité de sauvegarder la cohérence du système fiscal néerlandais est écartée en l’absence de lien direct entre l’octroi de l’avantage fiscal et la compensation de cet avantage par un prélèvement fiscal déterminé ; et
- l’objectif de lutte contre l’évasion et la fraude fiscales ne peut être admis en l’espèce comme une justification puisque si l’article 10a, § 2, sous b) procède d’une telle intention, il en va différemment de l’article 15 de la loi. Or, la différence de traitement en cause résulte de la combinaison de ces dispositions.
Ainsi, le dispositif néerlandais est jugé contraire à la liberté d’établissement.
- Dans l’affaire jointe (C-399/16), la CJUE examine un second avantage du régime de l’entité fiscale unique pour conclure à sa conformité au droit de l’UE.
En application du droit commun, une société mère établie dans un Etat membre n’est pas autorisée à déduire les moins-values découlant des variations du taux de change relatives au montant de ses participations dans une filiale établie dans un autre Etat membre lorsque les plus-values qui découlent de ces variations sont exonérées (règle dite de « l’exonération de participation », loi relative à l’impôt sur les sociétés, art. 13, § 1).
Il était soutenu que si la filiale était établie aux Pays-Bas, il lui aurait été possible de déduire cette moins-value dès lors que la société mère aurait pu constituer une entité fiscale unique avec sa filiale.
Mais, pour la CJUE, les sociétés détenant une filiale dans un autre Etat membre et celles détenant une filiale résidente des Pays-Bas avec laquelle elle forme une entité fiscale unique ne se trouvent pas dans une situation objectivement comparable au regard de la législation en cause. Une société néerlandaise ne peut subir de telles pertes de change sur sa participation dans une filiale résidente, exception faite des cas dans lesquels la participation est libellée dans une autre devise que celle dans lequel le résultat de la société est exprimé. L’examen de la contrariété s’arrête ici.
La CJUE avait déjà eu l’occasion de trancher cette question en 2015 en-dehors de toute hypothèse de consolidation (CJUE, 10 juin 2015, aff. C-686/13, X). Le régime de la « participation-exemption » n’est ni favorable, ni défavorable, il est neutre et dès lors ne peut être à l’origine d’aucune différence de traitement.
On retiendra que si cette décision n’impacte pas directement le régime de l’intégration fiscale français, elle devra nécessairement être prise en compte dans la réflexion entreprise par le gouvernement s’agissant de la refonte du régime de l’intégration fiscale.