La réforme du Code du travail : vers un nouveau modèle social

Dans l’histoire du droit du travail, les ordonnances Macron figureront en bonne place parmi les grandes réformes qui ont transformé le droit du travail. Elles marqueront une date clé, celle du tournant libéral pris par un pays pour opérer une refondation sociale et jeter les bases d’un nouveau modèle social.

Ce nouveau modèle repose sur une nouvelle vision du droit du travail et obéit à deux principes directeurs : celui de replacer les acteurs sociaux au centre du jeu et de rompre avec le passé, sans l’ignorer toutefois.

Une vision participative et économique du droit du travail

Le droit du travail repose traditionnellement sur une vision sociale et protectrice : il a pour objet de réguler les relations de travail et de rétablir l’équilibre des forces en faveur des salariés placés dans un rapport inégalitaire avec l’employeur.

Les ordonnances Macron s’inscrivent dans une nouvelle perspective, en retenant une vision participative et économique du droit du travail :

  1. les règles du droit du travail doivent d’abord être élaborées par ceux auxquelles elles s’appliquent (entreprises et salariés, représentés ou non par des syndicats) ;
  2. elles doivent ensuite, a minima, ne pas entraver le bon fonctionnement de l’entreprise, lieu de création de richesses et d’emplois et, dans la mesure du possible, contribuer à l’amélioration de leur compétitivité, et partant, de l’attractivité de l’économie française.

    Le droit du travail mis au service des entreprises et de l’économie. Les temps ont changé : les trente glorieuses sont un lointain souvenir et la crise est là, qui s’enkyste.

Replacer les acteurs au centre du jeu

Le nouveau modèle social français confie à ses acteurs (entreprises et salariés, directement ou par l’intermédiaire de ses représentants) le soin de déterminer leur destinée :

  • Les modalités de la négociation collective obligatoire dans l’entreprise (thèmes, périodicité …) peuvent être déterminées par la négociation collective elle-même; de même, le fonctionnement du nouveau comité social et économique (CSE) pourra être déterminé par accord entre le comité et l’employeur.
  • Dans les TPE et PME, comptant 20 salariés au plus, soit l’immense majorité des entreprises françaises, en l’absence d’élu au CSE, les salariés participeront directement à la détermination de leurs conditions de travail, sans médiation syndicale, en ratifiant des accords proposés par l’employeur.

Rompre avec le passé

Le nouveau modèle social n’hésite pas à tirer un trait sur le passé, en s’inspirant d’idées qui étaient déjà dans l’air ou en posant des idées neuves.

Avec la fusion des instances représentatives du personnel, de vieilles institutions, témoignages, dans l’imaginaire syndical, d’un passé glorieux de luttes et de conquêtes, sont abolies : le CSE remplace les délégués du personnel nés en 1936, le comité d’entreprise, né en 1945 et le CHSCT, qui s’était affranchi du comité d’entreprise en 1982. Le délégué syndical d’entreprise, né en 1968, est lui-même emporté dans la tourmente de la simplification puisque le CSE, transformé par accord collectif en conseil d’entreprise, peut intégrer ses attributions.

Le nouveau modèle social bouscule aussi des principes du droit du travail jusque-là bien établis.

Les exemples sont nombreux. On en retiendra deux seulement, parmi les plus significatifs.

Premier cas : l’accord collectif peut modifier le contrat de travail et le refus du salarié de s’y plier l’expose à un licenciement justifié. La volonté collective (l’accord collectif) l’emporte sur la volonté individuelle (le contrat de travail). La loi de la majorité s’impose à tous. La puissance de l’accord collectif est à son apogée et jamais le contrat de travail n’a été autant chahuté. Le temps où il régnait en maitre et pouvait paralyser l’application d’un accord collectif est révolu.

Deuxième cas : un plan de départs volontaires, mis en place par accord collectif et validé par l’Administration, peut être opéré sans motif économique et, par voie de conséquence, sans avoir à établir un PSE. Un départ volontaire ne s’analyse plus en une rupture du contrat pour motif économique. Le nouveau dispositif est appelé rupture conventionnelle collective.

Chacun de ces deux cas illustre la vision économique du droit du travail. Dans chacun de ces deux cas, on offre à l’entreprise un puissant outil de gestion, inégalé jusque-là et appelé à un bel avenir : dans le premier cas, très largement ouvert, l’entreprise est autorisée à lever des contraintes qui pèsent sur son fonctionnement en prenant des mesures qui peuvent s’avérer drastiques (baisse des salaires ou augmentation de la durée du travail notamment) ; dans le second cas, l’entreprise peut ajuster ses effectifs à la baisse, en évitant tout licenciement sec, via des départs volontaires, moins traumatisants pour les salariés.

Innover dans la continuité

Le nouveau modèle social français s’inscrit aussi dans la continuité du passé. Celle-ci n’exclut toutefois pas l’innovation.

Tel est le cas de la primauté de l’accord collectif d’entreprise sur l’accord de branche, principe posé avec force par la loi Travail et décrié sous l’appellation d’inversion de la hiérarchie des normes.

Ce principe sort doublement renforcé des ordonnances.

Tout d’abord, est instauré un domaine réservé à l’accord collectif d’entreprise : si, sur certains sujets, limitativement énumérés, l’accord de branche prévaut sur l’accord d’entreprise, sur tous les autres, c’est l’accord d’entreprise qui règne en maître.

Bien plus, même sur les sujets sur lesquels l’accord de branche prévaut sur l’accord d’entreprise, ce dernier peut finalement l’emporter s’il offre « des garanties au moins équivalentes ». La notion d’équivalence des garanties est nouvelle en droit du travail. Elle se substitue au principe de faveur (application des dispositions les plus favorables), qui constituait jusque-là le principe clé d’articulation des normes conventionnelles. Avec cette nouvelle notion, les cartes sont rebattues, et on peut craindre que l’incertitude qui l’entoure ne génère du contentieux.

La réforme du Code du travail, opérée par les ordonnances, présente, par son ampleur, un caractère révolutionnaire. Elle secoue les vieux principes et pose des idées nouvelles. Elle ouvre une nouvelle ère Macron qui ne fait que commencer: les contraintes sociales pesant sur les entreprises sont moins fortes et en même temps … les salariés verront leurs droits à indemnité de licenciement augmentés.

Photo de Malik Douaoui
Malik Douaoui

Malik Douaoui, Avocat Associé, possède une expérience de plus de 20 ans en droit social. Il conseille ses clients dans la gestion des relations individuelles et collectives de travail ainsi […]