Dans une tribune au « Monde » (initialement parue le 15 décembre 2017 sur LeMonde.fr), l’avocat Gianmarco Monsellato estime que la fiscalité américaine, qui avait jusque-là encouragé l’expansionnisme financier, vise aujourd’hui à centraliser l’investissement aux Etats-Unis.
L’administration Trump est proche de faire aboutir la plus grande réforme fiscale américaine depuis l’administration Kennedy. Comme dans les années 1960, les Etats-Unis refondent en effet leur fiscalité pour assurer leur leadership international. Mais alors que la fiscalité Kennedy encourageait la conquête des marchés étrangers, la réforme Trump appelle à la centralisation des investissements aux Etats-Unis. Après l’expansion vient la concentration.
La baisse des taux, associée à l’accroissement de l’assiette – tous deux spectaculaires –, vise à avantager les groupes américains vis-à-vis de leurs concurrents étrangers et à attirer les investissements, surtout technologiques, aux Etats-Unis. Si la réforme n’est pas encore votée, il est probable qu’elle le sera d’ici la fin de l’année. Les entreprises et les décideurs européens doivent s’y préparer La baisse des taux est spectaculaire. Le taux d’impôt sur les sociétés passe à 20 %, pendant qu’on débat en France sur la perspective d’un taux à 28 %. Pour certains revenus de propriété intellectuelle, le taux effectif sera même quasi équivalent au taux irlandais, soit 12,5 %. Le débat européen sur l’agressivité du taux irlandais devient du coup pour le moins suranné.
Changement de paradigme
Un autre aspect de la baisse des taux est le changement de paradigme du code des impôts américain. Il passe d’une logique de taxation mondiale à une règle territoriale équivalente à celle que nous connaissons en France. Désormais, les entreprises américaines ne seront plus assujetties à l’impôt que sur leurs revenus locaux. Le symbole est fort d’une politique qui devient insulaire. Les revenus actuellement à l’étranger qui seraient rapatriés bénéficieront d’une imposition réduite, entre 10 et 15 % selon les débats parlementaires encore en cours, dont le paiement sera étalé sur 8 ans.
Le système Trump rend les paradis fiscaux obsolètes !
Alors que jusqu’à présent les entreprises américaines étaient incitées à laisser leurs profits à l’étranger et à les réinvestir hors des Etats-Unis, elles sont désormais fortement encouragées à les rapatrier durablement dans les frontières nationales. En effet, compte tenu de la faiblesse des taux et du système territorial, elles seront pénalisées si elles gardent leurs bénéfices à l’étranger.
Deux conséquences sont à prévoir. D’abord un transfert de capitaux massif de l’Europe et de l’Asie vers les Etats-Unis, qui ne sera pas sans conséquence sur la croissance de ces régions. D’autre part, la perte d’attractivité des pays à fiscalité très faible. Le système Kennedy incitait à stocker les profits étrangers dans des pays à fiscalité faible ou nulle pour les réinvestir sans frottements fiscaux. Le système Trump rend cette option sans intérêt, et les paradis fiscaux obsolètes!
Impact économique majeur
La hausse de l’assiette n’est pas moins spectaculaire. Elle repose sur trois mesures techniques, mais dont l’impact économique sera majeur. Premièrement, les intérêts payés au-delà d’un plafond sont taxés. Cette mesure, connue en France, aura des impacts importants surtout pour les prêteurs non américains, qui devraient subir un surcoût résultant de la double imposition.
Deuxièmement, les transactions des groupes étrangers avec leurs filiales américaines sont visées par une taxe spécifique. Deux versions existent: celle du Congrès et celle du Sénat. Cette dernière semble avoir plus de chance de s’imposer. Elle rejette les facturations intragroupes de redevances ou services si elles aboutissent à faire tomber le taux effectif américain à 10 % ou moins. Les facturations intragroupes de propriété intellectuelle depuis l’étranger sont donc de facto plafonnées.
Or, au même moment, les mêmes facturations mais cette fois depuis les Etats-Unis bénéficieront d’un taux d’imposition très réduit et sans aucun plafond. En effet, malgré le passage à un système territorial, les profits étrangers faiblement taxés issus d’actifs incorporels à forte rentabilité seraient imposés aux Etats-Unis. Cette mesure d’assiette vise les groupes américains en premier lieu, afin de les inciter à conserver leurs actifs stratégiques sur le sol national. Voilà un avantage, à peine déguisé, en faveur de l’industrie 4.0 américaine et des autres secteurs technologiques.
Répondre aux enjeux économiques du XXIe siècle
Après une fiscalité favorisant l’expansionnisme, la réforme fiscale américaine aboutit à une nouvelle forme de protectionnisme. Elle ne vise pas tant à freiner le commerce international qu’à encourager ce commerce à se centrer sur les Etats-Unis. Comme toutes les grandes réformes fiscales, elle est avant tout politique. Le message envoyé au monde est que les Etats-Unis entendent renforcer leur leadership économique en centralisant l’investissement chez eux.
De nombreux éléments de cette réforme sont éminemment critiquables, mais la priorité pour les entreprises européennes doit être de revoir leur stratégie d’investissements, leur cartographie technologique et leur chaîne logistique pour s’adapter à ce nouveau monde. En espérant que les régulateurs européens prendront conscience que l’urgence fiscale n’est pas dans la lutte contre les paradis fiscaux, qui relèvent du passé, mais dans la construction d’une fiscalité européenne qui puisse répondre aux enjeux économiques du XXIe siècle. A moins de laisser aux Etats-Unis le monopole de la souveraineté fiscale…