L’histoire retiendra peut-être que c’est le 29 janvier 2019, au travers d’une note de l’OCDE de 2 pages, qu’une nouvelle révolution fiscale s’est jouée, notamment au profit des BRICS.
Sous couvert de la digitalisation, c’est l’ensemble des grands équilibres de fiscalité internationale, à commencer par le rapport de force entre pays source ou pays de consommation et pays de résidence, historiquement favorable à ces derniers, qui pourrait changer.
Fidèle à sa méthode, Pascal Saint-Amans, le chef du Centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE s’est fixé un calendrier extrêmement court pour mener à bien cette révolution. Ainsi, et même si, à date, aucun consensus n’a été atteint, une centaine de pays ont accepté d’explorer des pistes fiscales novatrices pour aboutir, d’ici 2020, à un consensus sur de nouvelles règles du jeu. Et, même si le digital sert de prétexte à ces travaux, c’est bien toute la fiscalité des groupes de sociétés qui serait bouleversée.
Les axes de réflexion proposés par l’OCDE sont structurés autour de deux piliers et quatre propositions.
Répondre aux défis posés par la digitalisation de l’économie
Le premier pilier vise à repenser la répartition des droits de taxation entre pays source et pays de résidence pour répondre aux défis posés par la digitalisation de l’économie. Et ce rééquilibrage se fera au profit des pays source où sont situés les consommateurs. Pour ce faire, l’OCDE avance trois propositions qui visent toutes à revoir la notion de « nexus », c’est-à-dire la question du lien entre la présence locale et imposition :
- La première proposition vise à mieux prendre en compte les incorporels marketing, c’est-à-dire le rôle du distributeur local dans la création de valeur, via sa connaissance du marché local et des consommateurs. Ainsi, du fait de cet incorporel spécifique, il ne sera plus possible de limiter sa rémunération à un simple profit de routine.
- La deuxième proposition vise à intégrer dans la réflexion fiscale le rôle de l’utilisateur qui, via ses données personnelles ou son comportement, contribue à la création de valeur des sociétés digitales, qui peuvent soit affiner leurs offres, soit monétiser les données personnelles et comportementales recueillies.
- La troisième proposition concerne le développement d’un concept de « présence économique significative » pour affirmer que, même de manière digitale, un certain niveau de présence sur un territoire donné doit entraîner une imposition locale. Ces deux dernières propositions sont déjà présentes dans la plupart des travaux de réflexion depuis dix ans sur le numérique, sans cependant que des solutions pratiques évidentes aient pu émerger. Il sera donc intéressant de voir en quoi l’OCDE arrive à proposer une approche innovante.
- Et, une fois que l’on a dit que le pays de consommation devait avoir droit à plus de profits taxables, se pose la question de la mesure et de la répartition de ce profit. En indiquant que le marché dispose désormais d’incorporels (marketing) reconnus, on pense naturellement aux méthodes de partage de profit, souvent complexes à mettre en œuvre. Or, il est intéressant de noter qu’à l’inverse, l’OCDE parle de simplification, et de la capacité pour les administrations fiscales à mettre en œuvre efficacement les nouvelles mesures. Cela amène à se demander si l’OCDE n’a pas en tête l’application de formules forfaitaires de répartition des profits. L’OCDE s’en est longtemps défendu, mais cette évolution pourrait être une suite logique du reporting pays par pays, qui oblige déjà les groupes à communiquer aux administrations fiscales un tableau consolidé de leurs activités par pays.
Mettre en place une clause de sauvegarde concernant les profits faiblement taxés à l’étranger
Le second pilier, quant à lui, vise à mettre en place une clause de sauvegarde concernant les profits faiblement taxés à l’étranger. Ainsi, un pays qui aurait des transactions impliquant l’étranger et qui y seraient faiblement taxées récupèrerait un droit à imposer ces profits sur son propre territoire. Cet aspect est moins novateur que le précédent pilier, les Etats disposant pour la plupart de clauses anti-abus de ce type (e.g. les Articles 238 A et 209B du Code Général des Impôts dans le cas de la France), mais sans doute à portée moins large. L’idée est en tout cas de créer un niveau minimum d’imposition pour tous les profits des groupes.
Quels enseignements tirer de ces annonces ? Le premier, c’est qu’une nouvelle révolution fiscale est lancée, au profit des BRICS via le renforcement du poids du pays de consommation. Le second, c’est qu’il est surprenant de voir que les Etats-Unis, qui furent longtemps parmi les plus hostiles à ces concepts, aient donné leur accord sur le sujet. C’est peut-être pour les Etats-Unis un moyen d’acter que la situation des GAFA n’est plus tenable (du fait de l’émergence de fiscalités locales non-coordonnées sur le digital), et d’anticiper l’émergence de nouveaux géants du numérique venus d’Asie. Le troisième enseignement, c’est que le principe de pleine concurrence, qui était la référence en matière de fiscalité des prix de transfert, est mort. Même si l’OCDE s’en défend, il n’est maintenant plus question de référence au marché, mais uniquement à des modalités de répartition « équitable » du profit entre Etats.
La route est encore longue avant d’aboutir à des solutions acceptables par les différents Etats. En particulier, quand on voit que l’Europe fiscale lambine à 28, on peut se poser la question de la capacité de l’OCDE à fédérer une centaine de pays aux intérêts divergents. Mais, posant la question de la répartition des profits au bénéfice des pays de consommation, l’OCDE montre bien qu’en matière de fiscalité internationale, et quoi qu’il advienne dans l’année à venir, un nouveau rapport de force est né.