Cet été, la France a défrayé la chronique avec une proposition de Bruno Lemaire de taxer les géants du Web, via une taxe spécifique sur le chiffre d’affaires. Au-delà des questions techniques complexes sur la mise en œuvre (quelle définition sectorielle pour le digital, quelle taille de sociétés concernées, etc.), ou sa validité juridique, notamment en vertu du principe de l’égalité devant l’impôt, cette proposition permettait de mettre un coup d’accélérateur à la réflexion politique sur le sujet.
Cette proposition venait d’ailleurs en concurrence avec des travaux en cours de l’Union européenne, notamment sur l’ACCIS, et surtout, de l’OCDE, avec l’Action 1 de BEPS. A cet égard, l’OCDE considère que le sujet est trop complexe pour une réponse « simple », et entend faire des propositions innovantes d’ici à 2020.
Au cœur de ces interrogations, la principale question posée est de savoir si le numérique constitue un secteur spécifique, ou juste une nouvelle expression de l’économie dans sa globalité. L’OCDE a en partie répondu en passant, pour le titre de l’Action 1 de BEPS, des « défis fiscaux posés par l’économie numérique » aux « défis posés par la digitalisation de l’économie ». On ne met donc plus en exergue un secteur économique, mais on s’interroge sur les conséquences du bouleversement digital sur l’ensemble des secteurs économiques, ce qui parait plus en phase avec la réalité des bouleversements de l’économie.
Et, sur le fond, la réflexion oppose les tenants du poids des incorporels (en premier lieu les USA), qui considèrent que la valeur est générée par les actifs incorporels des groupes, et donc ne doit être taxée que chez eux ; et les tenants du marché, qui considèrent que le droit à taxer doit être davantage lié au consommateur, qui est le créateur final de la valeur, par son acte d’achat. La volonté politique tant de l’OCDE que de nombreux Etats dont la France, est de rééquilibrer le poids relatif du marché et des incorporels, le mécanisme idoine étant encore à définir (mise en œuvre d’une forme de formulary apportionnement, évolution du concept d’établissement stable, préconisations sur l’interprétation de la chaîne de valeur, etc.). Mais, pour la France, attention au risque de victoire à la Pyrrhus, car, à trop vouloir taxer chez nous les géants du Web, on risque d’ouvrir la porte à une taxation accrue de nos géants du luxe sur les différents marchés où ils opèrent, et donc, hors de nos frontières.