CIR : a-t-on tiré toutes les conséquences de la décision du Conseil d’État sur l’éligibilité des tâches connexes ?

Dans le cadre de son plan de simplification en faveur des entreprises, le Gouvernement envisage des Mesures relatives aux délais de traitement des agréments.
Aussi attendues que soient ces mesures, le moment semble tout indiqué pour, d’une part, rappeler qu’une décision de 2020 du Conseil d’État a entrainé une fragilité sur la justification même du mécanisme, et, d’autre part, pour discuter dans quelle mesure la simple prise en compte de cette décision ne suffirait pas à résoudre les difficultés auxquelles les mesures de simplification promettent une solution à l’horizon 2025.

Dans sa décision (CE, 9e et 10e ch. réunies, 22 juillet 2020, n° 428127, FNAMS, voir notre article sur sujet), le Conseil d’État censurait la position de l’administration fiscale, et validait l’éligibilité des tâches connexes, nécessaires à la réalisation d’opérations de R&D.

Il juge alors que lorsqu’une entreprise confie à un organisme privé agréé ou public l’exécution de prestations nécessaires à la réalisation d’opérations de recherche qu’elle mène, les dépenses correspondantes peuvent être prises en compte pour la détermination du montant de son crédit d’impôt quand bien même les prestations sous-traitées, prises isolément, ne constitueraient pas des opérations de recherche.

Le Conseil d’État mettait ainsi fin à un long débat et prenait à contre-pied la doctrine constante de l’Administration.

Nous ne reviendrons pas ici sur les arguments pro et contra, le Conseil d’État tranchant sans appel les débats.

Les conséquences sur la procédure d’agrément

On peut dès lors s’étonner qu’il soit encore exigé du sous-traitant potentiel la démonstration de sa capacité à « mener sous sa responsabilité des opérations de recherche scientifique et technique, dont il a défini la démarche scientifique et réalisé les travaux avec ses propres moyens ». (Décret n° 2021-784 du 18 juin 2021 relatif à l’agrément des organismes de recherche)

Pourquoi imposerait-on à un sous-traitant agréé de démontrer une capacité à mener des travaux de recherche en autonomie, puisque les donneurs d’ordres peuvent très bien confier à leurs sous-traitants des tâches connexes, n’exigeant pas cette capacité, tout en les prenant en compte dans leur propre CIR ?

La contradiction est loin d’être anecdotique, de celles que l’on pourrait traiter par une revue mineure du décret et une simple modification des éléments justificatifs demandés aux prétendants à l’agrément.

Au contraire, cette décision du Conseil d’État remet en cause l’existence même de la procédure d’agrément qu’il semble désormais difficile de justifier.  

Une procédure complexe et défaillante

La perspective mérite d’autant plus d’être interrogée que cette procédure accumule les mauvais points depuis quelques années :

  • retards abyssaux dans l’examen des dossiers,
  • problèmes informatiques de la plateforme incompréhensibles qui obligent les déposants à faire des envois postaux de clé USB (!),
  • reports multiples des dates limites de dépôt,
  • complexification avec des dossiers d’agréments différents pour les organismes de droit privé et les experts individuels, – les « structures particulières » (eg. Fondation de Coopération Scientifique, Structures adossées, etc.), bureaux de style et stylistes, et les organismes publics,
  • une procédure simplifiée proposée pour les essais cliniques qui génère parfois des questions complémentaires et n’a donc plus rien de simplifié,
  • un certain nombre d’agréments donnés faute d’avoir pu procéder à l’examen du dossier après un an,
  • un certain nombre de dossiers solides rejetés « durement »,
  • des délais importants dans la mise à jour de la base, etc.

Il est probable que sa suppression serait un soulagement, pour l’industrie comme pour le Ministère de la Recherche.

Un CIR sans agrément ?

On peut légitimement se demander si la suppression de l’agrément entraînerait des conséquences sur le CIR lui-même, ou son contrôle.

Du point de vue du budget de l’État, la procédure d’agrément agit comme un frein, et sa suppression engendrerait mécaniquement une augmentation du budget global du CIR, ce qui en fait une piste peu probable.

L‘accroissement proviendrait de la facilité nouvelle avec laquelle des sociétés qui n’ont pas d’activités de R&D, et donc ne sont pas agréées actuellement, pourraient voir leurs factures prises en compte dans le CIR du donneur d’ordre.

Prenons l’exemple classique de la prise de sang : le laboratoire d’analyses réalisant cette prise de sang n’est pas aujourd’hui agréé faute de démarche scientifique propre, et sa facture ne peut être prise en compte par le donneur d’ordre, même si la prise de sang est réalisée dans le cadre d’une étude clinique éligible.

En cas de suppression du mécanisme d’agrément, ou avec une procédure d’agrément ne prenant plus en compte le critère de la capacité propre à conduire des travaux de recherche, cette tâche connexe serait prise en compte dans le CIR du donneur d’ordre grâce à l’arrêt du Conseil d’État.

En tout état de cause, évaluer sans données précises l’impact budgétaire de cette suppression reste pour le moins aléatoire, et nécessiterait une étude économétrique sérieuse.

Enfin, du point de vue de l’Administration, la conséquence de cet arrêt concerne le contrôle lui-même : les éléments de preuve demandés actuellement visent à vérifier l’éligibilité au niveau du périmètre sous-traité, par exemple, en demandant les contrats ou les spécifications.

En tirant les conséquences de la décision du Conseil d’État jusqu’au bout, ces demandes n’apparaissent plus pertinentes, le seul point à vérifier demeurant la participation effective du sous-traitant à une activité considérée éligible chez le donneur d’ordres.

Les vérificateurs et les experts du Ministère continueraient donc à demander des preuves de l’activité réelle du sous-traitant, et apprécieraient si ces activités peuvent être considérées comme connexes (la charge de la preuve reposant toujours sur les déclarants). On quitterait le plan scientifique pour se recentrer sur une logique de traçabilité des dépenses et de piste d’audit, avec comme conséquence positive une évaluation plus objective que l’actuelle appréciation de l’éligibilité scientifique du périmètre sous-traité.

Le problème de la double prise en compte

Reste le problème crucial de la double prise en compte : l’agrément permet de simplifier le contrôle, puisqu’il détermine qui, du donneur d’ordres ou du sous-traitant, est en droit de bénéficier du CIR sur les travaux réalisés.

La suppression de l’agrément rendrait ce contrôle plus difficile, et pourrait créer un besoin de contractualisation entre les parties, engendrant également son lot de questions.

Une piste plus radicale, et non développée ici, serait la suppression pure et simple de la prise en compte de la sous-traitance, chacun serait alors ramené à la prise en compte de son seul CIR interne, ce qui permettrait de faire table rase et supprimerait le problème.

Mais cette modification significative du dispositif, évoquée de longue date, n’est pas sans conséquence sur les équilibres économiques existants, nécessite une préparation sérieuse, et n’est pas à l’ordre du jour. Néanmoins, cette suppression n’aurait pas que des impacts négatifs, et permettrait, notamment, au budget de l’État de se concentrer sur les travaux effectués en France, limitant ainsi la portée de l’arrêt Fournier.

En conclusion

Ne pas prendre en compte l’incohérence générée par l’arrêt du Conseil d’État, c’est accepter le risque qu’une société éconduite lors de sa demande d’agrément tente sa chance devant les tribunaux, avec comme conséquence possible un coup fatal porté au système d’agrément dans sa forme actuelle.

Une solution intermédiaire entre la suppression totale de la sous-traitance et le statu quo semblerait plus simple à mettre en œuvre. Elle consisterait à supprimer la partie scientifique de la procédure d’agrément, voire à réduire la procédure à une inscription sur une liste.

Sa viabilité devrait néanmoins être préalablement validée par une étude d’impact budgétaire.

En tout état de cause, et même si la procédure d’agrément actuelle est en décalage avec l’arrêt du Conseil d’État, l’agrément lui-même conserve son utilité.

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Lucille Chabanel

Lucille intervient depuis plus de 14 ans au sein du département Fiscalité des Entreprises. Rattachée à la ligne de services R&D depuis 2006, elle a développé une forte expertise dans […]

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Lionel Draghi

Lionel Draghi, Associé et Ingénieur, exerce au sein du département R&D. Expert logiciel chez THALES, fort de plus de 15 ans d’expérience en génie logiciel dans l’industrie, il rejoint le […]

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Annabelle Caron

Annabelle intervient depuis 2009 au sein de la ligne de services R&D, dans laquelle elle a développé une forte expertise dans le domaine des dispositifs fiscaux d’incitation publique à la […]