Économie circulaire : les enjeux pour le secteur associatif

Cet article a été publié sur la Revue Associations de Deloitte n°102 – Juillet 2023 et est reproduit sur ce blog avec l’accord de l’éditeur.

 

L’économie circulaire connaît, depuis quelques années, un fort développement. Quels sont ses enjeux juridiques, fiscaux et comptables pour les associations impliquées ?

Alors que la décroissance gagne chaque jour des adeptes, que le climat, la biodiversité, le réchauffement climatique s’imposent (enfin) dans nos préoccupations, l’économie circulaire constitue l’une des réponses aux enjeux environnementaux et sociétaux de demain. Elle recouvre de nombreuses activités (récupération, tri, recyclage, rénovation, remise en état, reconditionnement, usages multiples, partagés, raisonnés…) et mobilise de nombreux acteurs qui, directement ou indirectement, y participent :

  • des personnes, parfois en réinsertion, occupant des emplois nouveaux dans ce secteur… ;
  • des consommateurs socialement défavorisés ayant enfin accès à certains produits neufs bradés, d’occasion, recyclés… et d’autres non défavorisés qui entendent soutenir des initiatives écologiques, des projets caritatifs ou encore d’insertion ;
  • des associations, souvent en avance sur leur temps, développant et soutenant des initiatives originales, dans la réalisation comme dans le plaidoyer, avec à leurs côtés des entreprises d’utilité sociale ;
  • des organisations gouvernementales ou internationales qui élaborent des règles (directives, lois…), fixent des objectifs, avec parfois des difficultés, des errements ou des erreurs d’analyse ;
  • des entreprises du secteur marchand tenues par de nouvelles règlementations mais aussi parfois en anticipation du fait de leurs propres initiatives.

Les textes législatifs de l’économie circulaire

Si l’économie circulaire consiste en la production de biens et services de manière durable, ce en limitant, d’une part, la consommation et le gaspillage de ressources et, d’autre part, la production de déchets, c’est la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte qui en a donné une première définition légale au travers des objectifs poursuivis : « une consommation sobre et responsable des ressources naturelles et des matières premières primaires ainsi que, par ordre de priorité, (..) la prévention de la production de déchets, notamment par le réemploi des produits et, suivant la hiérarchie des modes de traitement des déchets, la réutilisation, le recyclage ou, à défaut, la valorisation (…) ».

Puis, pour leur mise en oeuvre, a été adoptée la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire (dite « loi Agec »), qui, notamment, a instauré une « obligation » de dons des invendus alimentaires et non alimentaires au bénéfice des associations de lutte contre la précarité et des entreprises ESUS (Entreprise solidaire d’utilité sociale) et donc au bénéfice notamment de certains organismes sans but lucratif (OSBL). Si nous pouvons nous réjouir de cette « reconnaissance légale » du rôle des OSBL au sein de ce nouvel écosystème, il ne faut pas oublier les risques et enjeux au plan juridique, en termes de comptabilité, de contrôle interne, de gouvernance ou d’organisation.

Enjeux juridiques et fiscaux de la gestion des invendus : nécessaire mise en oeuvre de process de contrôle interne spécifiques

Trop souvent mal appréhendés, les enjeux liés à la gestion d’invendus, d’origine règlementaire ou non, sont nombreux :

  • une activité de récupération et redistribution d’invendus alimentaires nécessite de s’assurer du respect des règles d’hygiène et de traçabilité et de la chaine logistique du froid ;
  • pour les invendus non alimentaires, doivent pouvoir être assurées les garanties légales de conformité et des vices cachés, la fonctionnalité, ainsi que la sécurité, notamment, sanitaire ;
  • l’activité de vente de produits reconditionnés impose le respect d’obligations d’information des consommateurs, notamment quant à l’emploi du terme « certifié », sous peine de sanctions par la DGCCRF (décret n° 2022-190 du 17 février 2022) ;
  • une activité de récupération et reconditionnement d’ordinateurs, de téléphones mobiles, etc. nécessite de sécuriser les flux et les stocks pour éviter le « coulage », voire le recel ;
  • l’enlèvement d’objets chez les particuliers doit être effectué par des personnes sous la responsabilité d’organisations responsables de la sécurité des donateurs ;
  • les activités de tri, de récupération et de reconditionnement doivent être organisées dans un cadre de travail normalisé, respectueux de la législation sociale locale et des règles internationales (travail des enfants, protection des travailleurs manipulant des produits dangereux…) ;
  • le bénéfice de dons d’invendus, pour l’établissement de reçus fiscaux conformes, oblige à l’établissement d’inventaires précis et contradictoires des biens donnés et acceptés (c’est-à-dire non renvoyés). En outre, une activité économique de revente de biens d’occasion et/ ou reconditionnés étant par nature concurrentielle, ses conditions et modalités doivent être maîtrisées pour éviter l’assujettissement aux impositions commerciales dans les conditions de droit commun, voire le risque de concurrence déloyale, ou encore la perte de financement privé de mécénat. Dans ce contexte, organisation, procédures, systèmes d’information, contrôle interne et contrôle de gestion sont des points clés de la maîtrise opérationnelle et de la sécurité juridique.

A minima, une cartographie des risques doit être établie, des process de gestion et suivi des flux et stocks doivent être mis en oeuvre et les conditions financières de commercialisation doivent être définies et contrôlées par les organes de gouvernance.

 

Comptabilité et reporting financier et extra-financier : des interrogations

Si la comptabilisation d’achats de biens d’occasion, de pièces détachées, de matières premières, de composants et autres matières non stockables est traitée par nos référentiels comptables des personnes morales de droit privé (Plan Comptable Général), l’obtention de biens gratuits n’est en revanche que partiellement appréhendée par le règlement n° 2018-06 de l’ANC relatif aux comptes annuels des personnes morales de droit privé à but non lucratif. En effet, les dons en nature destinés à la vente ne sont appréhendés dans le bilan et le compte de résultat qu’au moment de la vente. Ceux destinés à une utilisation en l’état ou une redistribution à des bénéficiaires sont, quant à eux, portés dans la rubrique des contributions volontaires en nature au pied du compte de résultat. Mais aucune précision n’est donnée s’agissant des règles de comptabilisation et de valorisation des biens reçus gratuitement et rénovés.

L’économie circulaire a souvent pour caractéristique, outre une valeur ajoutée modeste, de reposer sur des contributions sans flux financier (dons, bénévolat, prestations gratuites…), essentielles dans le modèle économique des acteurs concernés et dont le recensement constitue indéniablement un des éléments clés de contrôle.

La mesure des impacts sociaux des activités de l’économie circulaire (insertion par l’emploi, accès par des personnes socialement défavorisées à des produits, réduction de l’empreinte environnementale) constitue également un enjeu qui nécessite l’identification et la mise en place d’indicateurs spécifiques pertinents. Cette mesure des impacts n’est pas sans poser des difficultés d’appréhension et d’estimation : comment rendre compte de la réduction de la consommation de matières, du raccourcissement des circuits et de son impact en termes de moindre production de gaz à effet de serre, de la réduction des déchets non recyclables, etc. ?

Enfin, pour les OSBL finançant une partie de leur activité d’économie circulaire par l’appel à la générosité du public, l’élaboration d’une information pertinente dans les tableaux de l’annexe spécifiques à cette ressource (Compte de Résultat par Origine et Destination et Compte d’Emploi annuel des Ressources de la Générosité du Public) pose de nombreuses questions : comment combiner les données avec flux financiers et celles des contributions en nature ? Comment affecter les ressources de générosité par rubrique d’emplois ? Bref, le développement récent de l’économie circulaire nécessite que soit complété le dispositif des règles comptables et défini un reporting financier approprié aux spécificités de ces activités nouvelles.

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Stéphanie Vandalle

Stéphanie Vandalle, Avocat Associée, titulaire d’une mention de spécialisation en droit fiscal, est responsable du bureau de Lille et anime une équipe pluridisciplinaire. Stéphanie conseille ses clients français et étrangers […]

Jean-Claude Marty

Jean-Claude est  un associé d’audit avec plus de 30 ans d’expérience en audit et comptabilité. Il intervient auprès d’associations, de fondations, de fonds de dotation,… du secteur privé à but […]