La CJIP : un outil juridique polyvalent au service de la protection de l’environnement

Fréquemment utilisée pour traiter des affaires de corruption, de fraude ou de blanchiment, la Convention Judiciaire d’Intérêt Public (CJIP) suscite un intérêt croissant dans d’autres domaines, notamment en droit de l’environnement. En s’étendant à des problématiques variées, telle que la captation illégale de l’eau, la CJIP montre son efficacité bien au-delà des matières traditionnelles du droit fiscal et du droit des affaires. La CJIP conclue le 24 mai 2024 entre le procureur de la République et la SA PERRIN VERMOT en est une illustration concrète, démontrant l’application étendue et la pertinence de cet outil juridique pour la poursuite de l’objectif de protection de l’environnement.

Le cadre juridique de la CJIP

La CJIP est un mécanisme introduit en France par la loi du 9 décembre 2016 (loi Sapin II). Cette loi visait à moraliser (probité) la vie économique, avant d’être étendue à la matière fiscale (2018), puis au droit pénal de l’environnement (2020), créant ainsi ce qui est, parfois, appelée une Convention Judiciaire d’Intérêt Public en matière Environnementale (CJIPE) dont la procédure est celle de la CIJP (code de procédure pénale, article 41-1-2 c.). Ce dispositif, envisageable « tant que l’action publique n’a pas été mise en mouvement », permet aux entreprises, en tant que personnes morales, d’éviter ou de mettre fin à des poursuites pénales en concluant un accord avec le ministère public. Cet accord prévoit alors le paiement d’une amende, plafonnée à 30 % du chiffre d’affaires annuel moyen des trois dernières années, et l’engagement de l’entreprise à adopter des mesures de mise en conformité et de cessation des comportements incriminés.

Ce procédé de justice pénale négociée, plus commune dans la culture juridique anglo-américaine, est, initialement inspiré du deferred prosecution agreement nord-américain, créé en 1977 lors de l’adoption du Foreign Corrupt Practices Act.

La CJIP peut être proposée par l’autorité judiciaire avant le début des poursuites pénales (code de procédures pénales, articles 41-1-2 et 41-1-3) ou pendant une information judiciaire (code de procédures pénales, articles 180-2 et 180-3). Pour sa validité, la convention nécessite d’obtenir l’accord du président du tribunal judiciaire, saisi par requête par le procureur de la République. Si la CJIP est exécutée parfaitement, elle conduit à l’extinction de l’action publique et empêche l’inscription de la condamnation au casier judiciaire de l’entreprise (code procédures pénales, article 41-1-2, IV). En revanche, en cas de non-exécution, la CJIP devient caduque, permettant au parquet, s’il le souhaite, d’engager des poursuites pénales.

Ce dispositif, propre aux personnes morales, ne doit pas être confondu avec les mesures alternatives aux poursuites, la composition pénale ou la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité. Il diffère également de la transaction administrative, qui n’a aucun effet sur l’action publique.

La CJIP offre une alternative attrayante pour les entreprises car, en en respectant les conditions, elle peut éviter des sanctions sévères telles que la dissolution ou l’interdiction de marché. De plus, cette procédure ne laisse aucune trace dans le casier judiciaire de l’entreprise, ce qui la protège contre les risques de récidive légale et d’exclusion des marchés publics. Ainsi, la CJIP permet aux entreprises de régler rapidement ce type de litige tout en préservant leur stabilité économique et leur réputation, et en incitant à l’amélioration des pratiques internes.

Une application de plus en plus commune en matière environnementale

En matière environnementale, la CJIPE a été introduite par la loi du 24 décembre 2020, relative au Parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée (loi n° 2020-1672, 24 décembre 2020).

Cette initiative vise à renforcer les sanctions contre les atteintes graves à l’environnement. Avant l’instauration de la CJIPE, des mécanismes alternatifs tels que la transaction pénale pour les contraventions et les délits passibles de moins de deux ans d’emprisonnement, ainsi que la composition pénale pour les délits punis d’une peine inférieure ou égale à cinq ans d’emprisonnement, étaient utilisés. Bien que ces alternatives aient permis de sanctionner les infractions de faible gravité, elles ne couvraient pas efficacement les atteintes graves à l’environnement qui ne pouvaient être sanctionnées que par des poursuites pénales.

Ce nouveau dispositif permet désormais au procureur de la République de proposer à une entreprise impliquée dans des infractions prévues par le code de l’environnement, ainsi que des infractions connexes, de conclure une CJIPE, tant que les poursuites n’ont pas été initiées. La particularité de la CJIPE réside dans son approche « restaurative » du droit pénal environnemental, visant à la remise en état systématique de l’environnement endommagé. À cet effet, la CJIPE peut exiger de l’entreprise qu’elle répare, dans un délai maximal de trois ans et sous la supervision des autorités publiques, le préjudice écologique en cause. Cette convention vise également à prévenir la répétition de tels actes à l’avenir. Pendant trois ans, l’entreprise s’engage à suivre un programme de mise en conformité, sous la surveillance du procureur, qui, au terme de cette période, émet un avis d’extinction des poursuites.

 

Un peu de contexte…

En l’espèce, une société de fromagerie avait installé 100 mètres de tuyau près d’un point de prélèvement de l’eau d’une source afin de court-circuiter le ruisseau, le laissant totalement à sec en période d’étiage. Cette eau était captée illégalement depuis 1978, après un accord verbal avec l’agriculteur propriétaire de la parcelle où se trouve la source, lequel était dédommagé en fromages (oui, oui… démontrant ainsi la vitalité du troc dans les relations économiques). L’enquête révéla l’ampleur du prélèvement : l’eau captée représentait un tiers de la consommation annuelle de la société, soit environ 30 000 m³. Or, aucune démarche administrative préalable au prélèvement n’avait été réalisée et aucune autorisation n’avait été délivrée pour les installations permettant ce captage, rendant la société responsable de l’infraction d’exploitation sans autorisation par une personne morale d’une installation ou d’un ouvrage nuisible à l’eau ou au milieu aquatique, ainsi que de l’infraction d’utilisation sans autorisation d’eau prélevée dans le milieu naturel pour sa production, sa distribution ou son conditionnement en vue de la consommation.

L’entreprise n’avait pas, à la lecture des faits, cherché à cacher cette captation, d’ailleurs « autorisée » par un contrat avec le propriétaire de la parcelle où se trouvait la source, mais elle avait négligé les démarches imposées par les textes. Cette circonstance ayant certainement été prise en compte : l’amende fixée fut très mesurée au regard du montant maximum possible.

 

Conclure une CJIP en matière environnementale permet donc, apparemment, de répondre efficacement à l’urgence écologique sans constituer un « marché de dupes » comme a pu le craindre la pratique lors de son introduction en droit français. Elle incite l’entreprise à adopter des pratiques conformes aux réglementations environnementales et favorise une collaboration constructive avec les autorités pour prévenir de futurs incidents. La conclusion d’une CJIPE dans ce contexte révèle une adaptation du droit pénal aux enjeux environnementaux contemporains, soulignant l’importance d’une justice pragmatique et réparatrice dans la lutte contre les atteintes à la biodiversité. Et ce sont précisément les raisons mises en avant pour justifier la « justice négociée » !

Depuis 2020, plus d’une vingtaine de CJIPE ont été conclues – la première ayant été validée le 16 décembre 2021 par le tribunal judiciaire du Puy-en-Velay – représentant près d’un tiers de toutes les CJIP validées depuis la loi Sapin II. Le garde des Sceaux, dans sa circulaire de politique pénale du 22 septembre 2022, encourageait les procureurs à privilégier la CJIP, la décrivant comme une « réponse pédagogique, réparatrice et exemplaire » plutôt que d’engager des poursuites judiciaires. L’évolution possible vers une CJIP européenne pourrait d’ailleurs devenir l’instrument privilégié d’une politique pénale européenne favorisant une meilleure régulation multilatérale des poursuites… et permettant de sortir de l’alternative, souvent caricaturée, d’une protection de l’environnement soit répressive, soit factice !

Photo d'Arnaud Raynouard
Arnaud Raynouard

Professeur des Universités à l’Université Paris-Dauphine, Arnaud Raynouard anime le Comité Scientifique Juridique du cabinet Deloitte Société d’Avocats. Agrégé en droit privé et sciences criminelles, et diplômé en gestion, Arnaud […]

Claire Dumonet

Alternante au sein du Comité scientifique juridique.