Le 16 février dernier, alors que la campagne pour les élections régionales bat son plein, un amendement du Sénat est pratiquement passé inaperçu. Cet amendement constitue une donnée essentielle pour les finances des collectivités territoriales dans le contexte financier défavorable qu’elles connaissent en 2010. En effet, a été adopté par la Haute chambre l’amendement au projet de loi de finances rectificative pour 2010 proposé et défendu par M. Jean-Paul Alduy prévoyant que le coefficient des valeurs locatives prévu à l’article 1518 bis du Code général des impôts soit également pris en compte pour la compensation « relais » que l’Etat versera aux collectivités territoriales suite à la suppression de la taxe professionnelle et à son remplacement par la Cotisation économique territoriale.
Ce sujet peut paraître ésotérique (et il l’est sans doute) dès lors qu’il touche aux mécanismes d’une complexité achevée de détermination de l’assiette des impôts directs locaux.
La taxe foncière sur les propriétés bâties tout comme la cotisation foncière des entreprises voit son assiette déterminée par la valeur locative des immeubles concernés. Nous rappellerons que, les révolutionnaires de 1789 (qui vivaient dans le souvenir tenace des « gabelous » et de leurs violences) ont voulu bâtir un système fiscal qui n’exige pas que les agents de l’administration fiscale pénètrent dans les domiciles des contribuables devenus citoyens. Les principaux impôts directs locaux qu’on appelle les « quatre vieilles » sont les héritiers en ligne directe de cette philosophie libérale de la fin du siècle des Lumières. Par suite, les bases des impôts directs locaux ont été déterminées en prenant essentiellement en compte des « valeurs locatives » des immeubles et des terres (seules vraies richesses selon l’école Physiocratique très en vogue chez les robins députés de la Constituante).
Il incombe donc à l’Administration de déterminer une valeur locative des locaux qui feront partie de l’assiette des impôts directs locaux. Notons que s’il s’agit là d’une tâche dévolue aux services fiscaux, les contribuables gagnent toujours à en examiner le bien-fondé et l’exactitude.
Pour les locaux à usage d’habitation et les locaux commerciaux , ces valeurs locatives sont déterminées, en application des dispositions de l’article 1498 du Code général des impôts, par trois méthodes qui doivent être examinées successivement dans l’ordre suivant :
- Soit en se fondant sur le bail en cours le 1er janvier 1970 si il a été conclu à des conditions normales ;
- Soit, si cette première méthode ne fonctionne pas, le Service est autorisé à déterminer la valeur locative par voie de comparaison avec des valeurs de locaux de référence faisant l’objet d’un bail conclu à des conditions normales au 1er janvier 1970;
- Enfin, si les deux précédentes méthodes ne peuvent être appliquées, le Service peut estimer la valeur locative de l’immeuble en cause par voie d’appréciation directe.
S’agissant des locaux industriels, le Service se fonde sur la valeur inscrite au bilan de l’entreprise en application de l’article 1499 du Code général des impôts.
Mais le législateur de 1970 avait prévu de revoir le dispositif régulièrement. Les commentateurs de l’époque auraient dû se méfier… la dernière intervention du législateur pour la détermination des valeurs locatives avant 1970 datait de… 1940.
Cet article est pour nous l’occasion de mettre une nouvelle fois l’accent sur la vétusté des valeurs locatives servant de bases aux impôts locaux. Les valeurs locatives des différents types de propriété résultent de la dernière révision générale des évaluations foncières de 1974, effectuée sur la base des valeurs de 1970, dont les résultats ont été actualisés une seule fois en 1980.
En effet, le législateur avait prévu de réviser les évaluations foncières régulièrement. Il avait également prévu des actualisations entre deux révisions générales.
Enfin, entre deux actualisations, le législateur avait prévu qu’un coefficient forfaitaire d’évaluation soit appliqué annuellement par la loi de finances. Le mécanisme des coefficients de revalorisation ne pouvait être qu’un pis-aller dans l’esprit des parlementaires. Toutefois, il n’y a eu aucune révision générale depuis 1970, une seule actualisation en 1980. Il ne restait donc que le coefficient d’évaluation pour tenter de faire en sorte que la valeur locative cadastrale corresponde quelque peu avec le niveau des loyers constatés au 1er janvier de l’avant-dernière année précédant celle de l’imposition.
En conséquence de ce manque de révision et d’actualisation, comme cela a déjà écrit à plusieurs reprises sur ce blog, ces valeurs locatives sont devenues complètement obsolètes. Toutefois, elles constituent un des éléments clés permettant de déterminer le montant des ressources fiscales sur lesquelles peuvent compter les collectivités territoriales. C’est d’ailleurs ce dernier point qui a empêché jusqu’à présent qu’une réforme en profondeur des valeurs locatives ne soit adoptée.
Avec la création de la contribution économique territoriale, ont été supprimées des bases imposables aux impôts directs locaux les immobilisations corporelles non passibles de la taxe foncière (dites « équipements et biens mobiliers »). En effet, ces bases ont été remplacées par la valeur ajoutée des entreprises, assiette dont nous avons eu déjà l’occasion d’écrire qu’elle permettait d’épouser davantage les aléas de la vie des entreprises.
Cependant la valeur locative des immobilisations passibles de la taxe foncière reste un des éléments de l’assiette imposable à la taxe foncière sur les propriétés bâties et la cotisation foncière des entreprises (cette dernière est une des deux composantes de la nouvelle contribution économique territoriale avec la cotisation foncière sur les entreprises).
En d’autres termes, malgré la création de la contribution économique territoriale, les règles d’évaluation des valeurs locatives cadastrales conservent encore toute leur pertinence.
De nombreuses collectivités territoriales craignent que la création de la contribution économique territoriale n’entraîne une baisse de leurs ressources fiscales. Cette crainte est d’autant plus légitime que les finances locales connaissent une situation difficile.
Afin de lisser les effets de la suppression de la taxe professionnelle sur les finances des collectivités territoriales, il a été décidé de créer une « compensation relais » servie par l’Etat aux collectivités territoriales. Cette compensation relais est en réalité un financement accordé par l’Etat sur le fondement des recettes fiscales que les collectivités territoriales auraient dû lever si la taxe professionnelle n’avait pas été créée. Elle est donc assise sur la taxe professionnelle que les entreprises auraient acquittée sur le territoire de chacune de ces collectivités si cet impôt n’avait pas été supprimé.
Soulignons qu’à compter de l’année 2011 la disparition de la taxe professionnelle sera compensée par des transferts de fiscalité entre l’Etat, les collectivités territoriales et les établissements de coopération intercommunale. Ainsi, si nous prenons l’exemple des communes, elles deviennent attributaires notamment d’une partie du produit de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, des deux tiers de l’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseau (ci-après IFER) relative aux stations radioélectriques et de la moitié des trois IFER suivantes : IFER relative aux éoliennes et hydroliennes, IFER relative aux installations de production d’électricité d’origine nucléaire ou thermique et IFER relative aux centrales de production d’énergie électrique d’origine photovoltaïque ou hydraulique.
Au cas particulier, c’est la question du calcul de la compensation relais pour 2010 qui est en débat.
Il est en effet apparu que la loi de finances initiale créant la contribution économique territoriale pour 2010 ne tenait pas compte du coefficient de revalorisation des valeurs locatives cadastrales pour 2010. L’article 1640 B du Code général des impôts fixant les modalités de détermination de la compensation relais, prévoit que la « taxe professionnelle 2010 » fictive qui doit être compensée pour les collectivités territoriales est calculée dans les conditions en vigueur au 31 décembre 2009. Or au 31 décembre 2009, le coefficient de revalorisation pour 2010 n’est pas encore appliqué. Cette absence si elle avait été maintenue aurait indéniablement entraîné un manque à gagner pour les collectivités territoriales, manque à gagner d’autant plus cruel que les finances locales sont au plus mal cette année.
Le coefficient de revalorisation des valeurs locatives pour 2010 a été fixé à 1,2%.
Le but de la compensation pour 2010 étant de neutraliser les conséquences de la réforme pour les collectivités, il était normal que le coefficient de revalorisation soit également pris en compte dans la détermination de la compensation relais mise en place dans le cadre de la création de la contribution économique territoriale. Heureusement pour les collectivités territoriales, le législateur est intervenu pour faire prévaloir cette vision là où initialement elles avaient été oubliées.