Saisie par notre Cabinet d’une problématique relative à la possibilité pour une société française, mère d’une intégration fiscale, d’imputer les pertes devenues définitives de ses filiales établies en Italie et en Pologne du fait de leur report limité dans le temps prévu par les législations de ces Etats, le Conseil d’Etat statue en se fondant sur l’arrêt X Holding et écarte, de ce fait, toute possibilité d’imputation. Faut-il en déduire qu’en France, la jurisprudence Marks & Spencer est vouée à n’être qu’un cas d’école (CJUE, 13-12-2005, aff. C-446/03, Marks & Spencer plc) ?
Malgré la demande de la société, la Haute Assemblée n’a pas saisi la CJUE d’une question préjudicielle qui aurait permis de clarifier la situation.
Une solution placée sous l’égide de la jurisprudence X Holding …
Sans reprendre ici toute l’évolution de la jurisprudence communautaire, nous rappellerons que l’arrêt Marks & Spencer de 2005, par une formulation large, avait fait naitre de grands espoirs concernant la possibilité pour une société mère européenne de déduire fiscalement les pertes définitives subies par une de ses filiales résidente d’un autre Etat membre.
La jurisprudence ultérieure s’est ensuite cristallisée sur la qualification du caractère définitif de cette perte. Il a ainsi été admis que le caractère définitif ne pouvait pas résulter du fait que l’Etat membre où réside ladite filiale exclut toute possibilité de report des pertes (CJUE 7-11-2013 aff. C-322/11, K). Il a également ainsi été précisé que le caractère définitif de ces pertes ne peut être constaté que si la filiale ne perçoit plus de recettes dans l’Etat membre de résidence (CJUE 3-02-2015, aff. C-172/13, Commission européenne c/ Royaume-Uni). La jurisprudence communautaire a ainsi limité les cas d’imputation des déficits aux situations, notamment, de liquidation ou de cessation d’activité de la filiale non résidente.
L’arrêt X Holding (CJUE 25-2-2010 aff. 337/08, X Holding BV) avait toutefois jeté le trouble sur la portée exacte de la jurisprudence Marks & Spencer. Si la CJUE avait admis la limitation d’une intégration fiscale aux seules filiales résidentes excluant ainsi les filiales non résidentes, elle ne s’était pas pour autant prononcée sur la prise en compte des pertes définitives de la filiale. La conciliation de X Holding et Marks & Spencer avait alors suscité beaucoup d’interrogations.
La lecture du présent arrêt, éclairée par les conclusions du rapporteur public, nous permet de considérer que le Conseil d’Etat entend faire une distinction entre ces deux jurisprudences. X Holding devrait trouver à s’appliquer dans les pays connaissant un « vrai » mécanisme de consolidation fiscale (tel que celui existant en France et aux Pays-Bas), alors que Marks & Spencer n’aurait vocation à régir que les seuls Etats ayant mis en place un régime d’imputation limitée aux seules pertes.
Ainsi, dès lors que la France connait un régime d’intégration fiscale proche de celui des Pays-Bas, c’est la jurisprudence X Holding qui trouve à s’appliquer. La France peut donc limiter l’intégration aux seules sociétés résidentes sans ouvrir le droit à la déduction des pertes définitives des filiales non résidentes. Une solution différente conduirait, selon le rapporteur public, à dénaturer le régime de l’intégration fiscale et remettre en cause la cohérence du système fiscal français.
… mais qui n’a jamais été soumise à la CJUE :
Le Conseil d’Etat était invité à présenter une question préjudicielle à la CJUE. De façon assez regrettable, la Haute Assemblée n’a pas fait droit à cette demande. Or, cette question préjudicielle présentait un double intérêt :
Tout d’abord, la CJUE n’a jamais eu à se prononcer formellement sur le caractère définitif des pertes lorsque l’Etat de résidence des filiales autorise un report en avant limité dans le temps. Lorsque le report a été définitivement épuisé, les pertes deviennent définitives. Il n’existe alors plus de possibilité pour que ces pertes puissent être prises en compte dans l’Etat de résidence de la filiale au titre des exercices futurs par elle-même ou par un tiers. La question de la déduction de ces pertes nous semble donc pertinente.
D’autre part, la CJUE ne s’est jamais clairement prononcée sur l’articulation entre les jurisprudences X Holding et Marks & Spencer. Le Conseil d’Etat aurait pu décider de saisir la CJUE de la conciliation de ces jurisprudences qui n’est pas, comme l’a souligné le rapporteur public, frappée du sceau de l’évidence.
A notre sens, le glas n’a pas encore véritablement sonné pour l’application de Marks & Spencer en France. Des clarifications de la part de la CJUE sont encore nécessaires.
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