Partage de la valeur : les prochaines échéances en matière d’épargne salariale

La loi n°2023-1107 du 29 novembre 2023 portant transposition de l’accord national interprofessionnel (ANI) relatif au partage de la valeur au sein de l’entreprise apporte des précisions importantes sur les prochaines échéances en matière d’épargne salariale.

Loi PACTE (2019), Loi ASAP (2020), Paquet pouvoir d’achat (2022)… ces dernières années n’ont pas été avares en réforme en matière d’épargne salariale avec toujours les mêmes objectifs : simplifier les dispositifs d’épargne salariale et, partant, encourager le versement de sommes aux traitements social et fiscal avantageux.

Dans un contexte de fortes tensions sur le pouvoir d’achat, le Gouvernement avait pourtant manifesté, en septembre 2022, son souhait d’aller plus loin grâce, cette fois, au dialogue social, dialogue qu’il avait promis de transposer au niveau législatif.
Ce dialogue a ainsi conduit, d’une part, à la signature d’un accord national interprofessionnel (ANI) le 10 février 2023 par le MEDEF, la CPME, l’U2P, la CFDT, la FO, la CGC et la CFTC, et, d’autre part, au dépôt d’un projet de loi au Parlement le 24 mai dernier.

C’est dans ces circonstances que la loi n°2023-1107 portant transposition de l’accord national interprofessionnel relatif au partage de la valeur au sein de l’entreprise a été promulguée le 29 novembre 2023 et publiée au Journal officiel du jour suivant.

Elle vise, à travers 15 articles répartis en 4 titres, à « mieux associer les salariés aux performances des entreprises, notamment dans les PME », essentiellement par le « développement et la simplification des dispositifs d’épargne salariale » et, plus à la marge, par un « renforcement du dialogue social sur les évolutions de parcours et de salaires » et au « développement de l’actionnariat salarié ».

En pratique, en matière d’épargne salariale, l’amélioration de l’association des salariés aux performances, et donc à la valeur de leur entreprise, passe par une série de mesures mises en place de manière pérenne pour la plupart, et pour une durée expérimentale de 5 ans pour d’autres.

Si la majorité de ces mesures est applicable dès le 1er décembre 2023, la loi du 29 novembre renvoie au pouvoir règlementaire le soin de préciser les modalités d’application d’une partie d’entre elles et diffère même dans le temps l’entrée en vigueur de trois nouvelles obligations à la charge des entreprises de plus de 50 salariés, des PME et des branches.

Les mesures pérennes

Depuis le 1er décembre 2023

Participation et intéressement

Le délai supplémentaire de trois ans pour mettre en place la participation, laissé aux entreprises franchissant le seuil de 50 salariés qui disposaient d’un accord d’intéressement au moment du franchissement du seuil, est supprimé.
La loi a toutefois prévu une sécurisation pour les entreprises bénéficiant actuellement de ce droit au report de 3 ans.

Les accords de participation et d’intéressement peuvent prévoir le versement d’avances de primes, dont la périodicité ne pourra être inférieure au trimestre. Les conditions d’information des bénéficiaires de ces avances doivent encore être déterminées par décret.

Les accords d’intéressement prévoyant, au moins pour partie, une répartition des sommes proportionnelle aux salaires, peuvent désormais définir un salaire de référence intégrant un salaire plafond et un salaire plancher. Il ne s’agit pas d’une vraie nouveauté car cette possibilité était déjà admise par le Guide de l’épargne salariale.

Prime de partage de la valeur (PPV)

Deux primes de PPV peuvent être attribuées au cours d’une même année civile, dans la limite des plafonds totaux d’exonération déjà existants (3 000 € ou 6 000 € si un dispositif d’intéressement existe ou est mis en place).
Pour 2023, certains employeurs auront pu, ainsi, se saisir de la modification pour décider du versement d’une nouvelle PPV et compléter une PPV déjà attribuée plus tôt dans l’année.

La PPV peut désormais être placée sur un plan d’épargne salariale afin que les sommes bloquées puissent être exonérées d’impôt sur le revenu et faire, le cas échéant, l’objet d’un abondement de la part de l’employeur.
Le délai dans lequel la PPV devra être versée sur le plan d’épargne salariale doit encore être déterminé par décret.

Dans les entreprises de moins de 50 salariés, le régime social et fiscal de faveur des PPV versées aux salariés dont la rémunération est inférieure à trois SMIC est maintenu jusqu’au 31 décembre 2026 (exonération totale de cotisations de sécurité sociale, y-compris de CSG et de CRDS, et d’impôt sur le revenu).

Plan de partage de la valorisation

Les employeurs peuvent désormais mettre en place des plans de partage de la valorisation au niveau de l’entreprise ou du groupe afin de fidéliser leurs salariés. Ces nouveaux dispositifs viennent garantir une prime à l’ensemble des salariés qui sont à la fois présents dans les effectifs lors de la mise en place du Plan (sous réserve d’une condition d’ancienneté qui ne pourra excéder 12 mois) et au terme de la durée triennale du plan, à condition que la valeur de l’entreprise ait augmenté au cours de ces trois ans. Cette prime sera calculée en fonction d’un « montant de référence individualisé » (ce montant pourra varier selon la rémunération, le niveau de classification ou la durée de travail des bénéficiaires) et le « taux de variation de la valeur de l’entreprise » au cours de la durée du Plan.
Pour le salarié, le montant de prime versé sera exonéré d’impôt sur le revenu en cas d’affectation sur le PEE ou sur le PER, ainsi que de cotisations de sécurité sociale. Pour l’employeur, les montants versés seront assujettis à la seule contribution sociale patronale de 20 % prévue dans le cadre des attributions gratuites d’actions sous réserve que le Plan ait été dûment déposé auprès de l’Administration. Un décret devra toutefois venir préciser les modalités d’application de ce nouveau dispositif.

Avant le 30 juin 2024

Les entreprises d’au moins 50 salariés pourvues d’au moins un délégué syndical, devront ouvrir une négociation afin de prévoir :

  • une « définition de l’augmentation exceptionnelle du bénéfice» : cette définition devra être fonction de critères limitativement énumérés par la loi
  • les « modalités de partage de la valeur » : elles devront découler, à l’avenir, de tout constat d’augmentation exceptionnelle du bénéfice

Toutefois, cette obligation de négocier ne s’appliquera ni aux entreprises ayant déjà mis en place un accord d’épargne salariale (participation ou intéressement) comportant une clause spécifique relative aux bénéfices exceptionnels, ni aux entreprises disposant d’un accord de participation intégrant une formule de calcul plus favorable que la formule légale.

Les mesures expérimentales

Depuis le 1er décembre 2023 et pour une durée expérimentale de 5 ans courant jusqu’au 29 novembre 2028

Les entreprises de moins de 50 salariés qui mettent en place un accord de participation volontaire peuvent recourir à une formule de calcul dérogatoire dont le résultat pourra être moins favorable que celui de la formule légale.

Avant le 30 juin 2024 et pour une durée expérimentale courant jusqu’au 29 novembre 2028

Une négociation devra être engagée, au sein de chaque branche, afin de proposer un régime de participation volontaire dérogatoire moins favorable au niveau de la branche.

A partir du 1er janvier 2025 et pour une durée expérimentale courant jusqu’au 29 novembre 2028

Les entreprises de 11 à 49 salariés qui sont profitables devront mettre en place un dispositif de partage de la valeur au titre de l’exercice suivant. Ces entreprises seront considérées comme profitables lorsqu’elles auront réalisé un bénéfice net fiscal d’au moins 1 % de leur chiffre d’affaires pendant trois exercices consécutifs.

Ainsi, pour une entreprise dont l’exercice fiscal coïncide avec l’année civile et qui constatera le 1er janvier 2025 qu’elle était profitable sur les exercices fiscaux 2022, 2023 et 2024, le dispositif de partage de la valeur devra être mis en place au titre de l’exercice fiscal 2026.
En pratique, pour le versement d’une PPV, la décision/l’accord pourra être pris entre le 1er janvier 2026 et le 31 décembre 2026.
Pour la mise en place d’un dispositif d’intéressement ou de participation volontaire en revanche, l’accord devra être conclu avant le 30 juin 2026.

 

 

La loi du 29 novembre dernier est dense. L’ANI l’était, au grand regret de certains syndicats, encore plus.

Au nombre des souhaits des partenaires sociaux oubliés par le législateur :

  • la prise en compte des situations particulières de temps partiel liées à un congé parental ou à un mi-temps thérapeutique dans les modalités de versement des primes d’intéressement
  • la possibilité pour les formules de calcul de l’intéressement d’intégrer un ou plusieurs objectifs sociaux ou environnementaux
  • l’ajout de trois nouveaux cas de déblocage anticipés pour pallier les dépenses de rénovation énergétique des résidences occupées à titre principale, les dépenses engagées en tant que proche aidant ou encore l’acquisition d’un véhicule dit « propre » (neuf ou d’occasion)
  • la possibilité pour l’employeur d’effectuer un abondement unilatéral déplafonné sur le PEE ou le PER à hauteur de la PPV

Si certains de ces oubliés trouveront probablement leur place dans la partie règlementaire du code du travail dans les mois à venir (pensons notamment aux nouveaux cas de déblocage anticipés), pour d’autres, il faudra certainement attendre l’ouverture d’un nouveau chantier sur l’épargne salariale. Mais ce sujet étant finalement régulièrement à l’ordre jour du calendrier législatif, il ne faudra sans doute pas attendre très longtemps.

Guillemette Peyre

Avocat Associée, Guillemette Peyre, a rejoint en Deloitte en 2017, après une collaboration au sein du cabinet CMS Francis Lefèbvre. Elle est spécialisée en droit du travail et en droit […]

Julia Niel-Deterne

Julia a rejoint le département droit social de Deloitte Société d’Avocats en 2018 en tant qu’avocat, après avoir commencé à développer son expertise dans un grand cabinet  français spécialisé en […]