Protection au titre de la paternité : l’impossibilité du maintien du contrat de travail doit être précisément motivée dans la lettre de licenciement

La Cour de cassation apporte des précisions concernant la manière dont s’exerce la protection contre le licenciement bénéficiant aux pères à la suite de la naissance de leur enfant. Dans un arrêt rendu le 27 septembre 2023, elle vient confirmer qu’en cas de licenciement pendant la période de protection prévue par l’article L. 1225-4-1 du code du travail, l’impossibilité de maintenir le contrat de travail du père doit être caractérisée et apparaître clairement dans la lettre de licenciement. Elle rappelle également qu’en cas de nullité de son licenciement, le salarié a la possibilité de solliciter sa réintégration dans l’entreprise devant la Cour d’appel, même s’il ne l’a pas fait devant le Conseil de prud’hommes.

Un licenciement pour cause réelle et sérieuse moins de 10 semaines après une naissance

Le litige en question avait été initié par un salarié occupant les fonctions de responsable commercial. Ce dernier avait été licencié le 24 janvier 2018, deux semaines après la naissance de son enfant.

Estimant que la rupture de son contrat de travail était intervenue au cours de la période de protection prévue par l’article L. 1225-4-1 du code du travail, le salarié saisit la juridiction prud’homale en vue d’obtenir la nullité de son licenciement.

Les précisions de la Cour

Dans sa décision du 27 septembre 2023 (n° 21-22937), la Cour de cassation rappelle le principe, posé par la loi, de la protection dont bénéficie le père à la suite de la naissance de son enfant, et précise, en particulier, les modalités de mise en œuvre des exceptions permettant de lever cette protection avant l’expiration du délai de 10 semaines suivant la naissance de l’enfant.

Retour sur les règles en matière de protection au titre de la paternité : 10 semaines suivant la naissance de l’enfant

Depuis 2014, les nouveaux pères sont protégés contre la rupture de leur contrat de travail d’une façon similaire aux mères qui reprennent le travail après un congé de maternité. Ils bénéficient en effet d’une période de protection dite « relative » pendant laquelle le licenciement n’est possible que sous des conditions très strictes. Initialement fixée à quatre semaines suivant la naissance de l’enfant, cette période de protection a été étendue à dix semaines en 2016 par la loi « Travail ».

Aujourd’hui, en vertu de l’article L. 1225-4-1 du Code du travail, « aucun employeur ne peut rompre le contrat de travail d’un salarié pendant les dix semaines suivant la naissance de son enfant. Toutefois, l’employeur peut rompre le contrat s’il justifie d’une faute grave de l’intéressé ou de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à l’arrivée de l’enfant. »

Le non-respect de cette période de protection emporte la nullité du licenciement notifié par l’employeur.

Les conditions de la reconnaissance de l’impossibilité de maintien du contrat de travail sont précisées

Cette décision de la Cour de cassation permet de clarifier les contours de la notion « d’impossibilité de maintien du contrat de travail » dans le cadre de la paternité, tout en insistant sur les exigences de motivation de la lettre de licenciement.

En l’espèce, la lettre de licenciement notifiée au salarié évoquait notamment un manque d’implication, une gestion très aléatoire des appels d’offre et une attitude désinvolte vis-à-vis des instructions reçues. Bien que devant le juge, l’employeur ait tenté de démontrer l’existence de manquements professionnels objectifs non compatibles avec les fonctions de « responsable » occupées par le salarié, sans lien avec la naissance de son enfant et l’empêchant de maintenir le contrat, ses arguments sont rejetés par la Cour de cassation. Certes, le salarié avait été dispensé d’effectuer son préavis mais, l’employeur ne démontrait pas, dans la lettre de licenciement, en quoi il lui était impossible de maintenir le contrat de travail.

Pour la Cour de cassation, l’employeur qui licencie un salarié dans les 10 semaines suivant la naissance de son enfant doit en effet mentionner dans la lettre de licenciement l’existence d’une faute grave ou d’une impossibilité de maintenir son contrat de travail pour un motif étranger à l’arrivée de l’enfant. L’employeur doit, par ailleurs, en développer les raisons dans la lettre de notification, quand bien même il serait ultérieurement en mesure de le faire devant le Conseil de prud’hommes en cas de contestation par le salarié de la validité de son licenciement.

Un alignement vers la protection réservée à la mère

Avec cette décision, la Cour de cassation semble vouloir aligner, dans une certaine mesure, la protection contre le licenciement offerte aux pères, sur celles des mères.

Pour rappel, en application de l’article L1225-4 du Code du travail, la mère bénéficie d’une protection contre le licenciement pendant une période qui commence par sa grossesse, se poursuit pendant le congé de maternité, et éventuellement les congés payés pris immédiatement après, et se prolonge pendant les 10 semaines suivantes.

 Pendant cette dernière période, dite de protection « relative » (par opposition à la protection « absolue » bénéficiant à la salariée pendant son congé de maternité), la salariée ne peut être licenciée qu’en cas de faute grave ou impossibilité de maintenir le contrat, et uniquement à condition que le motif de la rupture soit étranger à la maternité, pourvu que ce licenciement soit notifié ou prenne effet en dehors des périodes de suspension du contrat de travail pour maternité.

Pour les salariées revenant de congé de maternité, la Cour de cassation exige également que la lettre de licenciement fasse mention de « l’impossibilité de maintenir le contrat de travail » pendant la durée légale du congé de maternité. À défaut, le licenciement est automatiquement jugé nul (Cour de cassation, chambre sociale n°09-72.613, 25 mai 2011).

À cet égard, notons que concernant la période de protection relative, la jurisprudence s’est souvent prononcée sur la notion « d’impossibilité de maintenir le contrat de travail », mais ne l’a admis que très rarement. Dans la majorité des cas, elle ne l’a admis qu’en matière de licenciement économique, notamment en cas de suppression de l’emploi de la salariée justifié par la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l’entreprise (Cour de cassation, chambre sociale n°97-42.490, 16 juin 1999) ou en raison d’une cessation d’activité, le reclassement de la salariée étant impossible (Cour de cassation, chambre sociale n°11-17.420, 26 septembre 2012). En revanche, pour la Cour de cassation, ni la perte d’un marché (Cour de cassation, chambre sociale n°76-40.596, 20 décembre 1977), ni l’absence prolongée de la salariée ne justifient l’impossibilité de maintenir le contrat, quand bien même cela serait admis par la convention collective applicable (Cour de cassation, chambre sociale n°96-43.760, 28 octobre 1998).

Au vu de la jurisprudence rendue dans le cas de salariées de retour de congé de maternité, dans l’affaire ayant donné lieu à la décision du 27 septembre, l’invocation par l’employeur d’une impossibilité de maintenir le contrat de travail pour des motifs disciplinaires sans qu’une faute grave ne soit caractérisée, semblait avoir peu de chances d’aboutir.

Toutefois, l’alignement de la protection des nouveaux pères avec celle des mères rentrant de congé de maternité n’est pas encore total. La Cour de cassation a en effet admis la possibilité d’effectuer des actes préparatoires au licenciement pendant la période de protection bénéficiant aux pères Cour de cassation, chambre sociale n° 19-12.036, 30 septembre 2020). C’est le cas, par exemple, de l’organisation d’un entretien préalable au licenciement (alors que sont prohibés les actes préparatoires au licenciement des jeunes mères, y compris pendant la période de protection relative suivant le congé de maternité (Cour d’appel de Rouen n°15/02343, 9 février 2016 et Cour d’appel d’Aix-En-Provence n°13/02188, 15 mai 2014).

Cependant, cette jurisprudence pourrait être amenée à évoluer en faveur d’un alignement total. En effet, la directive européenne du 20 juin 2019 concernant l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée des parents et des aidants, transposée en France par la loi du 9 mars 2023, rappelle que les travailleurs qui exercent leur droit à prendre un congé doivent être protégés non seulement contre le licenciement mais également contre toute action préparatoire en vue d’un possible licenciement.

Ainsi, les jeunes pères bénéficient aujourd’hui d’une meilleure prise en compte de leur situation. Elle se manifeste non seulement par une protection renforcée contre le licenciement, mais également par l’obligation de prendre un minimum de jours à la suite de la naissance de leur enfant. En effet, depuis le 1er juillet 2021, il est formellement interdit aux employeurs de faire travailler les pères pendant le congé de naissance et pendant la période de 4 jours calendaires suivant ce dernier. 

Le salarié dont le licenciement est nul peut solliciter sa réintégration dans l’entreprise devant la Cour d’appel, même s’il ne l’a pas fait en première instance

L’arrêt rendu par la Cour de cassation est également intéressant en ce qu’il censure la décision de la Cour d’appel qui rejetait les demandes de réintégration et d’indemnité d’éviction formulées par le salarié.

En cas de nullité du licenciement, l’employeur est tenu de réintégrer le salarié dans l’entreprise, si ce dernier en fait la demande, et de lui allouer une indemnité réparant le préjudice subi au cours de la période qui s’est écoulée entre la rupture et sa réintégration, dans la limite du montant de salaires dont il a été privé, outre une indemnité pour violation du statut protecteur. Si le salarié ne demande pas sa réintégration, il peut prétendre aux indemnités de rupture (indemnités légales, conventionnelles ou contractuelles), à l’indemnité compensatrice de préavis, ainsi qu’à une indemnité réparant l’intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et qui doit être au moins égale aux salaires de ses six derniers mois.

Selon la Cour d’appel, les demandes de réintégration, d’indemnité d’éviction et de dommages-intérêts pour violation du statut protecteur formées par le salarié du fait de la nullité de son licenciement étaient irrecevables car tardives : elles auraient dû être formulées dès la procédure devant le Conseil des prud’hommes et non au stade de l’appel. La Cour avait ainsi accordé au salarié six mois de salaire à  titre de dommages-intérêts pour réparer les conséquences de la nullité de son licenciement, en refusant de faire droit aux nouvelles demandes du salarié sur le fondement de l’article 566 du code de procédure civile. Rappelons que ce dernier interdit aux parties d’ajouter des demandes nouvelles en cause d’appel, à moins que ces demandes soient l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire aux prétentions soumises au premier juge.

Cependant, ce raisonnement est censuré par la Haute Juridiction. La Cour de cassation retient que les demandes de réintégration, d’indemnité d’éviction et de dommages-intérêts pour violation du statut protecteur sont l’accessoire de la demande en reconnaissance de la nullité du licenciement. En ce sens, elles ne représentent pas des prétentions nouvelles au sens de l’article 566 du code de procédure civile.

Là encore, cette décision est favorable aux salariés dont le licenciement est jugé nul : même s’ils n’envisageaient pas de prime abord de réintégrer l’entreprise, il leur est désormais possible de changer d’avis en cours de procédure et de solliciter devant la Cour d’appel leur réintégration plutôt qu’une indemnisation visant à réparer le préjudice subi du fait de leur licenciement.

Guillemette Peyre

Avocat Associée, Guillemette Peyre, a rejoint en Deloitte en 2017, après une collaboration au sein du cabinet CMS Francis Lefèbvre. Elle est spécialisée en droit du travail et en droit […]