Qualification d’une « augmentation de fonds propres » d’une filiale étrangère

La qualification par le droit comptable étranger ne suffit pas à établir sa nature réelle pour l’application du traitement fiscal français.

La circonstance que le droit comptable étranger qualifie une opération d’« augmentation de fonds propres » ne suffit pas à établir sa nature réelle pour l’application du traitement fiscal auquel doit être soumise en France la société mère qui l’a réalisée au profit de sa filiale britannique. Cette décision permet d’éclaircir la portée véritable de l’arrêt SNC immobilière GSE (CE, 7 septembre 2009, n° 303560).

En droit interne, une augmentation de capital social doit se traduire soit par une émission d’actions nouvelles, soit par une majoration du montant nominal de la valeur des titres pour être qualifiée comme telle (C. com., art. L.225-127). Cependant, certains droits étrangers permettent qu’une augmentation de capital soit réalisée sans émission d’actions nouvelles ou sans augmentation du nominal. Aussi, lorsqu’il s’agit de qualifier, pour les besoins du droit fiscal français, le versement effectué par la société mère française au profit de sa filiale étrangère, survient alors une difficulté.

Le Conseil d’Etat procède, en principe, selon la voie de l’assimilation (par exemple s’agissant des sociétés étrangères). Toutefois, dans un arrêt SNC immobilière GSE (CE, 7 septembre 2009, n° 303560), il avait accepté de tenir compte des contraintes imposées à la société mère française par sa filiale portugaise issues du droit des sociétés local. Dans cette affaire, une société française avait apporté des fonds à sa filiale portugaise sous forme de « versements supplémentaires », sans émission corrélative de nouveaux titres. Cette opération était qualifiée d’apports en fonds propres par le droit des sociétés portugais qui, en conséquence, prohibait le paiement d’intérêts sur de tels versements. L’Administration en avait conclu qu’en renonçant à percevoir des intérêts de sa filiale portugaise, la société française commettait un acte anormal de gestion. Censurant cette analyse, le Conseil d’Etat avait alors jugé que l’interdiction faite à la filiale par la législation portugaise d’acquitter des intérêts à raison des versements supplémentaires effectués par sa société mère française devait être prise en compte pour apprécier la normalité de la renonciation et écarter en l’espèce l’acte anormal de gestion.

Pourtant, les services vérificateurs semblent par la suite avoir invoqué cette jurisprudence pour prétendre remettre en cause en France la nature fiscale d’opérations d’abandons de créances.

Tel était le cas dans l’affaire considérée où une société française avait consenti à sa filiale britannique un abandon des créances inscrites en compte courant d‘associés pour un montant correspondant à la perte d’exploitation de celle-ci au titre de l’exercice précédent. La société britannique avait traité la somme reçue comme un apport en capital placé dans un compte de réserves distribuables sous certaines conditions. La société mère française avait alors comptabilisé une charge exceptionnelle. Pour le service vérificateur qui avait préalablement eu recours à une demande d’assistance administrative auprès du fisc britannique, en application du droit comptable anglais, cette aide constituait un supplément d’apports qui ne pouvait pas être déduit des résultats imposables de la société française. Selon les règles britanniques, l’apport de fonds est traité différemment en fonction de l’intention de celui qui accorde l’aide. Si l’aide avait été accordée à un titre autre que celui d’actionnaire (par exemple pour préserver une relation commerciale) l’apport aurait été traité comme un produit imposable de l’exercice.

S’en tenant à la qualification comptable anglaise de l’opération, la CAA de Versailles a validé cette analyse. Le Conseil d’Etat la censure pour erreur de droit. La Cour doit rechercher la nature réelle de l’opération en cause pour l’application du droit fiscal français. Mais pour ce faire, elle ne doit pas se fonder exclusivement sur le traitement appliqué par la filiale anglaise au regard des règles comptables britanniques.

Cet arrêt précise ainsi la portée de l’arrêt SNC immobilière GSE. Comme nous le pressentions, le Conseil d’Etat avait accepté, pour apprécier la normalité d’un acte, de prendre en compte l’interdiction faite par le droit des sociétés portugais de verser des intérêts à une société étrangère sur ce qu’il regarde comme des éléments du capital. La société filiale ne pouvait verser à sa mère des intérêts sauf à être en contrariété avec le droit local la régissant et le Conseil d’Etat accepte de tirer les conséquences de cette impossibilité légale. L’arrêt GSE ne va pas au-delà et ne commande pas de retenir, pour l’application du droit fiscal français, la qualification juridique des versements par les normes étrangères. Ces dernières peuvent sans doute être l’un des éléments d’appréciation mais en aucun cas un critère exclusif.

Sur le fond, l’affaire est renvoyée devant la CAA de Versailles. Celle-ci devra déterminer la nature réelle de l’abandon réalisé. A cet égard, il nous semble que l’absence de relations commerciales entre la mère et sa filiale, ainsi que l’absence de situation nette négative de la filiale avant le versement, seront au nombre des éléments examinés pour rechercher si l’apport a eu pour contrepartie la valorisation de sa participation à due proportion par la société mère.

A noter que la CAA de Versailles a récemment jugé que l’abandon de créances consenti à une filiale américaine, en situation nette négative, qui le comptabilise en fonds propres, ne peut être qualifié de supplément d’apport dès lors qu’il n’a pas été rémunéré par des droits sociaux et qu’il a fait l’objet d’une convention qui excluait toute intention de la société française de souscrire à une augmentation de capital de sa filiale étrangère (TA Montreuil, 3 janvier 2013, n° 1200562, Sté LVMH et CAA Versailles 28 janvier 2016, n° 13VE00986, Sté LVMH).

Si la déduction des aides autres qu’à caractère commercial est désormais interdite, la question présente toujours un fort intérêt contentieux.

Photo de Patrick Fumenier
Patrick Fumenier

Patrick Fumenier a été avocat associé en charge de développer le knowledge management au sein de Deloitte Société d’Avocats de septembre 2016 jusqu’à son départ du Cabinet en janvier 2020. […]