Taxation des bénéfices distribués : une affaire belge souligne la fragilité de la contribution française de 3 %

Selon l’Avocat Général, Juliane Kokott, si le dispositif belge dénommé « Fairness tax », ne constitue pas une retenue à la source prohibée par la Directive Mère-Fille, il n’est toutefois pas compatible avec cette dernière dès lors qu’il instaure un prélèvement qui a pour effet de soumettre la redistribution de dividendes à une charge fiscale totale supérieure à celle correspondant à la taxation de la quote-part de frais et charge de 5 %. Si elle est suivie par la CJUE, la taxe belge serait condamnée et entraînerait dans sa chute la contribution française de 3 % avec laquelle elle présente des ressemblances marquées.

L’Avocat Général de la CJUE, Juliane Kokott, vient de rendre ses conclusions dans l’affaire relative à la « Fairness tax » belge, dont les caractéristiques présentent nombre de similitudes avec la contribution de 3 % additionnelle à l’IS que la France applique sur les distributions (CGI, art 235 ter ZCA). Aussi, la réponse apportée par la CJUE dans cette affaire pourrait-elle préfigurer celle qui sera donnée à l’occasion de l’examen des questions préjudicielles posées par le Conseil d’Etat s’agissant de la contribution française (Conseil d’Etat, 27 juin 2016, n°399024, Association française des entreprises privées et autres : Tax alert Deloitte Société d’Avocats du 29 juin 2016).

Introduite en 2013, la « Fairness tax » a pour objectif de limiter les effets du mécanisme de déduction des intérêts notionnels ainsi que de l’utilisation de pertes reportables en Belgique. En effet, il s’agit d’une cotisation distincte de l’IS belge, dont le taux est fixé à 5,15 %, qui s’applique sur les bénéfices distribués par une société belge (ou par l’établissement stable belge d’une société étrangère) à proportion de leur montant qui n’a pas été effectivement soumis à l’IS du fait de l’application de ces deux dispositifs.

Elle est assise sur la différence positive entre, d’une part, les dividendes bruts distribués au cours de la période imposable, et, d’autre part, le résultat fiscal final qui est effectivement soumis au taux de l’IS, limitée selon un pourcentage qui exprime le rapport entre, au numérateur, la déduction des pertes reportées effectivement opérée pour la période imposable et la déduction pour capital à risque effectivement opérée pour la même période imposable, et, au dénominateur, le résultat fiscal de la période imposable.

La Cour constitutionnelle belge, par un arrêt du 28 janvier 2015 (n° 11/2015), a posé trois questions préjudicielles à la CJUE relatives à cette cotisation qui recoupent celles posées par le Conseil d’Etat notamment sur l’assimilation de la contribution à une retenue à la source et sur les cas de redistributions en chaîne.

Les conclusions rendues dans cette affaire sont ainsi susceptibles de préfigurer l’avenir de la contribution française, si elles sont effectivement suivies par la CJUE.

Ainsi, si le terrain de l’assimilation à une retenue à la source prohibée par l’article 5 de la Directive semble désormais clos, celui de l’incompatibilité à l’article 4 de cette même Directive semble quasiment acquis, compte tenu de l’argumentation particulièrement fournie de l’Avocat Général sur ce point. En pratique, la société française qui redistribue des dividendes qu’elle a elle-même perçus d’une filiale européenne ne pourrait pas être soumise à une charge fiscale totale (à savoir imposition des dividendes perçus et impôt de redistribution) supérieure à celle correspondant au plafond de la taxation de la quote-part de frais et charges, soit 5 % du montant des distributions majoré des crédits d’impôts y afférents.

La contribution française de 3 % serait alors définitivement condamnée s’agissant des redistributions de dividendes perçus de filiales établies dans l’UE. Compte tenu des modalités de transpositions de la Directive mère-fille, cette condamnation devrait également contaminer les redistributions de dividendes perçus de filiales françaises bénéficiant du régime mère-filles, ainsi que les redistributions de dividendes de filiales établies hors de l’UE, sur le terrain constitutionnel de la discrimination à rebours.

Non-assimilation à une retenue à la source

A l’instar du Conseil d’Etat, la Cour constitutionnelle belge posait notamment la question de savoir si la « Fairness tax » constituait une retenue à la source prohibée par l’article 5 de la Directive Mère-fille.

L’Avocat Général répond par la négative à cette question pour les motifs suivants.

Si la Directive ne donne pas elle-même de définition de ce qu’il convient d’entendre par « retenue à la source », la CJUE a arrêté, de longue date (Epson Europe, C-375/98, point 23 et Burda C-284/06, point 52, notamment), trois critères cumulatifs permettant de caractériser une retenue à la source :

  • Le fait générateur de l’imposition est la distribution de dividendes
  • L’assiette de l’imposition doit être constituée par les montants distribués
  • L’assujetti doit être le bénéficiaire de la distribution, c’est-à-dire le détenteur des titres.

S’il n’est pas contesté que la « Fairness tax » remplit les deux premières conditions, la troisième fait en revanche défaut. En effet, l’assujetti à la « Fairness tax » est la société qui distribue le dividende et non le bénéficiaire de celui-ci.

A cet égard, l’Avocat Général Juliane Kokott apporte des clarifications bienvenues sur la portée de l’arrêt Athinaïki Zythopoiia (CJUE, arrêt du 4 octobre 2001, aff. C-294/99), qui avait pu jeter un certain trouble sur la notion de retenue à la source au sens de la Directive Mère-fille. Dans cette décision, la Cour avait en effet considéré comme une retenue à la source une imposition dans le chef de la filiale distributrice, retenant une approche économique fondée sur l’effet de l’imposition de la filiale sur la société mère. Pour autant, l’Avocat Général souligne tant le caractère isolé de cette décision, que le fait qu’elle ait été, par la suite, contredite à plusieurs reprises par la CJUE dans des décisions postérieures.

Elle rappelle que la première imposition des revenus d’une filiale n’est pas couverte par la Directive Mère-fille (CJUE, arrêt du 10 janvier 2006, aff. C-373/04, Test Claimants in Class IV of the ACT Group Litigation, point 60 ; CJUE, arrêt du 18 juillet 2007, aff. C-231/05, Oy AA, point 27). L’interdiction d’une retenue à la source posée par l’article 5 de la Directive ne s’étend ainsi pas « au paiement par la filiale de l’impôt grevant les revenus générés par son activité économique, même si cet impôt n’est prélevé qu’à l’occasion de la distribution de bénéfices ».

En tout état de cause, la même solution devrait être retenue s’agissant de la contribution de 3 % française. En effet, le troisième critère (assujettissement du bénéficiaire de la distribution) n’est pas davantage rempli, puisqu’elle est bel et bien prélevée entre les mains de la société distributrice.

Incompatibilité avec la Directive Mère-fille dans le cas d’une redistribution 

La question posée par la Cour constitutionnelle belge n’était que partiellement similaire à la question française. Néanmoins, l’analyse faite par l’Avocat Général Juliane Kokott de la Directive nous donne des éléments de réponse parfaitement transposables à la contribution française.

Pour mémoire, la première question posée par le Conseil d’Etat à la CJUE est la suivante : « l’article 4 de la directive 2011/96/UE du Conseil du 30 novembre 2011, et notamment son paragraphe 1, sous a), s’oppose-t-il à une imposition telle que celle prévue à l’article 235 ter ZCA du Code général des impôts, qui est perçue à l’occasion de la distribution de bénéfices par une société passible de l’impôt sur les sociétés en France et dont l’assiette est constituée par les montants distribués ? ».

Cette question vise à préciser si, au niveau d’une société française, maillon d’une chaîne de participations, les distributions prélevées sur des dividendes perçus de filiales établies dans d’autres Etats membres de l’UE et soumis au régime mère-fille peuvent être valablement ou non soumises à la contribution de 3 %, au regard du § 1 de l’article 4 (qui impose à l’Etat Membre de la société mère soit d’exonérer les bénéfices distribués par une filiale établie dans un autre Etat Membre, soit lui permet de les imposer, et de déduire la fraction de l’impôt sur les bénéfices acquitté par la filiale), ou plus généralement de l’article 4.

La compatibilité de la « Fairness tax » est, quant à elle, questionnée sur le fondement du § 3 de l’article 4 de la Directive qui limite à 5 % le montant forfaitaire des frais de gestion de participation pouvant être imposés par l’Etat membre de la société mère.

Cependant, la différence de fondement entre les deux affaires ne devrait pas emporter de conséquences significatives.

En effet, l’Avocat Général dans l’affaire belge donne son interprétation des articles 4 et 5 de la Directive :

  1. le §1 de l’article 4 traduit le principe fondamental selon lequel le droit d’imposer les bénéfices d’une filiale appartient à l’Etat Membre d’établissement de cette filiale, et ce y compris en présence d’une chaîne de participation
  2. dans cette chaîne, les bénéfices d’une société ne peuvent être soumis, au niveau d’une société située plus haut dans la chaine, à une charge fiscale qui serait supérieure à celle autorisée par le § 3 de l’article 4
  3. pour le calcul de cette charge fiscale, la question de savoir si l’impôt est prélevé lors de la perception des dividendes ou de leur redistribution est sans pertinence
  4. les autres conditions des articles 1 à 3 doivent être satisfaites pour chaque distribution

Il en résulte que, seul l’Etat Membre de la société filiale aurait le droit d’imposer le bénéfice distribué et en conséquence, l’Etat de la société mère perceptrice (ou les Etats des sociétés perceptrices dans le cas d’une chaîne de participations) n’aurait pas le droit d’imposer les dividendes reçus (hors frais de gestion s’élevant à un montant forfaitaire maximal de 5 %). Plus précisément, l’article 4 s’oppose au prélèvement d’un impôt de distribution qui a pour effet de soumettre la redistribution de dividendes perçus d’une filiale établie dans un autre Etat Membre, à une charge fiscale totale (taxation des dividendes perçus et impôt de distribution) supérieure à celle correspondant à la taxation de la quote-part de frais et charge de 5 %.

En France, en application du régime mère-fille, les dividendes reçus par une société mère d’une filiale établie dans un autre Etat Membre sont exonérés à 95 %. En cas de redistribution de ces dividendes, la société mère française est imposée à 3 % sur la redistribution. Ainsi, au niveau de la société mère française redistributrice, la charge fiscale totale est égale 4,67 % : 1,67 % d’IS (33 1/3 % de 5 %) majorés de 3 % de contribution sur les revenus distribués. Or, la Directive mère-fille ne tolère pas une imposition maximale de 5 % mais seulement la taxation effective au taux normal de l’IS d’une quote-part de frais et charge de 5 % du montant des dividendes, soit en France, une charge fiscale maximale de 1,67 % de ce montant.

Si la CJUE suit son Avocat Général sur l’incompatibilité de la « Fairness tax » à l’article 4 § 3 de la Directive mère-fille, la contribution de 3 % prévue par l’article 235 ter ZCA du CGI, en ce qu’elle créée une imposition supplémentaire sur les dividendes reçus d’une filiale européenne par une société mère françaises lors de leur redistribution, devrait probablement être considérée comme incompatible avec l’article 4 §1.

Cette incompatibilité contaminerait les distributions internes ainsi que les distributions reçues de sociétés non UE. En effet, cette situation ferait naître une discrimination à rebours au détriment des distributions de source interne et hors UE, contraire au principe d’égalité devant la loi, auquel, on le rappelle, il ne peut être dérogé que pour des raisons d’intérêt général, et à la condition que la différence de traitement en résultant soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit, ce qui en l’espèce, après la décision du Conseil constitutionnel, semble très improbable.

A titre subsidiaire, la question (purement belge) de la conformité à la liberté d’établissement

Enfin, on notera que l’Avocat Général a écarté l’argument tiré d’une éventuelle contrariété de la « Fairness tax » à la liberté d’établissement qui, s’agissant de la contribution de 3 % sur les revenus distribués, n’a pas été évoquée.

En l’espèce, la société requérante invoquait, en premier lieu, l’existence d’une inégalité de traitement résultant du choix de la forme juridique (traitement plus favorable des filiales que des établissements stables).

Pour le dire simplement, si une société étrangère choisit d’exercer son activité en Belgique par l’intermédiaire d’une filiale, elle ne sera soumise à la « Fairness tax » que de façon indirecte, et dans la mesure où la filiale lui distribue des dividendes. En revanche, si elle opte plutôt pour la création d’un établissement stable, elle sera soumise à la « Fairness tax » dès lors qu’elle procède elle-même à une distribution de dividendes.

Cet argument n’a toutefois pas semblé convaincre l’Avocat Général, qui rappelle que la différence de traitement fiscal qui résulte pour les sociétés étrangères de l’exercice de leur activité dans l’Etat membre d’accueil selon qu’elles opèrent par l’intermédiaire d’un établissement stable ou d’une filiale ne suffit pas, en elle-même, à caractériser une restriction à la liberté d’établissement. Encore faut-il que la situation transfrontalière fasse l’objet d’un traitement défavorable par rapport à une configuration de faits comparable purement interne. Or, tel n’est ici pas le cas, l’Avocat Général soulignant que les bénéfices des établissements stables à l’étranger d’une société belge sont contenus dans les dividendes pris en compte dans le calcul de la « Fairness tax » de ladite société.

Elle écarte de la même manière le second argument, plus technique, présenté par la société requérante, qui consistait à faire valoir qu’une société non-résidente qui exerce son activité en Belgique par l’intermédiaire d’un établissement stable est soumise à la « Fairness tax » à l’occasion d’une distribution de dividendes, bien que le bénéfice de l’établissement stable ait été alloué aux réserves, tandis que les sociétés résidentes n’y sont pas soumises lorsque le bénéfice est entièrement alloué aux réserves.

Photo de Patrick Fumenier
Patrick Fumenier

Patrick Fumenier a été avocat associé en charge de développer le knowledge management au sein de Deloitte Société d’Avocats de septembre 2016 jusqu’à son départ du Cabinet en janvier 2020. […]