Cet article a initialement été publié dans la revue Echanges Internationaux – Juin 2019, n°114.
Il est urgent de construire de nouvelles relations entre les entreprises et les administrations fiscales afin d’accélérer la naissance d’une fiscalité internationale moderne fondée sur la coopération et la confiance et concentrant l’approche contentieuse sur les seuls fraudeurs.
L’insécurité fiscale est devenue le quotidien des investisseurs internationaux. Relativement récent et indéniablement complexe, le corpus de principes internationaux fait l’objet d’interprétations divergentes par les pays lorsqu’ils ne les ignorent pas purement et simplement.
Alors que les médias insistent sur la prétendue évasion fiscale des entreprises internationales, les décideurs publics semblent ignorer une réalité que tout fiscaliste connaît : il est impossible pour une entreprise de se conformer en même temps aux règles françaises, chinoises, brésiliennes et américaines tant elles sont contradictoires, aussi bien dans la lettre que dans l’esprit.
Les travaux de l’OCDE n’ont pas résolu ce problème, d’une part, du fait de leur absence de pouvoir normatif et d’autre part, parce qu’ils se sont concentrés sur l’augmentation des recettes fiscales pour les États en délaissant le besoin de sécurité fiscale des entreprises.
Or, cette insécurité ne peut être que nuisible au commerce mondial et donc, in fine, aux États eux-mêmes.
D’une logique contentieuse à une logique de coopération
Consciente de l’importance des enjeux fiscaux pour le commerce mondial, ICC a abouti à des propositions concrètes qui permettraient de construire une sécurité fiscale tant pour les entreprises que pour les États dont le maîtremot est « coopération », non seulement entre les entreprises et les administrations fiscales mais aussi entre les administrations fiscales des différents pays.
Plutôt que d’accorder la priorité au changement permanent des règles fiscales, l’urgence est de construire de nouvelles relations entre entreprises et administrations fiscales qui permettent de les fonder sur la confiance. Dans cette optique, la Commission fiscalité internationale d’ICC a élaboré deux projets de communication visant à promouvoir au niveau international une relation de confiance entre entreprises et administrations fiscales. Cette relation de confiance internationale pourrait s’appuyer sur des dispositifs existant dans certains pays, comme les Pays-Bas, et, plus récemment, la France. Ces derniers sont cependant purement nationaux et donc par construction partiels. De son côté, l’OCDE souhaite aussi promouvoir cette initiative, consciente que les États ont à gagner à une relation apaisée avec les opérateurs économiques.
ICC propose qu’une entreprise répondant à certains critères bénéficie d’un label de confiance dans un pays, a priori celui de son siège, et que, par le biais de la reconnaissance mutuelle des normes entre États, ce label soit reconnu dans les autres pays où elle opère afin de lui permettre d’accéder au dispositif de relation de confiance national de ces États.
Pour en bénéficier, l’entreprise devrait remplir les conditions suivantes :
- attester du paiement régulier des impôts dus
- s’engager à la transparence des informations à l’égard des administrations fiscales
- disposer d’un système fiable de contrôle interne sur les aspects liés à la détermination du résultat fiscal
- établir sa solvabilité dans la durée
Un point fait encore débat au sein de la Commission fiscalité internationale : certains comités nationaux souhaiteraient ajouter une condition liée à la communication de comportements illicites dont les entreprises seraient témoins tandis que le Comité français y est opposé. En effet, ce n’est pas le rôle des entreprises de jouer les auxiliaires du contrôle fiscal et, sur le principe, une telle condition se heurte à des principes juridiques supérieurs, du moins pour les pays européens.
Une fiscalité internationale moderne
Les entreprises ainsi accréditées bénéficieraient à la fois d’une sécurité fiscale contemporaine avec l’arrêté de leurs résultats et d’économies administratives non négligeables, ne fût-ce que par la réduction de leurs contentieux. Leur risque fiscal en serait aussi évidemment grandement diminué, réduisant ainsi leurs provisions.
Quant aux administrations, elles disposeraient d’une meilleure prédictibilité de leurs recettes avec une diminution de leurs coûts de collecte grâce à la baisse des contentieux. Nul doute qu’elles profiteraient aussi d’une augmentation des recettes grâce à la croissance des investissements que cette sécurité fiscale encouragerait. Les pays émergents pour lesquels les administrations disposent de moins de moyens en retireraient un bénéfice encore plus important.
Bien sûr, une relation de confiance mondiale est un projet de long terme. Mais il suffirait que les pays qui l’ont déjà appliquée (notamment la France et les Pays-Bas) procèdent à la reconnaissance mutuelle de leurs programmes pour accélérer la naissance d’une fiscalité internationale moderne fondée sur la coopération et la confiance et concentrant l’approche contentieuse sur les fraudeurs.
C’est un projet ambitieux dont l’aboutissement demeure incertain. Son importance justifie toutefois la mobilisation d’ICC.