Le Conseil d’État se prononce, une nouvelle fois, sur la déclinaison de sa jurisprudence « Sté Croë Suisse », dans l’hypothèse où la cession de titres à prix minoré découle de promesses unilatérales de cession, consenties à titre incitatif à certains salariés.
Rappel
On sait que, lorsque l’Administration établit que la cession d’un élément d’actif a été réalisée à un prix manifestement minoré (existence d’un « écart significatif » entre le prix de vente et la valeur vénale), l’intention libérale est présumée. C’est alors au contribuable de justifier que l’appauvrissement en résultant a été effectué dans l’intérêt de l’entreprise, soit que celle-ci se soit trouvée dans la nécessité de procéder à la cession à un tel prix, soit qu’elle en ait tiré une contrepartie (21 décembre n°402006, Sté Croë Suisse, rapidement confirmée à plusieurs reprises, notamment CE, 6 février 2019, n°410248, SARL Alternance et 15 février 2019, n°407531, SARL Hulia).
Le Conseil d’État a récemment été amené à décliner ces principes dans l’hypothèse où la cession à prix minoré découlait d’une promesse unilatérale de cession consentie à l’un des salariés-clés d’un groupe (CE, 11 mars 2022, n°453016, SARL Alone et Co).
Il y a posé le principe selon lequel, pour déterminer si la cession à prix minoré comporte des contreparties suffisantes pour l’entreprise, il convient de se placer à la date à laquelle l’option a été consentie, et non à la date d’exercice de l’option. En outre, il y a fait preuve d’une certaine souplesse quant à l’appréciation de la consistance des contreparties dont se prévalait la société.
L’histoire
En juin 2007, une société a consenti, à plusieurs de ses salariés (notamment à son directeur technique et à son comptable), des promesses de vente portant sur les actions de l’une de ses filiales.
En juin 2011, ces salariés ont fait jouer ces promesses, et acquis les actions à une valeur unitaire, que l’Administration a considérée comme anormalement basse (décote de 60 % à 70 % par rapport à la valeur reconstituée par l’Administration – décote d’environ 50 % de la valeur retenue après discussion avec la Commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires).
Elle a, dès lors, considéré que cette cession à prix minoré était constitutive d’un acte anormal de gestion pour la société cédante, donnant lieu, pour ses salariés, à des avantages occultes au sens de l’article 111 c du CGI.
La société, ainsi que 2 des salariés concernés, ont vainement contesté le redressement devant les juridictions du fond.
La décision du Conseil d’État
Le Conseil d’État reprend d’abord le considérant de principe de sa décision Sté Croë Suisse précitée, avant d’annuler les décisions rendues par la CAA de Versailles.
Il fait en effet grief à la Cour d’avoir écarté l’existence des contreparties dont se prévalait la société, sans tenir compte des justificatifs fournis.
À cet égard, le Conseil d’État relève qu’étaient produites au dossier les promesses de vente, lesquelles soulignaient qu’elles étaient consenties en considération du rôle personnel que pouvait jouer leur bénéficiaire dans le développement de la société dont les titres étaient cédés.
En outre, ces promesses étaient subordonnées à la condition que leurs bénéficiaires soient toujours salariés au jour de la levée de l’option d’achat, et qu’ils cèdent les titres à la société en cas de rupture de leur contrat de travail.
Sans se prononcer au fond, le Conseil d’État estime dès lors que la CAA de Versailles a dénaturé les pièces des dossiers qui lui ont été soumis et annule la décision. Affaire à suivre.