La CAA de Paris juge que la liberté d’établissement s’oppose à ce qu’une société mère française soit privée du bénéfice de la neutralisation de la quote-part pour frais et charges (QPFC) prévue à l’article 223 B du Code général des impôts (CGI) à raison des dividendes provenant de sa filiale belge détenue à 99,99 %, au motif qu’elle ne dispose pas d’une filiale française lui permettant de bénéficier du régime d’intégration fiscale et n’a pas opté pour ce régime, alors que la filiale belge aurait été éligible à l’intégration fiscale si elle avait été résidente en France.
Rappel
Pour mémoire, les produits de participation qui ouvrent droit au régime mère-filiales sont exclus du résultat imposable de la société bénéficiaire, exception faite d’une QPFC correspondant à 5 % du montant total desdits produits (CGI, art. 216 et 145).
Pour les exercices ouverts avant le 1er janvier 2016, cette QPFC était neutralisée dans le cadre de l’intégration fiscale. La CJUE avait jugé contraire à la liberté d’établissement le fait que les produits de participation reçus de filiales établies dans d’autres États membres, et remplissant par ailleurs toutes les conditions pour être membres d’un groupe fiscal intégré à l’exception de la résidence en France, ne puissent pas bénéficier de ce mécanisme de neutralisation (CJUE, 2 septembre 2015, aff. C-386/14, Groupe Stéria SCA).
Pour les exercices ouverts depuis le 1er janvier 2016, la QPFC est ramenée à 1 % pour les produits de participation versés au sein d’un groupe d’intégration fiscale ainsi que pour les distributions perçues par une société membre du groupe fiscal et versées par une société établie soit dans un autre État de l’UE, soit de l’EEE ayant conclu avec la France une convention d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales, qui, si elle était établie en France, remplirait les conditions pour être membre de ce groupe, en application des articles 223 A ou 223 A bis du CGI (LFR 2015, tirant les conséquences de la décision Stéria précitée).
Par ailleurs, pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2019, le taux de 1 % s’applique, sous certaines conditions, lorsqu’une société mère ne dispose pas, en France, de filiales éligibles au régime de l’intégration fiscale. Cet article prévoit toutefois expressément que cette mesure ne s’applique pas lorsque la société mère française n’est pas membre d’un groupe, uniquement parce qu’elle a choisi de ne pas opter pour ce régime (modification initiée par la loi de finances pour 2019).
Le 11 mai dernier, la CJUE a jugé contraire à la liberté d’établissement la législation française (en vigueur avant 2016) en ce qu’elle refusait le bénéfice de l’ancien mécanisme de neutralisation de la QPFC à une société mère disposant en France de sociétés intégrables mais non intégrées par choix, à raison des dividendes distribués par ses filiales établies dans d’autres Etats membres satisfaisant aux critères d’éligibilité autres que la résidence (CJUE, 11 mai 2023, C-407/22 et C-408/22).
L’histoire
Une société mère française qui ne dispose pas de filiales établies en France et n’est donc membre d’aucun groupe fiscalement intégré a perçu, en 2012 et 2014, des dividendes de sa filiale belge détenue à 99,99 % et remplissant par ailleurs toutes les conditions pour être fiscalement intégrée, à l’exception de la résidence en France.
Ces dividendes ont été placés sous le régime fiscal des sociétés mère-filiales prévu aux articles 145 et 216 du CGI. La société mère française bénéficiaire a ainsi été imposée sur une QPFC de 5 %.
Par une réclamation déposée auprès de la DGE, la société requérante, assistée par l’équipe contentieux du cabinet, a demandé la restitution de l’IS et de la contribution sociale sur l’IS acquittés au titre de la QPFC correspondant aux dividendes perçus en 2012 et 2014.
Cette réclamation ayant été rejetée, la société a porté le litige devant le tribunal administratif de Paris, lequel a fait droit à sa requête, par jugement du 17 mars 2021 (TA Paris, 17 mars 2021, n° 1904315), sur le terrain du principe d’égalité de traitement prévu par l’article 20 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
Le Ministre a interjeté appel de ce jugement devant la CAA de Paris et a notamment soutenu (i) que le Tribunal aurait commis une erreur de droit en transposant la jurisprudence Groupe Stéria SCA au cas d’espèce, alors pourtant que la société mère française ne remplissait pas toutes les conditions objectives et subjectives pour former un groupe d’intégration fiscale en France et (ii) que l’absence d’option de la société mère française pour le régime de l’intégration fiscale constituerait une différence de situation susceptible de justifier la différence de traitement alléguée.
L’arrêt de la CAA de Paris
Dans un premier temps, infirmant le raisonnement tenu par le Tribunal, la Cour juge que la société ne peut se prévaloir d’une atteinte injustifiée aux principes issus de l’article 4 §3 de la directive mère-fille, lus à la lumière du principe d’égalité de traitement prévu par l’article 20 de la Charte des droits fondamentaux, au motif qu’elle ne se trouve pas dans la même situation que les sociétés ayant opté pour le régime d’intégration.
Toutefois, dans un second temps, la Cour fait droit au second moyen soulevé par la société sur le terrain de la liberté d’établissement, et rejette le recours du Ministre. Elle juge en effet :
- qu’il résulte nécessairement de l’interprétation donnée par la CJUE dans sa décision Groupe Stéria SCA que l’exclusion du bénéfice de la neutralisation de QPFC prévue par l’article 223 B du CGI, à raison des dividendes provenant de la filiale belge détenue à 99,99 % par la société mère française – alors que ladite filiale aurait été éligible à l’intégration fiscale si elle avait été établie en France – au seul motif qu’elle ne dispose d’aucune filiale française lui permettant de former un groupe fiscalement intégré, constitue un obstacle à la libre création d’une filiale dans un Etat membre de l’Union européenne autre que la France et, par suite, à la liberté d’établissement au sens des stipulations de l’article 49 du TFUE ;
- que l’absence d’option de la société mère pour le régime de l’intégration fiscale ne constitue pas une différence de situation susceptible de justifier la différence de traitement critiquée, dès lors qu’une telle option ne saurait, en tout état de cause, être opposée à la filiale d’une telle société, établie dans un autre Etat membre de l’Union européenne et non susceptible d’être éligible au régime d’intégration, non plus que, par suite, l’absence d’accord donné par une telle filiale au bénéfice de ce régime.
L’avis du praticien : Sandrine Rudeaux
A l’occasion de nos observations orales présentées à l’issue des conclusions du rapporteur public, nous avons notamment appelé l’attention de la Cour sur les deux arrêts rendus par la CJUE la veille de l’audience (CJUE, 11 mai 2023, C-407/22 et C-408/22), au titre desquels a été jugé contraire à la liberté d’établissement le fait de refuser le bénéfice de la neutralisation de la QPFC à une société mère disposant en France de sociétés intégrables mais non intégrées par choix, à raison des dividendes distribués par ses filiales établies dans d’autres Etats membres satisfaisant aux critères d’éligibilité autres que la résidence.
La Cour, dans son arrêt, n’a pas cité ces deux affaires qui nous semblent conforter pleinement la solution qu’elle a retenue.
Nous nous félicitons de ce que la Cour ait rejeté le recours du Ministre, et attendons désormais de savoir si l’arrêt est définitif.