Dérogation au principe de séparation des patrimoines de la société et de son dirigeant : Conditions de mise en œuvre

Le Conseil d’Etat rappelle que l’Administration ne peut pas déroger au principe de séparation des patrimoines de la société et de son dirigeant, et qu’elle ne peut fonder un redressement sur le seul enrichissement inexpliqué de ce dernier que dans des circonstances bien précises.

Rappel

Le Conseil d’Etat a posé, il y a longtemps, le principe selon lequel l’administration fiscale peut se fonder sur l’enrichissement inexpliqué du patrimoine du dirigeant d’une société pour mettre en évidence l’existence de recettes dissimulées de la société, sans avoir l’obligation de reconstituer le chiffre d’affaires et les résultats de la société. Cette méthode de redressement est dite de « l’enrichissement inexpliqué ».

Cela étant, pour tenir compte du principe strict de séparation entre d’une part, le patrimoine d’une société, et d’autre part, celui de son gérant, le Conseil d’Etat n’admet le recours à cette méthode de redressement que sous réserve du respect de 3 conditions cumulatives (notamment, CE, 23 avril 1975, n°92874 ; CE, 13 juillet 1979, n°13374 ; CE 1 juillet 1985, n°46123) :

  • La comptabilité de la société doit être dépourvue de valeur probante ;
  • Le gérant de la société doit être regardé comme le seul maître de l’affaire ;
  • Il doit exister des circonstances précises et concordantes, tirées du fonctionnement même de la société, établissant la confusion de patrimoines entre la société et son gérant.

La dernière illustration jurisprudentielle en la matière est relativement ancienne, puisqu’elle date de 1992 (CE, 23 novembre 1992, n°69704).

L’histoire

Une société a fait l’objet d’une vérification de comptabilité, à l’issue de laquelle l’Administration a écarté sa comptabilité comme non probante et reconstitué le chiffre d’affaires en regardant comme des recettes dissimulées les sommes inscrites au crédit du compte courant d’associé de son gérant (issues de chèques émis à son ordre, déposés sur les comptes bancaires de la société et comptabilisés au crédit de son compte courant).

Elle n’a ainsi pas procédé à une reconstitution des recettes de la société, s’en tenant au constat de l’enrichissement inexpliqué de son gérant.

Les sommes litigieuses ont, en outre, été regardées comme distribuées au gérant, et taxables entre ses mains sur le fondement des dispositions de l’article 111, c du CGI au titre des rémunérations et avantages occultes.

La décision du Conseil d’Etat

Après avoir rappelé les 3 conditions requises pour déroger au principe de séparation des patrimoines de la société et de son dirigeant en présence d’un enrichissement inexpliqué de ce dernier, le Conseil d’Etat juge qu’il ne faisait aucun doute que les 2 premières (la comptabilité était dépourvue de valeur probante et le dirigeant – associé majoritaire de la société – devait être regardé comme le maître de l’affaire) étaient remplies au cas d’espèce.

Il juge, en revanche, que la 3e condition tenant à l’établissement de la confusion des patrimoines de la société et de son gérant faisait ici défaut en raison de l’absence :

  • de flux financiers entre la société et les comptes personnels de son gérant ;
  • de liens juridiques ou d’affaires et de flux financiers avec les sociétés contrôlées par son gérant (émettrices des chèques litigieux).

Il écarte donc le redressement – en l’absence de tout mode alternatif de reconstitutions des bénéfices de la société proposé par l’Administration.

Photo de Alice de Massiac
Alice de Massiac

Alice a développé depuis plus de 20 ans une large expertise en accompagnant de grands groupes en France et à l’international, tant en conseil qu’en contentieux, anticipant les impacts dans […]

Photo de Clara Maignan
Clara Maignan

Clara Maignan, avocat, a rejoint les équipes de Deloitte Société d’Avocats en 2011. Elle exerce au sein du Comité Scientifique Fiscal.