Le 16 février 2024, la Commission européenne a annoncé ouvrir la première enquête approfondie sur le fondement du règlement 2022/2560 relatif aux subventions étrangères faussant le marché intérieur à l’encontre de la société CRRC Qingdao Sifang Locomotive Co., Ltd., une filiale de CRRC Corporation, numéro un du secteur ferroviaire chinois
L’enquête a été ouverte dans le cadre d’une notification présentée par CRRC Qingdao Sifang Locomotive concernant une procédure de passation de marché public lancé par le ministère bulgare des transports et des communications, portant sur la fourniture de 20 trains électriques réversibles ainsi que de services connexes de maintenance et de formation du personnel.
Pour rappel, ce règlement entré en vigueur le 12 juillet 2023 prévoit une obligation de notification spécifique en matière de passation de marchés publics afin de pallier les potentielles atteintes à la concurrence.
Les entreprises ont donc l’obligation de notifier au pouvoir adjudicateur, qui transfère sans délai la notification à la Commission européenne, les contributions financières étrangères dans le cadre de procédures de passation de marchés publics (ouvertes depuis le 12 octobre 2023), lorsque :
- la valeur estimée du marché est d’au moins 250 millions d’euros ; et que
- l’offre comporte des contributions financières étrangères totales cumulées d’au moins 4 millions d’euros par pays tiers au cours des trois dernières années.
Selon la difficulté soulevée par la notification de l’entreprise, il relève du pouvoir discrétionnaire de la Commission de décider ou non d’ouvrir une enquête plus approfondie.
En l’espèce, le montant du marché visé par l’entreprise notifiante est estimé à environ 610 millions d’euros. À la suite de l’examen préliminaire de la notification présentée par l’entreprise candidate, la Commission européenne a constaté que cette entreprise bénéficiait de subventions étrangères.
Une enquête approfondie a donc été ouverte par la Commission afin d’apprécier si cette subvention était susceptible de conférer directement ou indirectement un avantage compétitif à l’entreprise lui permettant de présenter une offre indûment avantageuse.
À l’issue de l’enquête, en cas de constat d’une distorsion de concurrence en raison de la subvention étrangère accordée, c’est à dire d’un déséquilibre entre les effets positifs et négatifs de la subvention accordée au sein du marché intérieur, la Commission pourra :
- imposer à l’entreprise des mesures réparatrices, structurelles ou non, telles que la cession d’actifs, l’accès à des infrastructures essentielles, l’interdiction de certains comportements sur le marché ;
- accepter des engagements proposés par l’entreprise ;
- interdire l’attribution du marché public à l’égard de la société chinoise.
La notification complète de CRRC Qingdao Sifang Locomotive ayant été présentée à la Commission le 22 janvier 2024, la Commission dispose d’un délai de 110 jours ouvrables (soit jusqu’au 2 juillet 2024) pour prendre une décision finale. La Commission précise dans son communiqué de presse du 16 février 2024 que « l’ouverture d’une enquête approfondie ne préjuge pas de l’issue de la procédure ».
Pour rappel, les autres outils du règlement mis à la disposition de la Commission européenne sont :
- une procédure de notification dans le cadre des opérations de concentration (similaire à la notification dans le cadre des marchés publics) dans lesquelles :
- l’entreprise acquise, une des parties à la fusion ou l’entreprise commune est établie dans l’Union ; et
- génère un chiffre d’affaires dans l’Union européenne d’au moins 500 millions d’euros; et
- dans lesquelles les parties à la transaction se sont vues octroyer par des pays tiers des contributions financières totales cumulées d’au moins 50 millions d’euros au cours des trois dernières années.
- une procédure d’office visant à enquêter sur toutes les autres situations de marché, permettant à la Commission d’entamer un examen de sa propre initiative.
Cette enquête montre la ferme volonté de la Commission européenne d’exercer une vigilance renforcée sur les opérations impliquant une société étrangère, notamment face aux grandes puissances économiques (telles que la Chine) qui sont les principales « cibles » de ce dispositif.
À cette occasion, Margrethe Vestager (Commissaire européen à la Concurrence) a rappelé le caractère essentiel d’une « concurrence loyale et non amoindrie pour l’UE », Thierry Breton (Commissaire européen au Marché intérieur) insistant sur l’objectif de « compétitivité » et de « sécurité économique au sein du marché unique ».
De son côté, la chambre de commerce de la Chine auprès de l’UE (CCCUE) a fait part de sa « grande déception et de sa profonde inquiétude » concernant cette enquête et déplore la « tendance protectionniste croissante » et « l’utilisation abusive des instruments politiques », faisant ici également référence à l’enquête antisubventions ciblant les véhicules électriques originaires de Chine ouverte fin 2023.
Ne reste donc plus qu’à attendre le résultat de l’enquête menée par la Commission européenne.