Alors que l’Administration vient tout juste de commenter au BOFiP les modalités d’application de la nouvelle taxe sur l’exploitation des infrastructures de transport de longue distance, instaurée par la LF 2024, le Conseil d’Etat transmet au Conseil constitutionnel une QPC portant sur sa conformité au principe d’égalité devant l’impôt.
Rappel
La LF 2024 a introduit une taxe sur l’exploitation des infrastructures de transport de longue distance (codifiée aux articles L 425-1 et suivants du CIBS), destinée à financer les investissements massifs de l’Etat dans les infrastructures, notamment ferroviaires.
La nouvelle taxe s’applique aux entreprises dont :
- Les revenus de l’exploitation encaissés au cours de l’année civile sont supérieurs à 120 m€ et,
- Le niveau de rentabilité (égal au rapport du résultat net sur le chiffre d’affaires au titre d’un exercice comptable donné) est supérieur à 10 % en moyenne sur les 7 derniers exercices, en excluant les exercices les plus extrêmes (CIBS, art. L 425-7).
Une fois les 2 seuils dépassés, la fraction des revenus de l’exploitation excédant 120 m€ est soumise à la taxe, dont le taux a été fixé à 4,6 %.
En février dernier, un décret précisant ses modalités de déclaration et de paiement a été publié (n°2024-90, du 8 février 2024).
Publication de commentaires au BOFiP (BOI-AIS-MOB-50)
Les précisions les plus significatives sont les suivantes :
Sur le territoire de taxation (§ 10-30)
Pour tomber dans le champ de la taxe, l’infrastructure doit être située en totalité sur le territoire de taxation, lequel comprend :
- Le territoire unique tel que défini par les dispositions de l’article L. 411-5 du CIBS (constitué de la Métropole, de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Guyane, de la Réunion et de Mayotte) ;
- Saint-Barthélemy (à l’exclusion de la voirie et des ports maritimes) ;
- Saint-Martin (à l’exclusion de la voirie et des ports maritimes) ;
- Saint-Pierre-et-Miquelon (à l’exclusion de la voirie classée en route nationale).
A contrario, si l’infrastructure exploitée est située en partie sur le territoire de taxation et sur un territoire étranger, alors elle est exclue du champ d’application de la taxe.
L’Administration indique que tel est le cas du tunnel du Mont-Blanc ou du tunnel sous la Manche.
La loi précise en outre que les infrastructures principalement utilisées pour la réalisation de déplacements autorisés par un Etat étranger dans le cadre d’une convention conclue avec ce dernier sont, elles, hors du champ d’application de la taxe nouvelle.
L’Administration confirme (à l’instar de ce qu’indiquaient déjà les travaux parlementaires), que l’aéroport de Bâle-Mulhouse est hors du champ de la taxe nouvelle.
Elle précise qu’est uniquement prise en compte l’existence d’autorisations portant spécifiquement sur le déplacement des moyens de transport à partir de l’infrastructure, indépendamment de l’existence d’autorisations portant sur les personnes ou marchandises faisant l’objet du déplacement.
En particulier, l’existence d’accords avec un Etat étranger aux fins du contrôle de l’admissibilité des voyageurs ou des marchandises sur le territoire d’arrivée n’a pas pour effet d’écarter l’application de la taxe.
Infrastructures de transport concernées (§ 40-60)
Les infrastructures de transport de longue distance s’entendent de celles qui permettent le déplacement de personnes ou de marchandises sur une longue distance, au moyen d’engins de transport routier, ferroviaire ou guidé, d’aéronefs ou d’engins flottants.
L’Administration précise qu’il importe peu que ces déplacements soient qualifiés de « transport » ou de « services de mobilités », ou qu’ils soient régis par le Code des transports, le Code de la route ou d’autres textes.
Le mode de transport est également indifférent, tant qu’il est réalisé au moyen d’un « engin ».
Est également indifférente la circonstance que le déplacement soit réalisé pour compte propre ou pour compte d’autrui ou encore qu’il soit réalisé à titre gratuit ou onéreux.
Enfin, l’Administration indique que lorsqu’une infrastructure permet à la fois des déplacements de longue distance et d’autres formes de déplacements, elle est soumise à la taxe.
Elle confirme, en revanche, expressément, que sont exclues du champ de la taxe les infrastructures de transports urbains ou concourant aux services de mobilité urbaine (ce que laissait nettement penser la rédaction du texte).
Périmètre des revenus d’exploitation considérés (§ 70-100)
Une exploitation d’infrastructure de transport de longue distance est taxable lorsque les revenus bruts dégagés sont supérieurs à 120 m€ au cours d’une année civile.
L’Administration précise que lorsqu’une même personne exploite plusieurs infrastructures de transport de longue distance, le seuil est apprécié globalement en faisant la somme de l’ensemble des revenus bruts de cette personne – sous réserve des exceptions prévues par le texte.
Les revenus d’exploitation s’entendent de l’ensemble des contreparties, hors taxe sur la valeur ajoutée, obtenues ou à obtenir par l’entreprise qui exploite ces infrastructures au tire des opérations qu’elle réalise dans le cadre de ses activités économiques.
L’Administration précise que cette notion d’activités économiques doit s’entendre de celles mentionnées à l’article L. 111-1 du CIBS, lesquelles renvoient à l’article 256 A du CGI.
Il résulte de ce renvoi que les revenus bruts à prendre en compte sont constitués de l’ensemble des sommes qui rentrent dans le champ de la TVA, qu’elles soient ou non exonérées ou qu’elles soient ou non territorialisées en France, dans un autre Etat membre de l’UE, ou en territoire tiers.
Les contreparties sont constituées de tous les éléments qui constituent la base de la TVA, en tenant compte notamment de l’ensemble des frais divers, des taxes et prélèvements autres que la TVA, mais pas des éléments qui en sont exclus.
Inversement, ne doivent pas être incluses dans ces revenus les recettes qui ne sont pas issues d’opérations soumises à la TVA (c’est le cas de certains produits financiers, certaines subventions, aides, dons ou indemnités).
L’Administration indique expressément que ne sont pas pris en compte les montants perçus par les exploitants d’aérodromes en application de l’article L. 6328-4 du Code des transports (notamment, les affectations des tarifs de sûreté et de sécurité et des tarifs de péréquation de la taxe sur le transport aérien de passagers mentionnée à l’article L. 422-13 du CIBS).
On rappelle que le texte prévoit que ne sont pas pris en compte les revenus qui remplissent les 3 conditions cumulatives suivantes, même lorsqu’ils sont soumis à la TVA :
- Relever d’une activité distincte et indépendante de l’exploitation d’une infrastructure de longue distance, et
- Ne pas être réalisés au moyen d’une telle infrastructure, et
- Ne pas résulter d’une valorisation du domaine relatif à une telle infrastructure ou à ses accessoires.
L’Administration indique, à titre d’exemple, que les revenus tirés d’une prestation de conseil délivrée à un tiers dans la gestion des infrastructures de transport, même si elle est fondée par l’expérience acquise par l’opérateur dans le cadre de l’exploitation de l’infrastructure taxée, ne sont pas taxés tant que cette prestation n’est pas matériellement réalisée en recourant à cette infrastructure.
A l’inverse, elle indique que seront pris en compte :
- Toute valorisation auprès de tiers des terrains et autres immeubles situés sur le domaine de l’infrastructure, y compris auprès d’acteurs économiques étrangers à l’infrastructure et réalisant des activités sans lien avec cette dernière (nb : en ligne avec ce qu’indiquaient les travaux parlementaires) ;
- Les revenus issus des services relatifs aux transports urbains connectant avec d’autres lieux, qu’ils soient rendus aux transporteurs, aux gestionnaires des infrastructures ou aux voyageurs.
Deuxième exception prévue par la loi, les contreparties obtenues au titre de la vente d’électricité produite par l’entreprise qui exploite l’infrastructure à des personnes autres que les usagers de la structure.
L’Administration précise que cela vise notamment la vente de l’électricité produite par des panneaux photovoltaïques placés sur l’infrastructure, ainsi que l’électricité produite par les barrages fluviaux – sous réserve que le consommateur n’acquière pas l’électricité en tant qu’usager de l’infrastructure.
Niveau de rentabilité (§110-120)
Pour que la taxe soit applicable, il faut non seulement que les revenus d’exploitation ainsi définis excèdent annuellement 120 m€, mais encore que le niveau moyen de rentabilité de l’exploitant excède 10 %.
Ce niveau de rentabilité s’entend du résultat de la division du résultat net par le chiffre d’affaires, tous deux déterminés dans les conditions prévues par les règlements publiés par l’ANC. Le texte prévoit toutefois expressément que la nouvelle taxe elle-même ne doit pas être prise en compte parmi les charges pour déterminer ce résultat net.
Afin de déterminer le niveau « moyen » de rentabilité, il convient de retenir la moyenne des ratios déterminés par exercice des 7 derniers exercices comptables, en excluant les exercices les plus extrêmes (les 2 exercices des ratios les plus élevés ainsi que les 2 exercices des ratios les plus faibles).
L’Administration indique que lorsque l’exploitant n’a pas encore réalisé 7 exercices comptables, alors le critère n’est pas rempli, de manière à exclure les entreprises en début d’activité, « pour lesquelles il n’a pu encore être constaté une robustesse financière dans la durée ».
Fait générateur et exigibilité (§ 140)
Le fait générateur de la taxe est constitué par l’achèvement de l’année civile.
L’Administration précise qu’il en résulte qu’en cas de modification de la loi entrant en vigueur au cours d’une année civile, cette modification s’appliquera à l’ensemble des revenus encaissés depuis le début de l’année.
Modalités de paiement de la taxe (§ 190 – 230)
La taxe est acquittée par télérèglement au moyen d’un versement de 3 acomptes (versés lors du dépôt de l’annexe de la CA3 au titre des mois de mars, juin et septembre de l’année civile au cours de laquelle la taxe est devenue exigible) dont chacun des montants est égal au tiers de la fraction des revenus de l’exploitation excédant 120 m€.
L’Administration indique que le redevable pourra moduler ses acomptes à la baisse le cas échéant. En revanche, s’il apparaît une différence de plus de 20 % entre les acomptes versés et le montant définitif de la taxe, le redevable devra s’acquitter des intérêts de retard et de la majoration de 5 % prévue à l’article 1731 du CGI.
Elle apporte également des précisions sur les modalités de régularisation à terme échu.
Transmission d’une QPC au Conseil constitutionnel
Pour mémoire, la taxe avait fait l’objet d’un 1er examen par le Conseil constitutionnel, à l’occasion du contrôle de constitutionnalité de la LF 2024.
Les parlementaires considéraient que la notion d’« infrastructures de transport de longue distance » était par trop imprécise, et traduisait une méconnaissance par le législateur de sa compétence, ainsi qu’une méconnaissance du principe d’égalité devant les charges publiques.
Le Conseil constitutionnel avait écarté ce grief, et validé, dans cette mesure, la constitutionnalité de la taxe.
Dans le cadre de la demande de transmission de QPC présentée au Conseil d’Etat, les requérants ont retenu un angle d’attaque différent.
Ils arguent, en effet, en substance, qu’en définissant de manière spécifique les infrastructures de transport de longue distance dont l’exploitation est soumise à la taxe litigieuse et en retenant, parmi les critères d’assujettissement, une condition tenant au niveau moyen de rentabilité de l’exploitant, les dispositions en cause portent atteinte au principe d’égalité devant la loi et au principe d’égalité devant les charges publiques.
Le Conseil d’Etat a transmis la QPC ainsi formulée au Conseil constitutionnel, qui dispose à présent de 3 mois pour se prononcer.