Refus de transmission d’une QPC sur l’assiette de la RAS de l’article 182 B

Le Conseil d’Etat refuse de transmettre au Conseil constitutionnel une QPC portant sur l’assiette de la retenue à la source de l’article 182 B du CGI (dans sa rédaction en vigueur en 2012), en ce qu’elle s’applique au montant brut des rémunérations versées à une société résidente d’un Etat tiers à l’UE, quand bien même cette dernière serait déficitaire.

Eléments de contexte

En l’absence de convention fiscale, l’article 182 B, I-a du CGI soumet à une retenue à la source en France les sommes versées en rémunération d’une activité déployée en France dans l’exercice de l’une des professions mentionnées à l’article 92 du CGI (imposition en BNC), lorsqu’elles sont payées par un débiteur qui exerce une activité en France, à des personnes ou des sociétés relevant de l’IR ou de l’IS, qui n’ont pas en France d’installation professionnelle permanente.

Par principe, son taux est fixé à 25 %, mais il peut être porté à 75 % lorsque les sommes en cause sont payées à des personnes domiciliées ou établies dans un ETNC.

Depuis le 1er janvier 2020, les sociétés déficitaires situées dans l’UE ou dans l’EEE peuvent, sous conditions, bénéficier d’une restitution temporaire de la RAS de l’article 182 B (CGI, art. 235 quater, instauré par la LF 2020).

Depuis le 1er janvier 2022, les personnes morales et organismes non-résidents établis dans l’UE ou l’EEE qui perçoivent des revenus de source française entrant dans le champ de l’article 182 B du CGI bénéficient d’un abattement forfaitaire de charges de 10 %, appliqué immédiatement lors du prélèvement de la RAS.

Depuis cette même date, les bénéficiaires de produits et sommes soumis à la RAS de l’article 182 B peuvent demander qu’une quote-part de la RAS versée leur soit restituée à hauteur de la différence entre la RAS versée et la RAS calculée sur une base nette des charges d’acquisition et de conservation directement rattachées à ces produits et sommes. Il faut, à cet égard, que le bénéficiaire des produits et sommes soit une personne morale à l’IS, dont le siège est situé dans un Etat membre de l’UE ou de l’EEE.

Ces aménagements ont été introduits par la LF 2022, pour tirer les conséquences de décisions du Conseil d’Etat ayant jugé contraire au principe européen de libre prestation de services, le mécanisme de l’article 182 B, dans la mesure où il s’applique sur une assiette brute, alors que dans la même situation, une personne morale française serait imposable sur un bénéfice établi après déduction des charges supportées pour l’acquisition et la conservation de ces revenus (voir notamment CE du 22 novembre 2019, n°423698, SAEM de gestion du Port Vauban ; CE du 9 septembre 2020, n°434364, Société Damolin Etrechy).

L’histoire

Une société française assure la gestion d’un port de plaisance public ainsi que d’un port réservé. Les associés de cette société – essentiellement des sociétés non-résidentes – disposent d’un droit de jouissance des postes à quai. Lorsque ces postes d’amarrage ne sont pas occupés, la société les sous-loue à des usagers de passage et reverse le loyer, minoré des frais de gestion, à l’associé concerné.

A l’issue d’une vérification de comptabilité portant sur les exercices 2010 à 2012, l’Administration a considéré que ces loyers devaient être soumis à la RAS de l’article 182 B, I-a du CGI.

S’en est alors suivi un long contentieux. Devant les juges d’appel, la société a obtenu une décharge partielle de la RAS, la CAA de Marseille ayant admis de tenir compte, pour les seuls associés résidents d’un Etat de l’UE ou de l’EEE, des frais de gestion exposés (minorant d’autant l’assiette de la RAS), sur le fondement de la liberté européenne de prestation des services.

La société française a alors formé un pourvoi devant le Conseil d’Etat, et demandé la transmission d’une QPC portant sur une contrariété des dispositions de l’article 182 B du CGI aux principes d’égalité devant la loi et d’égalité devant les charges publiques, en ce qu’elles prévoient l’application d’une RAS sur une assiette brute pour les seules personnes ou sociétés établies dans un Etat tiers à l’UE. La société contestait, sur le même terrain, l’application de la RAS aux sociétés déficitaires résidentes d’un Etat tiers à l’UE.

La décision du Conseil d’Etat

Le Conseil d’Etat reprend les principes dégagés par le Conseil constitutionnel dans sa décision Société Cosfibel Premium (décision n°2019-784 du 24 mai 2019).

Il rappelle ainsi qu’en prévoyant, par les dispositions de l’article 182 B du CGI, des modalités d’imposition différentes pour les entreprises qui ne sont pas établies en France et n’y disposent pas d’installation professionnelle permanente, le législateur a entendu garantir le montant et le recouvrement de l’imposition due, à raison de leurs revenus de source française, par des personnes à l’égard desquelles l’administration fiscale française ne dispose pas du pouvoir de vérifier et contrôler la réalité des charges déductibles qu’elles ont éventuellement engagées, ni celle de leur éventuels déficits.

Dès lors, en faisant peser l’imposition des revenus des personnes qui ne disposent pas d’installation professionnelle permanente en France sur les sommes brutes qu’elles reçoivent en rémunération de leurs prestations, sans tenir compte des résultats tirés des autres activités de ces personnes pouvant aboutir à des situations globales déficitaires, le législateur s’est fondé sur un critère objectif et rationnel en rapport avec l’objet de la loi et n’a pas institué de différence de traitement injustifiée.

Il juge ensuite que si le mode de calcul ou la dispense de RAS a pu être adapté ou admis par le juge de l’impôt pour tenir compte du principe de libre prestation de services, en ce qui concerne les seules sociétés établies dans l’UE, il ne s’agit que d’une « adaptation des modalités de mise en œuvre de cette imposition dans le respect du droit de l’Union européenne », qui n’impose pas que son bénéfice soit étendu aux entreprises établies dans des Etats tiers.

Il refuse donc la transmission de la QPC sollicitée par la société requérante.

Photo de Alice de Massiac
Alice de Massiac

Alice a développé depuis plus de 20 ans une large expertise en accompagnant de grands groupes en France et à l’international, tant en conseil qu’en contentieux, anticipant les impacts dans […]

Photo de Clara Maignan
Clara Maignan

Clara Maignan, avocat, a rejoint les équipes de Deloitte Société d’Avocats en 2011. Elle exerce au sein du Comité Scientifique Fiscal.