Irlande – Prix de transfert – Méthode du prix de revient majoré (cost plus) – Exclusion des stock-options de la base de calcul de la marge (confirmation)

Cet article a été publié dans les Éditions JFA Juristes & Fiscalistes Associés – Mai 2025 et est reproduit sur ce blog avec l’accord de l’éditeur.

La Commission d’appel fiscal irlandaise rappelle que la valeur des options de souscription ou d’achat d’actions (stock-options), accordées aux salariés d’une société irlandaise par la mère américaine du groupe sans qu’elles soient facturées à la filiale irlandaise, ne peut être retenue dans la base de calcul de la marge de cette dernière au titre de la facturation de ses services à sa société mère américaine.


Irish Tax Appeal Commission, 21 févr. 2024, 59TACD2024


Une société irlandaise (« la société »), filiale d’un groupe américain, rend des services de vente, de marketing et de recherche et développement à sa société mère américaine qui développe des logiciels. Pour couvrir ces transactions, le groupe a retenu la méthode transactionnelle de la marge nette (MTMN), la société facture ses services en ajoutant une marge de 10 % aux coûts qu’elle supporte.

Certains salariés de la société ont bénéficié d’un plan d’attribution d’options de souscription ou d’achat d’actions (stock-options) émis par la mère américaine qui supporte l’ensemble des coûts associés à ce plan d’attribution puisqu’elle n’a pas facturé à la société les coûts de cette attribution et les frais associés.

En application des normes comptables irlandaises  (Norme d’information financière 102 « FRS 102 ».), les états financiers de la société présentaient ces dépenses relatives aux stock-options supportées par la mère américaine. L’administration fiscale irlandaise a reproché à la société d’avoir minoré la base de calcul de sa marge en ne retenant pas ces coûts liés à l’attribution des stock-options.

Rappelons que les stock-options permettent à une entreprise d’ouvrir à un salarié le droit d’acheter des actions de cette dernière à un prix favorable fixé à l’avance, appelé prix d’exercice, pendant une période déterminée. Le bénéficiaire exerce souvent cette option d’achat plus tard, lorsque le prix de marché est supérieur au prix d’exercice ; il peut ainsi les revendre et constater la plus-value (En France, les articles L. 225-177 et suivants du code de commerce
encadrent le régime des options de souscription ou d’achat d’actions). Ce mécanisme est utilisé par les groupes, notamment dans le secteur technologique, afin d’attirer et retenir les salariés, en particulier ceux à fort potentiel ; il constitue un outil de fidélisation des salariés au sein d’un groupe.

Dans cette position inédite, la Commission d’appel fiscal irlandaise a conclu à l’exclusion des stock-options de la base de calcul de la marge, en application des principes OCDE. Cette décision offre l’opportunité d’un état des lieux de ce sujet auquel les services de contrôle français semblent manifester un intérêt prononcé.

À cette date, à notre connaissance, le juge français n’a pas été saisi de cette question de l’inclusion ou de l’exclusion des stock-options de la base de calcul du coût majoré (cost plus). La doctrine administrative reste également silencieuse alors que les services de vérification français semblent considérer comme évidente l’inclusion des stock-options, quelle que soit la situation de la société vérifiée.

La position formelle d’une autorité fiscale d’un État membre de l’OCDE, fondée sur les principes de l’OCDE et contraire à cette approche des services de contrôle en France, mérite d’être scrutée en examinant les arguments retenus par la Commission irlandaise, et leur possible application en France (a) ainsi que les positions adoptées par d’autres États membres de l’OCDE (b).

L’analyse conduisant à l’exclusion des stock-options de la base de base de calcul de la marge peut être retenue en France

Rappel des fondements applicables

Les principes OCDE en matière de prix de transfert1 ne traitent pas explicitement de la question de l’inclusion ou de l’exclusion des stock-options dans la base de calcul de la marge lorsque le groupe applique la méthode du prix de revient majoré.

En revanche, une étude de politique fiscale du Centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE, intitulée « Options de souscription ou d’achat d’actions pour les salariés : incidences sur les prix de transfert » (un projet pour commentaire du 3 septembre 2004 suivi de la version finale du 26 septembre 2006, identique au projet) a apporté des éléments de précision propres à certaines situations particulières.

Cette étude traite des implications en matière de prix de transfert de l’attribution d’un plan de stock-options par une société mère aux salariés de sa filiale. Elle présente notam-ment des exemples selon la méthode de prix de transfert choisie : coût de revient majoré, MTMN et méthode de partage des bénéfices.

S’agissant des exemples concernant les deux premières méthodes, l’étude précise que les stock-options doivent être incluses au sein de la base de calcul du coût majoré : « Quand on applique la méthode transactionnelle de la marge nette pour déterminer la contrepartie de pleine concurrence pour une transaction donnée entre entreprises associées, les indicateurs de marge nette sont généralement déterminés après déduction des coûts salariaux. En partant du principe que les plans d’options font partie des coûts salariaux d’une entreprise, la marge nette devrait être calculée après prise en compte de l’incidence des options attribuées aux salariés pour les prestations qu’ils ont effectuées et qui ont un rapport avec la transaction contrôlée en question.»2

Reste que cette étude précise dans son introduction que « les exemples qui sont développés partent du postulat qu’une facturation a eu lieu entre la société mère et sa filiale pour la fourniture du plan d’options pour les salariés3. Partant, dès lors qu’aucune facturation n’a été adressée à la filiale – tel est le cas dans l’espèce irlandaise – les exemples présentés par l’étude de l’OCDE ne sauraient être retenus pour traiter de cette situation différente de celle étudiée par le Centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE.

Synthèse et enseignements de la décision irlandaise : les coûts et les risques associés ne sont pas supportés par la société

Synthèse de la décision – Le groupe a présenté sa position tendant à l’exclusion de ces coûts associés au plan de stock-options du calcul de la marge de la société irlandaise en se fondant essentiellement sur l’analyse fonctionnelle et les risques liés à l’attribution du plan de stock-options.

Il a fait valoir que seules les exigences de la norme FRS 102 conduisent la société à inscrire une « dépense fictive », qui conduirait cette dernière à constater une perte, alors qu’elle n’a pas supporté cette charge (elle est assumée par sa mère). Il n’existe donc en réalité aucune perte économique et financière mais uniquement une perte comptable liée à cette règle imposée à la société irlandaise. Les stock-options ont en effet été attribuées par la mère américaine et la société n’est intervenue à aucun moment dans le processus d’attribution (Irish Tax Appeal Commission, 59TACD2024, 21 févr. 2024, p. 17, n° 35.9.).

Ces stock-options attribuées par la mère américaine sont sans lien avec les performances de la filiale irlandaise et avec les services qu’elle rend. Les coûts supportés par la mère américaine lui sont spécifiques dans la conduite de ses activités, ils ne représentent pas une charge de la société qui viendrait augmenter ses coûts ou grever son résultat au titre des services que cette dernière s’est engagée à rendre (Ibidem, p. 17, n° 40.10). De surcroît, les stock-options sont attribuées aux salariés de la filiale irlandaise via une plateforme gérée par la mère américaine.

Les travaux menés par la Commission font apparaître que les risques associés à l’émission des stock-options pèsent sur les actionnaires de la mère américaine, seule à même de prendre la décision d’attribution, et non sur sa filiale irlan-daise. L’émission des stock-options conduit en effet à diluer le capital de la société mère détenu par ses actionnaires, dans l’espoir que les employés de la filiale, incités par ces stock-options, parviendront à un plus haut niveau de performance, de nature à compenser cette dilution. Le risque lié à l’émission des stock-options repose ainsi sur la société mère.

Au terme de ce raisonnement, seuls les coûts réellement supportés par la filiale irlandaise doivent être inclus dans la base de calcul de sa marge : les stock-options qui sont émis par la société mère et dont le coût est supporté uniquement par cette dernière ne peuvent donc pas être inclus.

Enfin, il convient de noter qu’aucune facturation pour la fourniture du plan d’attribution des stock-options n’a été adressée par la mère américaine à sa fille irlandaise et le contrat intragroupe liant les parties prévoyait spécifiquement l’exclusion des stock-options de la base du calcul de la marge.

En s’appuyant sur les principes OCDE, les arguments du groupe ont emporté la conviction de la juridiction irlandaise. Cette dernière a retenu que, si la société a l’obligation d’inscrire dans ses comptes le coût des stock-options, conformément à la norme FRS 102, en revanche cette norme comptable ne permet pas de déterminer les risques supportés par la société, en application des principes OCDE (Ibid., p. 41, n° 341.), et n’a pas de pertinence au regard du principe de pleine concurrence (Ibid., p. 132, n° 315.).

L’analyse fonctionnelle jointe à la décision reprend de manière précise les arguments avancés par le groupe. Sur le fondement des principes OCDE, la Commission confirme l’exclusion des stock-options de la base de calcul de la marge de la filiale.

Enseignements et implications en France – En travaillant sur l’analyse fonctionnelle et en examinant attentivement l’impact sur l’activité des sociétés du groupe, cette décision s’appuie sur une analyse menée conformément aux principes OCDE. Elle montre que ces derniers offrent une grille d’analyse permettant de déterminer si un coût doit être compris dans la base de calcul de la marge de la société.

L’appréciation des risques d’attribution du plan reposant sur la société mère, les stock-options ne doivent naturellement pas figurer dans la base de calcul du coût majoré ; cet argument devrait emporter la conviction des juridictions françaises qui se prononcent également en faisant référence aux principes directeurs de l’OCDE en matière de prix de transfert.

La situation aurait pu néanmoins être différente si le plan d’attribution proposé par la mère américaine avait fait l’objet d’une facturation à la société. Par cette facturation, le coût d’allocation serait devenu une charge de la filiale susceptible d’entrer dans la base des coûts soumise à la marge.

Comptablement, en France, une filiale n’est pas tenue d’enregistrer des charges en relation avec l’attribution des stock-options, lorsqu’aucune facture ne lui a été adressée. L’attribution des stock-options pourrait ne pas être reflétée dans les comptes de la filiale française. Reste que, si tel était le cas, la comptabilisation ne peut à elle seule servir de fondement à l’introduction dans la base de calcul, faute d’analyse fondée sur le principe de pleine concurrence. L’analyse fonctionnelle restera essentielle, comme indiqué par la Commission irlandaise. Seule une étude approfondie des risques et des coûts effectivement supportés sera pertinente. Enfin, le contrat intragroupe prévoyait spécifiquement l’exclusion des stock-options de la base de calcul de la marge. Or, l’expérience montre que les groupes recourent souvent à des formules générales dans leurs contrats, visant les « coûts directs et indirects ». Une mention claire, prévoyant dans les contrats intragroupes l’exclusion explicite des stock-options des coûts soumis à la marge offrira donc une base solide d’échange avec les services de vérification, permettant de justifier le calcul de la marge sans retenir ce type de coûts.

Les positions des juridictions membres de l’OCDE quant à l’inclusion ou exclusion des stock-options de la base de calcul du coût majoré

D’autres juridictions ont également examiné cette question. Aux États-Unis, sur le fondement des principes OCDE, l’exclusion a été confirmée. En Israël, mais sur la base d’un fondement de droit interne, les coûts liés aux stock-options ont été inclus dans la base de calcul de la marge de la filiale.

États-Unis

Dans une affaire Xilinx, Inc. c. Commissioner4, le Tribunal et la Cour d’appel fédérale américaine du neuvième ressort ont tous deux considéré que le principe de pleine concurrence doit fonder tous les ajustements de prix de transfert, si bien qu’une analyse exigeante du comportement réel des parties non liées lorsqu’elles concluent des transactions entre elles (l’interprétation « comportementaliste » du principe de pleine concurrence) doit servir de base à l’analyse.

La société américaine Xilinx Inc. avait conclu un accord de partage de coûts avec sa filiale irlandaise. Cet accord ne prévoyait pas le traitement des stock-options attribuées aux employés de la filiale. Les stock-options ont donc été exclus du calcul du partage des coûts.

Selon la Cour américaine, les parties non liées n’accepteraient pas explicitement de partager le coût des stock-options, puisque la différence des valeurs (à la date d’attribution et à la date d’exercice) est spéculative : le lien entre les stock-options et la valeur des fonctions exercées est donc ténu.

De plus, les facteurs à l’origine de la volatilité de la valeur des stock-options comprennent des facteurs tels que la conjoncture sectorielle et économique en général, la désinformation et la perception erronée des investisseurs, ainsi que les décisions d’investissement individuelles des employés quant au moment d’exercer ces options, qui ne sont pas toutes liées à l’accord lui-même.

Le partage de cette différence des valeurs entre deux parties non liées peut également inciter de manière paradoxale l’une des parties à diminuer ou à limiter le cours de l’action de l’autre société, afin de minimiser le coût de cette différence de valeur qui sera partagée entre elles. Des parties non liées n’accepteraient pas d’inclure de telle conditions qui pourraient encourager un comportement contre-productif.

La Cour d’appel fédérale a donc confirmé la décision du Tribunal selon laquelle l’obligation d’inclure les stock-options dans les coûts des services, en vue de déterminer la rémunération de la société, est incompatible avec le principe de pleine concurrence.

Israël

À ce jour, Israël est le seul État ayant explicitement prévu, dans son corpus de règles nationales, d’inclure le coût des stock-options au sein de la base de calcul du coût majoré.

À l’occasion de deux affaires portées devant la Cour suprême israélienne le 22 avril 2018 (Cour suprême (Israël), 22 avr. 2018, n° 943/16, Israel c/ Kontera et Finisar.), cette dernière a conclu que les stock-options étaient parties intégrantes de la rémunération des employés israéliens et doivent donc être incluses dans la base du calcul de la marge. Ce raisonnement de la Cour est fondé sur les règles fiscales internes ; il ne mentionne pas les principes OCDE.

À la suite de cette décision, l’administration fiscale israélienne a diffusé une circulaire en décembre 2018, précisant que les sociétés doivent inclure le coût des stock-options dans leur liasse fiscale. La circulaire précise qu’en l’absence de cette mention dans les déclarations, des contrôles seront engagés et des pénalités pourront être appliquées.

L’ŒIL DE LA PRATIQUE

La question de l’exclusion ou l’inclusion des stock-options dans la base de calcul de la marge d’une société française n’a pas encore été portée à l’appréciation de juge en France et elle n’a pas encore été traitée par la doctrine administrative.

Cette absence de position de référence est source d’insécurité juridique pour les groupes internationaux ayant mis en place un plan d’attribution de stock-options au profit des salariés français de leurs filiales. Les groupes doivent donc se montrer attentifs aux termes de leurs contrats intragroupes et spécifier les coûts compris dans la base de calcul de la marge de la société française (et donc l’exclusion des coûts liés aux stock-options en particulier).

La récente décision irlandaise concluant à l’exclusion est particulièrement utile puisqu’elle fonde son raisonnement, comme la décision américaine, sur les principes OCDE en matière de prix de transfert, à l’aide d’une analyse fonctionnelle approfondie.


 

OCDE (2022), Principes de l’OCDE applicables en matière de prix de transfert à l’intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales 2022.

OCDE (2006), La taxation des options de souscription ou d’achat d’actions destinées aux salariés, Études de politique fiscale de l’OCDE, n° 11, 3.1.2, p. 178.

Options de souscription ou d’achat d’actions pour les salariés : incidences sur les prix de transfert, 26 sept. 2006, p. 11.

4 United States Tax Court, Aug. 30, 2005, 125 T.C. 37, 125 T.C. N°. 4. – United States Court of Appeals for the Federal Circuit, 598 F.3d 1191 (9th Cir. 2010).

Photo de Eric Lesprit
Eric Lesprit

Eric a plus de 25 ans d’expérience en matière de fiscalité internationale, notamment en matière de prix de transfert. Il a exercé différentes responsabilités au sein de la Direction Générale […]

Mélanie Arrighi

Avocate en fiscalité internationale – Prix de Transfert chez Deloitte Société d’Avocats.