Près de deux ans après sa mise en place, la guerre contre le « barème Macron » fait rage : ses adversaires tentent de le faire tomber en contestant devant les juges sa conformité aux normes internationales. L’issue du combat est incertaine, et cette mesure emblématique des ordonnances Macron est en sursis. On attend que la Cour de cassation se prononce pour trancher définitivement et dire si le barème doit « vivre ou mourir ».
Le 24 septembre 2017 est entré en vigueur l’emblématique « barème Macron » imposant aux juges de verser au salarié, licencié sans motif valable, une indemnité, dont le montant se situe entre un minimum et un maximum fixés en mois de salaire brut selon l’ancienneté du salarié.
Ce dispositif, fixé par l’article L. 1235-3 du Code du travail, fait aujourd’hui l’objet de rebondissements judiciaires sans précédent qui requièrent un point d’étape pour analyser l’avenir de plus en plus incertain de ce barème chancelant.
La contestation judiciaire de la conformité du barème aux normes internationales
L’éclairage en juillet et en septembre prochain respectivement de la Cour de cassation, via potentiellement un avis, et de la Cour d’appel de Paris, via un arrêt, pourrait toutefois démêler pour partie, voire éventuellement mettre un terme, à cet imbroglio prud’homal.
Depuis la fin de l’année 2018, plusieurs décisions de Conseils de prud’hommes divergent sur la validité de ce dispositif ; certains Conseils de prud’hommes (tels que Troyes, Amiens, Agen et Lyon) refusant d’appliquer le barème au motif qu’il n’est pas conforme aux traités internationaux ratifiés par la France (principalement, l’article 10 de la Convention n°158 de l’OIT et l’article 24 de la Charte sociale européenne), là où d’autres, comme les Conseils de prud’hommes du Mans ou de Caen, retiennent au contraire sa conventionalité.
La résistance du juge au barème, en réaction au mouvement de défiance à l’égard des juges
Face à de telles divergences de vues, il est permis de s’interroger sur le fait de savoir s’il ne s’agit pas d’une ultime tentative de résistance des juges du fond face au mouvement de défiance auquel ils sont confrontés ; leur pouvoir de décision étant désormais encadré, voire même « rationalisé », au nom de la sécurité et de la prévisibilité juridiques. Une certaine méfiance vis-à-vis des juges n’a effectivement cessé de croître au cours de ces dernières années se concrétisant via la mise en place de réformes qui ont toutes visé à réduire (i) soit l’accès au juge, (ii) soit sa marge d’appréciation (complexification de la requête devant le Conseil de prud’hommes, développement du règlement amiable des différends, réduction des délais de prescription, etc.).
L’entrée en vigueur fin septembre 2017 (par ordonnance) d’un barème d’indemnités s’imposant au magistrat n’en est qu’une nouvelle illustration et constitue même, en quelque sorte, « l’apogée » de ce mouvement de défiance puisqu’il vient, dans une très large mesure, ôter au juge son pouvoir souverain d’évaluation du préjudice.
Le juge prud’homal résiste toutefois face à cette diminution notable de ses prérogatives, en accueillant les arguments juridiques – qui n’en sont pas moins sérieux – des avocats salariés opposés au barème d’indemnisation obligatoire, tentant ainsi de reprendre ce que l’exécutif lui a retiré.
Une contestation judicaire qui cache une contestation politique
Il serait en effet naïf d’ignorer la signification politique du barème dans la mesure où l’encadrement de l’indemnisation du licenciement injustifié est une mesure (i) suggérée depuis plusieurs années et (ii) présentée comme favorisant la création d’emplois (l’anticipation du coût des licenciements incitant les employeurs à embaucher).
Dès 2015, Emmanuel Macron, alors Ministre de l’Economie, tentait ainsi d’instaurer un barème obligatoire mais se heurtait à la censure du Conseil constitutionnel.
Un an plus tard, sous la pression, cette fois-ci, des organisations syndicales, le gouvernement de François Hollande reculait lors de l’élaboration du projet de loi Travail conduisant à ce que le référentiel d’indemnisation initialement prévu comme obligatoire devienne finalement indicatif.
La détermination d’Emmanuel Macron élu Président de la République, n’hésitant pas à légiférer par voie d’ordonnances, aura finalement raison des résistances à la fois politiques et syndicales.
Si les opposants au barème ont perdu une bataille, ils n’ont toutefois pas perdu la guerre dans la mesure où le combat engagé à l’encontre du barème a certes déserté la rue, mais pour mieux s’introduire dans les prétoires !
Le gouvernement défend le barème et le juge doit arbitrer
Pour comprendre la portée politique des décisions se prononçant sur le barème, il suffit d’ailleurs de consulter la une du journal « L’Humanité » du 8 janvier 2019 évoquant l’existence d’une « rébellion » de la part des Conseils de prud’hommes, et d’un « camouflet » pour les services de Madame Muriel Pénicaud, Ministre du Travail.
Pour sa part, Madame Nicole Belloubet, Garde des Sceaux, diffusait, le 26 février dernier, une circulaire sollicitant la transmission au parquet de toutes les décisions sur le barème ; espérant ainsi faire appliquer le barème grâce à l’intervention des Procureurs aux audiences civiles.
En se prononçant sur la validité du barème, les juges ont donc nécessairement conscience d’être parties prenantes d’une véritable joute politique. Il appartiendra cependant à la Cour de cassation et à la Cour d’appel de Paris de se départir de ce contexte politique – particulièrement pesant – pour apprécier, avec objectivité, les arguments juridiques sous-tendant ou non la validité du barème d’indemnisation.
Un combat judiciaire à l’issue incertaine : que décidera la Cour de cassation ?
Nul ne sait toutefois si le dénouement est véritablement proche ! Il est certes prévu que la Cour de cassation se prononce sur la conventionalité du barème dans l’avis qu’elle rendra en juillet prochain à la suite de sa saisine par le Conseil de prud’hommes de Louviers.
Le fera-t-elle réellement toutefois dans la mesure où la Cour de cassation semble refuser d’apprécier la conventionalité des normes internes dans le cadre d’une demande d’avis (Cass., avis du 12 juillet 2017, n° 17011) ; une telle « analyse de compatibilité » relevant de « l’office des juges du fond ».
Face néanmoins à la pression à la fois médiatique, politique et judiciaire, il n’est pas certain que la Cour de cassation puisse maintenir, en l’espèce, une telle position, qui ne ressort d’ailleurs d’aucun texte.
Les interrogations sur son positionnement sont d’autant plus grandes que le nouveau Président de la Chambre sociale, Monsieur Bruno Cathala, semble très enclin à faire application des normes supra nationales. En effet, sous sa Présidence, la Chambre sociale n’a pas hésité à limiter, au nom de la suprématie du droit de l’Union, le domaine de la présomption de justification des différences de traitement opérées par voie d’accords collectifs (Cass. soc. 3 avril 2019, n° 17-11.970).
De son côté, la Cour d’appel de Paris a certes tenu audience sur la question le 23 mai dernier, recueillant l’avis de l’Avocat général qui défend, sans surprise, la conventionalité du barème, mais elle ne se prononcera que le 25 septembre 2019. Si la Cour de cassation ne s’est pas entretemps déjà prononcée, l’éclairage que fournira la Cour d’appel sera donc des plus attendus.
Il fait, en tout état de cause, peu de doute que l’arrêt de la Cour d’appel fera l’objet d’un pourvoi en vertu duquel la Cour de cassation sera nécessairement amenée à trancher définitivement la question d’ici 2020. Grande sera donc sa responsabilité !
L’objectif affiché de sécurité juridique pris à contrepied
Face à de telles incertitudes et un tel imbroglio judiciaire concernant la question de la conventionalité du barème, certains salariés et leur Conseil privilégient une approche plus prudente consistant à contourner l’application du barème en invoquant des causes de nullité du licenciement et permettre au juge de recouvrer sa liberté d’appréciation. Ainsi, loin de l’objectif de prévisibilité affiché par le Gouvernement Macron, la mise en place du barème aura conduit in fine à une insécurité juridique, dont tout le monde, pour le moment, sort perdant.