L’OCDE vient de publier un projet de rapport, avec appel à commentaires jusqu’au 14 avril 2014, concernant les problèmes fiscaux relatifs à l’économie numérique.
Tout d’abord, il est insisté sur la portée des nouvelles technologies de communication et d’information qui se traduisent par un nouveau modèle économique dont les principales caractéristiques sont les suivantes :
- la mobilité : la baisse des coûts d’organisation, de coordination et transport, permet d’implanter les fonctions à des endroits différents de là où se trouve le consommateur
- les données : la collecte des données est une étape indispensable à la création de valeur pour l’entreprise
- l’effet de réseau : les entreprises doivent constamment innover sur le réseau afin de consolider une position de marché et créer de la valeur ajoutée. Elles créent de nouvelles applications qui doivent se développer au fur et à mesure que les usagers l’utilisent
- une situation de quasi-monopole qui peut être atteinte très rapidement
- un marché instable qui a pour conséquence de rendre les situations dominantes éphémères
L’OCDE envisage différentes modalités de réaction à l’érosion de la base imposable au sein de l’économie digitale.
Restaurer la taxation des revenus « apatrides »
Il s’agirait en tout premier lieu d’augmenter la transparence fiscale entre les redevables et l’Administration ainsi qu’entre les administrations entre elles. Il est ainsi envisagé une divulgation obligatoire des planifications d’arrangements fiscaux ainsi qu’une uniformisation des documentations prix de transfert en instaurant un modèle de rapport pays par pays.
Lorsque l’entreprise effectue des paiements déductibles qui réduisent sa base taxable, il est préconisé d’écarter l’application de la convention fiscale afin de mettre en œuvre la retenue à la source prévue par le droit interne.
Les règles sur les « Sociétés Etrangères Contrôlées» (SEC), qui visent à dissuader les sociétés résidentes de se soustraire à la fiscalité nationale en localisant leur activité au sein de leurs filiales établies dans des pays à fiscalité privilégiée par la possibilité d’inclure dans l’assiette taxable des sociétés les bénéfices non distribués de ces filiales, pourraient être renforcées afin que les revenus mobiles spécifiques à l’économie numérique, c’est à dire les revenus tirés de la vente à distance de biens et services, n’échappent plus à l’imposition. Le groupe de travail souhaite que soient imposés, chez la société mère, les revenus générés par une filiale étrangère lorsque les employés de cette filiale apportent une contribution substantielle à la valeur des biens ou services vendus.
Modifications de la définition de l’établissement stable
Il est proposé de revenir sur la définition de l’établissement stable par la modification :
- des critères de l’agent dépendant lors de la conclusion de la vente de biens ou de services
- de la liste des exceptions à la qualification d’établissement stable en cas d’activité préparatoire ou auxiliaire (prévue à l’article 5.4 convention modèle OCDE) afin que la fragmentation artificielle des fonctions ne permette plus de bénéficier de ces exceptions
La présence numérique significative et la notion d’établissement stable
L’établissement stable serait caractérisé, non plus seulement par une présence physique d’une entreprise étrangère dans un pays, mais également par une « présence numérique significative ».
Les points à prendre en compte pourraient être les suivants :
- l’activité principale de l’entreprise est principalement numérique
- aucune présence physique
- les contrats sont conclus par internet ou par téléphone
- les paiements sont réalisés par carte de crédit ou par e-paiement
- les sites internet sont les seuls moyens pour entrer en contact avec l’entreprise
- la majorité des bénéfices sont attribués à l’e-commerce
- le pays où est situé le siège social de l’entreprise est sans importance quant au choix du consommateur
- l’utilisation du bien numérique ne nécessite aucune présence physique
Une présence numérique significative pourrait être présumée exister pour les entreprises avec une activité numérique importante lorsque :
- les contrats entre l’entreprise et les clients sont signés à distance
- les e-biens ou e-services de l’entreprise sont largement utilisés dans le pays
- bon nombre des paiements sont réalisés dans le pays étranger de l’entreprise par le client et en vertu de stipulations contractuelles en lien avec l’e-bien ou e-service qui entre dans le cadre de l’activité principale de l’entreprise
- il existe une succursale de l’entreprise dans le pays qui propose des fonctions secondaires (e.g. marketing) ciblées vers le client
L’OCDE préconise également de rattacher à cette notion l’entreprise qui exerce une activité numérique dématérialisée significative dans le pays en utilisant des données numériques obtenues par un contrôle régulier et systématique des usagers d’internet dans ce pays.
Établissement stable virtuel
Le projet de rapport envisage de caractériser l’existence d’un établissement stable dans les cas suivants :
- lorsque l’entreprise maintient un site internet sur le serveur d’une autre entreprise située dans un territoire étranger et exerce son activité via ce site (établissement stable virtuel)
- lorsque des contrats peuvent être signés au nom d’une entreprise par des personnes situées dans un territoire étranger via des moyens technologiques plutôt que par une personne (agence virtuelle)
- l’entreprise étrangère fournit sur place des services ou autres interfaces commerciales à l’endroit où est situé le client
Retenue à la source sur les transactions numériques
Le rapport propose d’instaurer une retenue à la source systématique sur certains paiements faits par un résident pour des e-biens ou e-services fournis par une entreprise étrangère d’e-commerce.
Propositions en matière de TVA
Les problématiques BEPS en TVA se posent en des termes différents selon qu’il s’agit d’opérations B to B ou B to C.
Opérations B to B
Les difficultés se rencontrent principalement pour les transactions entre assujettis dont le preneur, redevable de la TVA, est exonéré. Par principe, la TVA ainsi collectée devrait constituer un coût du fait de l’absence ou de la limitation de son droit à déduction. Or, par certains biais, le preneur dont l’activité est exonérée a la possibilité de limiter, voire de supprimer le coût de la TVA générée sur l’acquisition de ces prestations. La fourniture de prestations numériques à distance à des entreprises exonérées de TVA et la fourniture de ces mêmes prestations à des entreprises à succursales multiples illustrent ce point.
L’OCDE propose de donner le droit de taxer les prestations de services incorporelles transfrontalières entre assujettis, à l’Etat dans lequel le client est établi ou a son principal établissement. Le redevable de la TVA serait ainsi le preneur assujetti dont l’obligation consisterait à collecter la TVA sur les prestations acquises à distance auprès de sociétés étrangères selon les règles de l’Etat où il est établi.
Selon l’OCDE, une prestation rendue à un assujetti qui est établi dans plus d’un Etat devrait être taxée au lieu où l’établissement « client » utilise la prestation.
Ces recommandations reviennent à attribuer le droit de taxer à l’Etat dans lequel les biens sont utilisés sans prendre en compte la manière dont la fourniture et l’acquisition du service est structurée.
Opérations B to C
La difficulté provient du fait que les preneurs sont des particuliers. L’évolution des technologies a fait exploser la demande des consommateurs pour des sites d’achats en ligne. Par la même occasion, les fournisseurs ont ainsi pu livrer des biens et des prestations de services sans présence physique dans l’Etat du consommateur.
Ce type d’échanges transfrontaliers tend à ne générer aucune TVA. Les deux domaines qui illustrent ces problématiques concernent l’importation de biens de faible valeur et les services rendus à distance.
Pour l’OCDE, les Etats doivent relever les défis suivants :
- avoir la capacité d’identifier le vendeur et lui faire remplir des obligations déclaratives
- déterminer le périmètre de son activité : cette information peut être obtenue de tiers (client, banque, etc.) mais elle dépend aussi de la réglementation financière applicable
- collecter des informations et les vérifier auprès d’entités « indépendantes »
- identifier le lieu d’établissement du client