Les évolutions réglementaires attendues en 2023 dans le secteur du Web3

Pour la première fois dans l’histoire du Consumer Electronics Show (CES), le plus grand salon au monde dédié à l’innovation technologique qui s’est déroulé du 5 au 8 janvier 2023 à Las Vegas, un stand dédié au Web 3 a été mis en place. Cette présence est un symbole de l’évolution et de la croissance des acteurs de cet écosystème, qui va du Métavers à la Tokenisation. L’émergence grandissante de ce secteur influe sur l’ensemble des acteurs économiques et nécessite, pour les entreprises, d’anticiper les tendances de fond et leurs possibles impacts juridiques.

Revenons sur les enjeux qui animent et structurent le secteur, et les défis réglementaires qu’ils posent.

L’évolution de l’Intelligence Artificielle (IA), un dilemme à venir pour les entreprises

L’IA est un sujet au cœur des enjeux stratégiques des entreprises. Ses récentes performances, et notamment le tsunami médiatique autour de Chat GPT, témoignent de l’intérêt porté à ce nouvel outil multimodal et aux applications potentielles dans le quotidien des acteurs économiques.

Dépassant le simple stade d’outils de calcul, cette technologie a désormais évolué vers le domaine des tâches cognitives, et donc des prises de décision.

Ses applications sont maintenant très diversifiées, allant de la détection d’objets à la reconnaissance vocale, en passant par la génération d’images et de textes.

Là encore, comme avec toute nouvelle technologie, on en vient à s’interroger sur les implications en matière de droit. Pour reprendre l’exemple de Chat GPT, plusieurs chercheurs se sont notamment interrogés sur le droit d’auteur lorsque la solution cite de larges pans de textes existants. Il convient de rappeler que Chat GPT se base sur une variété de sources de données publiques et accessibles sur internet afin d’en dégager des informations, des constantes, des tendances ou bien des corrélations et de restituer une réponse reformulée à l’utilisateur. Un tel système est prévu à l’article L.122-3 du Code de la propriété intellectuelle sous la notion de fouille de textes, ou « data mining ». Ce procédé peut être réalisé quelle que soit la finalité de la fouille (ici, répondre à la question d’un utilisateur), sauf si l’auteur s’y est opposé de manière appropriée. Cependant, s’il venait à être prouvé que des contenus protégés par le droit d’auteur alimentent les bases de données de Chat GPT, ou bien que des réponses reproduisent de manière reconnaissable des éléments protégés, des litiges nouveaux pourraient bien faire leur apparition.

L’impact réel des applications de l’IA pour les entreprises pourrait donc dépendre du niveau de confiance accordée par les utilisateurs aux solutions fournies. Cette confiance concernant plus la qualité des sources que la technique en elle-même qui ne ce cesse de s’améliorer (notamment avec la mise à disposition récente de la 4e version de Chatgpt). Le développement de cette relation pose de nouvelles questions juridiques, notamment sur la transparence des systèmes. Ici aussi, l’exemple de Chat GPT est particulièrement illustratif. A l’inverse des moteurs de recherche sur internet qui présentent tous les résultats possibles selon un algorithme de classement complexe, Chatgpt sélectionne et conçoit la réponse qui lui semble être la plus pertinente. L’utilisateur obtient ainsi une réponse plus ou moins élaborée en fonction du degré de complexité de sa question. De plus, cette réponse ne sera pas identique selon qu’elle ait été formulée à un temps T ou à un temps T+1. Il conviendrait donc de pouvoir accéder à l’ensemble des autres réponses alternatives afin de répondre aux obligations de transparence prévues par le règlement européen sur les services numériques, dit DSA, le règlement général sur la protection des données, dit RGPD et le projet de règlement sur l’intelligence artificielle, dit RIA.   

Le Métavers, une réelle opportunité, au-delà de l’image, pour certains secteurs

La perspective d’un nouvel Internet, communément appelé Web3, représente, pour beaucoup, la vision futuriste d’un univers en ligne sécurisé et décentralisé. Le Web3 se caractérise en effet par l’indépendance des conditions et des serveurs des fournisseurs de services.

L’une de ces applications, le Métavers, continue toutefois de soulever de nombreuses interrogations sur son adoption et, en particulier, sa monétisation.

Si certaines entreprises, notamment dans le secteur du luxe, n’ont pas hésité à développer des modèles commerciaux et des produits exclusifs au Métavers, elles restent une exception.

Le coût nécessaire pour intégrer ces « nouveaux mondes » ainsi que leurs applications dans le quotidien des entreprises et des individus restent encore aujourd’hui des barrières fortes à une démocratisation de cette technologie. Néanmoins, à l’instar de Meta, la société mère de Facebook, de nombreuses multinationales continuent d’investir massivement dans ces écosystèmes et les États commencent à réfléchir à des législations spécifiques pour réguler ce nouveau secteur.

Il faut dire que les interrogations réglementaires sont nombreuses et impliquent des réflexions nouvelles dont les ramifications restent, parfois encore, obscures.

Tous les champs du droit sont potentiellement concernés par ce sujet : nous pouvons reprendre quelques exemples comme le droit international privé dans ces mondes décentralisés et transfrontières, le droit du travail avec des réunions parfois imposées aux salariés dans des univers virtuels, le droit de la consommation quand des internautes acquièrent des biens dans un Métavers, le droit pénal quand un avatar se comporte mal… Bien que l’intégralité du droit soit potentiellement mobilisé par les opportunités et et les dangers possibles pour les utilisateurs du métavers, le terme de « révolution du droit » semble excessif. En effet, aucune des questions ou même des enjeux juridiques amenés par le métavers ne sont en réalité « nouveaux ».

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Blockchain : une technologie en quête de régulation pour renouveler la confiance

La blockchain est une technologie qui souffre encore aujourd’hui d’un déficit d’image notamment auprès des institutions traditionnelles (banques, assurances…). Pourtant, une grande partie des multinationales continue d’investir dans cette technologie, malgré une année 2022 marquée par les crises, avec notamment les chutes de la structure FTX et de l’écosystème Terra Luna qui ont profondément bousculé le secteur ces derniers mois.

L’année 2023 devrait être consacrée au renouvellement de la confiance et à l’émergence de nouvelles réglementations. C’est dans cette optique que de nombreux acteurs à travers le monde commencent à faire émerger de nouveaux cadres législatifs notamment la mise en place de régimes « pilote » pour l’usage des technologies de registre distribué (la blockchain).

L’exemple du régime Pilote sur les Security Token 

Le règlement européen sur un régime pilote pour les infrastructures de marché reposant sur la technologie des registres distribués a été publié au Journal officiel de l’Union européenne le 2 juin 2022 et entrera en application le 23 mars 2023. Pour la première fois, un règlement européen autorise certains acteurs à déroger à des obligations de droit commun, notamment les directives MIF2 (marchés d’instruments financiers) et Finalités (systèmes de paiement) et le règlement européen sur les dépositaires centraux de titres (CSDR).

Ce régime pilote a pour but de permettre l’essor d’un marché secondaire des crypto-actifs assimilables à des instruments financiers (« security token »). Les acteurs éligibles devront être agréés par les autorités nationales compétentes. En France, il ‘agit de l’Autorité des marchés financiers, dite AMF et de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, dite ACPR. Les exemptions seront assorties de conditions suspensives d’octroi et le règlement précise de nombreux seuils maximum au sein desquels les acteurs devront opérer. Ce régime pilote à une durée initiale de 3 ans et devrait permettre aux acteurs comme aux régulateurs d’acquérir une expérience unique quant à l’utilisation de la blockchain dans les marchés financiers. Le déploiement de cette initiative devra être suivi de près.

Le déploiement du règlement MiCA

Le projet de règlement du Parlement européen et du Conseil sur les marchés de crypto-actifs, dit règlement MiCA, vise à encadrer dans l’Union européenne le marché et les acteurs crypto. Ce texte attendu couvre autant la fourniture de services sur crypto-actifs par des prestataires que l’offre au public et l’admission aux négociations de jetons et de stablecoins. A noter que les législateurs européens ont exclu à ce jour les jetons non fongibles (NFT) du champ d’application de MiCA, sauf exceptions ciblées. Le vote du règlement devant le Parlement européen, initialement prévu en novembre 2022, devrait finalement avoir lieu en avril 2023.

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Les mises à jour régulières de l’encadrement des PSAN en France

Depuis la loi PACTE du 22 mai 2019, les prestataires de services sur actifs numériques doivent, afin de proposer un certain nombre de services sur actifs numériques prédéfinis, obtenir un enregistrement auprès de l’AMF. Cet enregistrement nécessite la constitution d’un dossier dont les éléments sont listés à l’article L.54-10-3 du Code Monétaire et Financier (« CMF »). Le 9 février 2023, la commission mixte paritaire est parvenue à un accord sur le projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans les domaines notamment de l’économie. Ledit texte vise à anticiper l’application du règlement MiCA et modifie les conditions d’enregistrement des PSAN en France d’ici l’été 2023 puis le début de l’année 2024. Ces modifications vont dans le sens d’un renforcement des conditions d’obtention de l’enregistrement en ajoutant aux obligations actuelles des obligations supplémentaires relatives notamment à la cybersécurité et aux dispositifs de contrôle interne.

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Face aux développements croissants de solutions de paiements décentralisées, les institutions nationales et internationales renforcent, elles aussi, leurs réglementations. Les banques centrales réfléchissent notamment au développement de crypto-monnaies étatiques avec l’émergence des crypto-actifs de deuxième génération, les fameux stablecoins, avec au cœur des préoccupation toujours la même question de la souveraineté monétaire. Encourager l’innovation en s’adaptant à l’ère du numérique, tout en protégeant les investisseurs, l’intégrité des marchés et la stabilité financière, c’est le défi des régulateurs nationaux et internationaux à l’aube de la finance 3.0. Il apparaît dès lors pertinent de s’intéresser au projet d’euro numérique de la banque centrale européenne dont la phase d’étude a commencé en octobre 2021. Les résultats de cette étude en octobre 2023 devraient aboutir à la décision, ou non, du lancement de l’euro numérique. Ce choix pourrait donner un éclairage clé quant à la position de l’Union européenne vis-à-vis du Web3.

In fine, la tendance faisant la part belle à la Blockchain et au Metavers, observée au CES en 2023, sera à confirmer lors de l’édition 2024. Dans l’intervalle, en France, les résultats de l’étude Baromètre Web3 2023 réalisée par Deloitte et Coinhouse permettront d’observer l’évolution des pratiques des professionnels du secteur financier en termes de transferts internationaux, de paiements, de diversification d’actifs et leur utilisation des NFTs et du Métavers. Ce baromètre, qui sortira en mars 2023, apportera donc une vision actualisée de la place du Web3 au sein des Directions Financières et permettra de donner une vision terrain et un regard prospectif sur les priorités de ces acteurs pour les prochaines années.

Céline Moille

Céline Moille est juriste et docteur en droit privé international, inscrite aux barreaux de Lyon (depuis 2014) et Montréal (depuis 2019). Elle a rejoint le cabinet Deloitte Société d’Avocats en […]