Par 2 récentes décisions, la chambre commerciale de la Cour de cassation illustre les modalités d’appréciation des conditions de mise en œuvre de la responsabilité solidaire du dirigeant au paiement des dettes fiscales de la société.
La responsabilité fiscale des dirigeants suppose pour être engagée, la réunion de 3 conditions, à savoir une faute, un préjudice et un lien de causalité entres les 2 (voir droit commun de la responsabilité civile, notamment délictuelle). Ainsi, il résulte des dispositions de l’article L. 267 du LPF que le juge, pour entrer en voie de condamnation, doit caractériser :
- des agissements fautifs constitués par « des manœuvres frauduleuses ou l’inobservation grave et répétée des obligations fiscales »
- l’existence avérée d’un préjudice pour le Trésor, caractérisé par l’impossibilité de recouvrer les créances en cause sur le patrimoine de la société (Cass. com., 22 nov. 2005, n°03-20.885)
- le lien de causalité entre ces agissements et le préjudice
Sur le préjudice caractérisé par l’impossibilité de recouvrer les créances en cause sur le patrimoine de la société (2e condition précitée)
Dans la 1re affaire (Cass. Com 13 janvier 2021, n°18-25.317), le requérant et gérant de la société mise en liquidation judiciaire reprochait à la Cour d’avoir retenu que l’administration fiscale avait bien justifié l’impossibilité caractérisée de recouvrer sa créance à l’encontre de la société débitrice alors même qu’elle ne disposait pas d’informations émanant du liquidateur judiciaire laissant espérer un désintéressement du comptable du SIE. Selon ce dernier, elle n’était donc pas parvenue à constater une impossibilité définitive mais s’en était tenue à constater une absence de certitude quant à ce caractère définitif.
De son côté, la chambre commerciale juge que la liquidation judiciaire de la société a été prononcée au cours du contrôle fiscal, de sorte que les créances fiscales n’ont pu ni être authentifiées avant cette date ni faire l’objet de poursuites par l’administration fiscale. Ces créances ont seulement été déclarées à la procédure à titre provisionnel puis définitif, jusqu’à ce que le liquidateur émette un certificat d’irrécouvrabilité de la créance du Trésor public, en déduisant l’impossibilité de recouvrer les impositions dues par la société. Elle estime donc le moyen non fondé et rejette le pourvoi du requérant.
Sur le délai de l’action en responsabilité solidaire du dirigeant
Rappelons que l’article L. 267 du LPF ne fixe aucun délai pour la mise en œuvre de l’action en responsabilité qu’il institue.
Selon la jurisprudence, il appartient dès lors au juge du fond de veiller à ce que l’administration fiscale engage son action dans des délais raisonnables, dès lors que l’impossibilité de recouvrer les sommes sur la société a été porté à sa connaissance (Cass. com., 23 juin 2004, n°01-11.821).
De même, la doctrine administrative recommande que cette action en responsabilité solidaire du dirigeant soit engagée dans des délais « satisfaisants » (BOI-REC-SOLID-10-10-30 § 10, 19 août 2020).
Dans la 2de affaire (Cass.Com., 13 janvier 2021, n°19-14.749), le demandeur est assigné par l’administration fiscale le 24 janvier 2017 afin d’être tenu solidairement responsable avec la société au paiement d’une certaine somme. Il rappelle donc ce principe selon lequel l’action menée par les comptables publics en responsabilité solidaire contre le dirigeant social doit être engagée dans un « délai satisfaisant », sans qu’ils soient tenus d’attendre, pour assigner ce dernier, que soit prononcée la clôture pour insuffisance d’actif de la procédure collective engagée contre la société. Il estime dès lors que l’Administration aurait pu, au plus tard au mois de février 2015, date du prononcé de la liquidation judiciaire, prendre connaissance de l’irrécouvrabilité de ses créances résultant des avis de mise en recouvrement émis les 5 novembre 2011 et 24 octobre 2013, ce qu’elle avait négligé de faire en s’abstenant de se rapprocher du mandataire judiciaire.
Toutefois, par une motivation particulièrement circonstanciée, non-remise en cause par la chambre commerciale de la Cour de cassation, les juges du fond ont, pour juger que l’Administration a effectivement engagé son action dans un « délai satisfaisant », relevé :
- que le 3 novembre 2011 et le 24 octobre 2013 : l’administration fiscale a émis 2 avis de mise en recouvrement qui ont été notifiés à la société
- que le 21 janvier 2015 : le tribunal de commerce a ordonné l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire de la société
- que le 18 février 2015 : cette procédure a été convertie en liquidation judiciaire
- que le 25 mars 2015 : l’administration fiscale a déclaré sa créance
- que le 15 juin 2016 : le tribunal de commerce a prononcé la clôture de la procédure collective pour insuffisance d’actifs selon une décision publiée au BODACC du 30 juin 2016
- et enfin que le 24 janvier 2017 : l’administration fiscale a assigné le dirigeant social, soit moins de 6 mois après avoir eu connaissance du caractère irrécouvrable de sa dette
Le moyen est dès lors jugé infondé et le pourvoi rejeté.