Consolidation de la TVA : une première étape vers le « Groupe TVA »

Très tôt dans le droit communautaire de la TVA est apparue la notion de « groupe », consistant à considérer comme un seul assujetti « les personnes établies sur le territoire d’un Etat membre qui sont indépendantes du point de vue juridique mais qui sont étroitement liées entre elles sur le plan financier, économique et de l’organisation » (Art 11. du code européen de la TVA).

S’agissant d’une disposition facultative que les Etats membres sont libres d’introduire ou non dans leur législation interne, à ce jour, sur vingt sept Etats membres, seize l’ont transposée (la Belgique et l’Espagne sont parmi les derniers à l’avoir fait). Pour sa part, la France s’y est toujours fermement opposée.

L’institution d’un régime de groupe présente pourtant deux très grands avantages :

  • Les opérations internes au groupe (d’une entité à une autre) ne sont pas taxables ;
  • La société tête de groupe déclarant seule la TVA, elle opère naturellement la fongibilisation des crédits et des dettes de TVA de l’ensemble des entités du groupe en une seule déclaration, ce qui constitue un avantage de trésorerie substantiel (en limitant le montant de TVA à reverser au trésor et en avançant dans le temps l’imputation des crédits normalement reportables ou remboursables).

Alors, pourquoi cette franche opposition de la France ?

Parce que dans certains Etats, qui ne connaissent pas la notion d’abus de droit, la non-imposition des opérations internes au groupe donne lieu à des pratiques « sportives » auxquelles la France, sur les conseils des autres administrations, ne souhaite pas être confrontée.

Face à cette situation de « blocage », il s’est donc agi de mette en place un dispositif permettant à tout le moins d’obtenir le second avantage offert par le régime de groupe, à savoir la fongibilisation des crédits et des dettes de TVA de l’ensemble des sociétés appartenant à un même groupe.

Tel est l’objet de l’article 50 de la loi de finances rectificative pour 2010 1 . Ce texte, qui entrera en vigueur le 1er janvier 2012, introduit au sein du code général des impôts les articles 1693 ter et 1693 ter A dédiés à la consolidation du paiement de la TVA.

Ce régime permet à la société mère d’un groupe TVA de devenir le redevable unique de son groupe, c’est-à-dire d’acquitter la TVA en lieu et place de ses filiales intégrées et donc de fongibiliser les crédits et dettes de TVA de l’ensemble des entités du groupe.

C’est un premier pas important de franchi : en fonction de l’évolution du droit communautaire, l’outil est désormais en place pour évoluer vers une véritable législation de groupe en matière de TVA.

Economie du régime

Le régime de consolidation du paiement de la TVA permet à la société mère d’un groupe d’acquitter la TVA et les taxes, contributions et redevances déclarées sur l’annexe de la déclaration de TVA, dues par l’ensemble des membres du groupe.

La société mère est donc tenue d’acquitter le montant de TVA égal à la différence entre les montants de TVA dus et les crédits de taxe dont bénéficient les membres de son groupe au titre d’un même mois.

Si au terme de cette différence, un crédit de TVA est constaté, seule la société mère du groupe pourra le déduire du montant de TVA dû au titre des mois suivants ou en demander le remboursement. Dans cette dernière situation, le montant de TVA remboursé devra être réparti entre les filiales, selon les modalités prévues par la convention d’intégration conclue au sein du groupe.

Pour leur part, les crédits de TVA nés dans le chef des membres du groupe avant leur entrée dans le groupe ne pourront pas être déduits de la TVA acquittée par la mère pour le compte du groupe. Les entreprises disposant de tels crédits de TVA n’acquittant plus la TVA une fois entrées dans le groupe, elles ne pourront plus les déduire et ne pourront donc plus les récupérer que par le biais d’une demande de remboursement.

A l’inverse, les crédits de TVA constatés par un membre du groupe après l’entrée en vigueur du régime de consolidation seront automatiquement et définitivement transmis à la société mère du groupe, et la filiale ayant constaté un tel crédit de taxe ne pourra en aucun cas le reporter sur une déclaration ultérieure ou en demander le remboursement.

Ainsi, la société mère devient le redevable unique de son groupe, et tous les autres assujettis membres du groupe seront exonérés de leur obligation de paiement de la TVA ainsi que des éventuels droits, intérêts de retard et pénalités encourus du fait des infractions commises par les membres du groupe. En revanche, le régime de consolidation ne concerne que le paiement de la TVA, et les filiales demeurent des assujettis au regard de la TVA, tenus à l’ensemble des autres obligations inhérentes à un tel statut.

Cela emporte les conséquences suivantes :

  • Chaque membre reste tenu de ses obligations déclaratives, et continuera donc à déposer ses déclarations de TVA. La société mère, pour sa part, se bornera à déposer, outre sa propre déclaration CA3, une déclaration récapitulative mensuelle qui devrait se présenter comme un simple bordereau faisant la somme des TVA nettes dues par les membres du groupe ainsi que des crédits de TVA dont ils sont bénéficiaires 2.
    Afin de laisser à la société mère le temps de consolider les montants de TVA dûs et les crédits de TVA dont bénéficient les membres du groupe, les dates limites de dépôt des déclarations vont être aménagées par arrêté conjoint des ministres chargés de l’économie et du budget. Selon le rapport de la Commission des Finances, les membres devraient avoir jusqu’au 20 du mois suivant pour déposer leurs déclarations CA3, et la société mère devrait pour sa part avoir jusqu’au 24 pour déposer la déclaration récapitulative mensuelle et acquitter la TVA éventuellement due par le groupe après consolidation.
     
  • Les vérifications de comptabilité éventuelles seront menées auprès de chaque entité du groupe, car chacun des membres continuera à remplir et déposer ses déclarations de TVA de manière autonome, au regard de sa propre comptabilité.
     
  • Les éventuels redressements, intérêts et pénalités seront calculés au niveau de chaque membre du groupe sur les montants dont ils seraient redevables en l’absence d’appartenance au groupe. En revanche, ces sommes devront être acquittées par la société mère, du fait de sa qualité de redevable commun à toutes les sociétés du groupe.
     
  • Bien que la société mère devienne, une fois l’option pour le régime de consolidation entrée en vigueur, le seul redevable de la TVA pour le groupe, les filiales ne sont pour autant pas exonérées de toute obligation de paiement envers le Trésor. En effet, chacune d’entre elles reste solidairement responsable avec la société-mère du paiement de la TVA ainsi que des éventuels droits, intérêts de retard et pénalités dont elle serait redevable si l’option pour la consolidation n’avait pas été exercée.

Ainsi, le nouveau régime se limite pour l’instant à, sans aller jusqu’à considérer comme un seul assujetti toutes les entités d’un même groupe. Néanmoins, ce premier pas est à notre sens crucial, et il doit être salué comme introduisant plusieurs effets positifs à plus ou moins long terme.

Dans sa version actuelle, il aura pour effet principal, outre de réduire le nombre de demandes de remboursement, d’améliorer la trésorerie des entreprises. En effet, la fongibilisation des crédits et dettes de TVA au sein du groupe aura, sauf cas exceptionnels, pour effet mécanique de diminuer le montant total des crédits de TVA du fait de leur compensation avec les débits, et donc de diminuer d’autant la charge de trésorerie pendant la période durant laquelle chaque entité du groupe aurait normalement attendu le remboursement de ces crédits par le Trésor3.

Pour le futur, il constituera la première pierre sur laquelle viendra s’appuyer la mise en place d’un régime de groupe plus abouti permettant de considérer toutes les entités comme un assujetti unique, et donc d’exonérer de TVA les opérations intra-groupes.

Périmètre de consolidation

L’article 1693 ter du code général des impôts définit le périmètre de la consolidation TVA : la société mère devra détenir, directement ou indirectement, plus de la moitié du capital ou des droits de vote des membres du groupe, étant entendu que cette détention minimale devra être continue tout au long de la consolidation.

Ainsi, comme en matière d’intégration fiscale, le législateur prévoit un seuil minimum de détention au-delà duquel une filiale peut être intégrée au groupe. Néanmoins, la loi de finances rectificative pour 2010 introduit une grande souplesse en ce qui concerne la constitution du groupe TVA, préférant retenir comme seuil la notion de « contrôle » au sens du droit commercial (C.com., art. L.233-1) plutôt qu’un seuil plus restrictif, comme c’est le cas de la détention de 95% du capital requise en matière d’intégration fiscale.

En outre, si l’article 1693 ter du code général des impôts exige une détention supérieure à 50 %, il nous semble qu’il sera en pratique possible d’attraire dans le groupe des sociétés détenues à 50 % seulement, sur accord préalable de la Direction des Grandes Entreprises.

Enfin, il convient de préciser qu’un amendement proposé par la Commission des Finances a permis d’étendre le régime de consolidation pour le paiement de la TVA aux groupes bancaires mutualistes. Ces groupes ne se définissant pas en termes de participations capitalistiques, ils ne pouvaient pas remplir la condition de détention de plus de la moitié du capital ou des droits de vote, et se voyaient donc en principe exclus du bénéfice du régime de consolidation TVA.

Ce hiatus a été partiellement résolu, l’article 1693 ter du code général des impôts prévoyant dans sa version amendée que les groupes bancaires mutualistes peuvent opter pour le régime de consolidation du paiement de la TVA à condition qu’ils soient déjà sous le régime d’intégration fiscale.

Conditions pour le bénéfice du régime de consolidation TVA

Outre la détention de plus de la moitié du capital ou des droits de vote des membres du groupe, plusieurs conditions sont prévues pour le bénéfice du régime de consolidation du paiement de la TVA.

Les membres doivent relever de la DGE

En premier lieu, les membres du groupe doivent appartenir aux catégories mentionnées au I de l’article 1649 quater B quater du code général des impôts, c’est-à-dire relever de la Direction des Grandes Entreprises.

Ainsi, pourront opter pour le régime de consolidation du paiement de la TVA les sociétés faisant partie d’un groupe relevant du régime du bénéfice consolidé, celles appartenant à un groupe d’intégration fiscale comprenant au moins une personne relevant de la DGE, ainsi que les entreprises dont le chiffre d’affaires hors taxes ou le total de l’actif brut figurant au bilan est supérieur à 400 millions d’euros à la clôture de l’exercice.

Seront également éligibles à intégrer un groupe TVA les entreprises détenant, directement ou indirectement plus de la moitié du capital d’une entreprise dont le chiffre d’affaires hors taxes ou le total de l’actif brut figurant au bilan est supérieur à 400 millions d’euros à la clôture de l’exercice, ainsi que celles dont le capital est détenu pour plus de la moitié, directement ou indirectement, par une telle entreprise.

Ainsi, dès lors que la société mère du groupe consolidé disposera d’un chiffre d’affaires ou d’un actif brut supérieur à 400 millions d’euros, toutes les filiales dont elle détient la moitié au moins du capital pourront rejoindre le groupe intégré.

Si, à l’inverse, c’est une filiale du groupe TVA qui dispose d’un chiffre d’affaires ou d’un actif brut supérieur à 400 millions d’euros, ce groupe pourra uniquement être constitué de cette société, des filiales dont elle détient plus de la moitié du capital ou des droits de vote, et de sa mère si celle-ci la détient elle-même à plus de 50 %.

En revanche, toutes les autres filiales détenues par la société mère du groupe TVA, même à plus de 50 %, ne pourront pas intégrer la consolidation car ne relevant pas de la DGE.

De prime abord, cette première condition parait très restrictive. Néanmoins, il nous semble qu’elle soit temporaire, dictée par des impératifs techniques et de contrôle, résultant de l’obligation faite aux entreprises relevant de la DGE de déclarer et payer la TVA par internet.

Ainsi, cette première application à échelle réduite devrait normalement être, dès que l’outil informatique aura été adapté, étendue dans le temps à l’ensemble des entreprises qui télédéclarent d’ores et déjà la TVA.

Des exercices comptables calés

L’article 1693 ter du code général des impôts exige également que les membres du groupe ouvrent et clôturent leurs exercices comptables aux mêmes dates.

Cette condition provient du fait que l’option pour le régime de consolidation prend effet le premier jour de l’exercice comptable suivant celui au cours duquel elle a été exprimée. Ainsi, pour que cette date d’entrée en vigueur soit unique à toutes les entités du groupe, elles doivent toutes ouvrir et clôturer leurs exercices comptables aux mêmes dates.

Des entreprises soumises au régime réel normal

Enfin, les membres du groupe doivent tous déposer leurs déclarations de TVA dans les conditions du régime réel normal d’imposition à la TVA, c’est-à-dire mensuellement. Sont donc exclues du régime de consolidation du paiement de la TVA les entreprises soumises au régime simplifié.

Option pour le régime de groupe TVA et dénonciation

Il faut à nouveau souligner la souplesse du système en ce qu’il est optionnel, l’article 1693 ter du code général des impôts prévoyant que cette option ne peut être exercée par la société mère qu’avec l’accord des membres du groupe intéressés.

Ainsi, le groupe, représenté par la société-mère, détermine lui-même le périmètre des sociétés qui intègreront la consolidation, pour autant que chaque entité considérée y consente expressément (le plus souvent dans la convention de consolidation).

L’option entrera en vigueur à compter de l’ouverture du premier exercice comptable suivant celui au cours duquel elle a été exprimée.

Une fois l’option exercée et entrée en vigueur, la société mère pourra, avec l’accord des filiales intéressées, en exclure certaines du groupe ou en introduire de nouvelles. De telles modifications du périmètre entreront en vigueur à compter du premier jour de l’exercice suivant celui au cours duquel elles sont décidées. Partant, elles ne pourront prendre effet qu’à compter du second exercice de consolidation, pour les modifications du périmètre de consolidation décidées durant le premier exercice.

Enfin, l’article 1693 ter du code général des impôts prévoit que l’option pour le régime de groupe peut être dénoncée par la société mère au cours du mois suivant la clôture de l’exercice précédent, une telle dénonciation prenant effet au premier jour de l’exercice au cours duquel elle est exercée.

Néanmoins, pour éviter d’éventuelles pratiques « anormales » consistant à créer des groupes dans le seul but de transférer des crédits de TVA entre entités du groupe avant de le dissoudre, le nouveau dispositif prévoit qu’une telle dénonciation ne peut être effectuée qu’à compter du troisième exercice comptable suivant celui de prise d’effet de l’option. Ainsi, l’option pour le régime de groupe engage à consolider le paiement de la TVA durant deux exercices comptables successifs au moins.

Enfin, en ce qui concerne le formalisme, le rapport de la Commission des Finances prévoit que la dénonciation pourra être faite par courrier simple adressé à la Direction des Grandes Entreprises. Bien que rien ne soit précisé pour la prise d’option elle-même, nous estimons qu’elle sera elle aussi exercée auprès de la DGE sans formalisme particulier.

Entrée en vigueur

Le régime de consolidation TVA s’appliquera à compter du 1er janvier 2012. Ainsi, pour un groupe qui clos son exercice au 30 juin, l’option pour le régime de consolidation n’entrera en vigueur qu’au 1er juillet 2012, alors que pour un groupe qui clôt son exercice au 31 décembre, l’entrée en vigueur surviendra au plus tôt le 1er janvier 2013.

Pourquoi ce report d’un an pour l’entrée en vigueur du régime de groupe ?

Parmi les conditions posées par le nouveau texte, nous avons vu que les sociétés du groupe qui opteront pour ce régime devraient clôturer leurs exercices comptables aux mêmes dates. L’année 2011 sera donc mise à profit pour procéder à cet alignement.

Il n’était à notre sens pas indispensable de repousser l’entrée en vigueur du régime de consolidation d’un an puisque les déclarations de TVA sont mensuelles. Toutefois, il est apparu souhaitable au législateur qu’il y ait exacte concordance des exercices soumis à vérification.

Ce report de l’entrée en vigueur sera mis à profit par les entreprises, notamment pour préparer les conventions de consolidation qui devront être conclues entre les sociétés mères et leurs filiales.

Le texte de loi est en effet muet sur ce sujet qui relève du seul droit privé. La conclusion de telles conventions sera nécessaire, afin notamment :

  • D’organiser les transferts financiers entre la mère et ses filiales, afin que chaque membre du groupe supporte la TVA qu’il aurait versé au Trésor et récupère le montant des crédits de taxe dont il aurait normalement bénéficié en l’absence d’appartenance au groupe ;
  • D’organiser les conséquences financières des éventuels redressements opérés en matière de TVA.

Evolutions futures

Le régime de consolidation mis en place est doublement restrictif en ce qu’il ne bénéficie qu’aux entreprises relevant de la DGE, et qu’il ne concerne que le paiement de la TVA.

Il faut espérer que très vite cette législation nouvelle tienne ses promesses en s’ouvrant à tous les groupes d’une part et se transforme en une véritable législation de groupe TVA d’autre part.

A n’en pas douter, la mise en œuvre de la présente réforme sera suivie avec la plus grande attention.

  • Source Nouvelles Fiscales – N°1062 – 15 février 2011

 


2 Voir en ce sens le rapport de la Commission des finances du Sénat portant sur le projet de loi de finances rectificative pour 2010
3 Le délai moyen de remboursement d’un crédit de TVA mensuel est estimé à 12 jours par la Commission des finances du Sénat dans son rapport sur le projet de loi de finances rectificative pour 2010 (voir extrait du rapport général du Sénat, n°2998, tome I, p.299)
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Jean-Claude Bouchard

Jean-Claude Bouchard, ancien avocat Associé de Deloitte Société d’Avocats, possède une expérience professionnelle de plus de 40 ans dans le conseil aux grands groupes français et internationaux, notamment sur les […]