Cet article a été publié sur la Revue Associations de Deloitte n°104 – janvier 2024 et est reproduit sur ce blog avec l’accord de l’éditeur.
Le consortium, ou GME, constitue un outil efficace dont les associations doivent cependant garder à l’esprit la complexité et les tenants et aboutissants.
La création de consortium, également qualifié de Groupement Momentané d’Entreprises (GME), pratique courante pour les ONG, tend depuis ces dix dernières années à se développer dans le monde associatif, le plus souvent sous l’impulsion des bailleurs de fonds publics qui en font une condition pour les appels à projets d’envergure.
Indépendamment de l’exigence de certains bailleurs de fonds publics, si le consortium, ou GME, constitue indéniablement un outil pertinent de partenariat, efficace et efficient, pour les associations, les contraintes et risques ne doivent pas être négligés et doivent être anticipés.
Consortium, GME : de quoi s’agit-il ?
Il n’existe pas d’autre définition « juridique » du consortium ou GME que celle donnée par l’Union européenne, à savoir « un groupement d’entreprises indépendantes ayant pour objet la réalisation d’un projet précis ».
Cela étant, en pratique, le consortium peut se définir comme un contrat de co-traitance aux termes duquel des entreprises juridiquement indépendantes, en l’occurrence des associations, décident de mettre en commun leurs ressources matérielles, immatérielles, humaines, voire financières, en vue d’atteindre un objectif commun tel que, notamment, la réalisation d’un projet. Ainsi, quand une association ne peut assumer seule un projet, elle peut choisir de faire appel à d’autres associations et se réunir, avec elles, au sein d’un consortium grâce auquel les « partenaires » pourront unir leurs forces, leurs compétences et leurs ressources, partager leurs expériences, leurs connaissances et leur savoir-faire, accroître le champ de leurs interventions, renforcer leur ancrage géographique ou encore asseoir leur légitimité.
Consortium, GME : risques, enjeux et premières recommandations !
Le risque de requalification en société de fait
Le consortium ou GME est un contrat soumis au droit commun des contrats.
Il n’a pas de personnalité morale propre (ce n’est ni une société, ni un groupement d’intérêt économique ou GIE, ni une association) et il ne doit pas pouvoir être requalifié en société créée de fait. Une société créée de fait étant une société que les associés ou membres n’ont pas nécessairement voulu créer ou qu’ils ont créée sans en avoir conscience et qui se caractérise par la réunion de trois éléments : des apports, l’intention de s’associer et la vocation à participer aux pertes, aux bénéfices ou encore aux économies.
Si le GME devait être requalifié en société créée de fait, alors chacun des membres deviendrait responsable sur son patrimoine des dettes des autres membres nées à l’occasion de l’exécution de la convention de groupement, tant à l’égard d’un cocontractant qu’à l’égard de tout tiers, qui, de bonne foi, a pu croire que le groupement était une personne morale à part entière. Ce risque de requalification, qui plus est pour la réalisation d’un projet porté en commun, ne doit pas être négligé. Pour se prémunir d’un tel risque, il sera opportun non seulement de rappeler au contrat la volonté de ne pas créer une société, mais aussi de préciser de manière explicite et sans équivoque que les membres du GME n’ont pas l’intention de constituer entre eux une société, que chacun agit dans son intérêt propre, en toute indépendance et conserve son autonomie et que la mise en commun de leurs ressources ne l’est pas en vue de réaliser des bénéfices ou des économies. Toutefois, cette précaution n’est pas suffisante. Encore faut-il effectivement que les membres du GME ne se comportent pas, dans les faits, comme des associés et, à ce titre, certaines pratiques sont à proscrire et d’autres à suivre.
Ainsi et notamment :
- il importera de délimiter les travaux en lots et d’affecter l’exécution des lots à tel ou tel membre ;
- si les paiements ou versements de subventions ne sont pas directement faits par le bailleur de fonds respectivement à chacune des associations membres du consortium, mais à un « chef de file », ils devront transiter, dans la comptabilité du chef de file, par un compte de classe 4, dit « de passage », et le rôle de mandataire du chef de file devra être clairement défini dans la convention ;
- les contrats passés par un membre du consortium envers les tiers devront impérativement l’être sans aucune mention du consortium et la facture devra être établie à son seul nom ;
- le chef de file ne devra pas se comporter comme un gérant de société : il ne représente pas le consortium mais chacun des membres en vertu d’un mandat.
La gestion de la responsabilité des membres quant à l’exécution du projet : un enjeu !
Le GME est fondamentalement un contrat de co-traitance : co-traitance de capacité (une association ne dispose pas seule des moyens pour réaliser un projet et s’unit à une ou plusieurs associations qui font le même métier qu’elle) ou co-traitance de spécialité (plusieurs associations unissent leurs diverses compétences et savoir-faire). Toute la question est dès lors de savoir si les membres du GME, co-traitants pour l’exécution du projet et sa réalisation, sont solidairement ou conjointement responsables.
Quelle est la différence entre responsabilité conjointe et responsabilité solidaire ? De manière schématique, le GME est considéré comme solidaire lorsque les membres sont entre eux « solidaires », c’est-à-dire lorsque chacun d’entre eux est engagé pour la totalité des prestations prévues. Le GME est conjoint lorsque chacun des membres n’est engagé que pour l’exécution du ou des lots qui lui sont attribués.
De cette précision, en ressort un intérêt évident pour le GME conjoint, qui devra donc avoir la préférence des associations membres, sauf si le bailleur de fonds exige la solidarité.
Mais encore faudra-t-il prendre soin de préciser cette caractéristique dans la convention et, corrélativement, d’insérer des clauses explicites concernant :
- la définition des obligations de chacun des membres et l’organisation de l’exécution de ces obligations ;
- la répartition des responsabilités ;
- la gestion des cas de défaillance d’un membre (reprise de l’exécution par un autre membre ou plusieurs, appel à un tiers, entrée d’un nouveau membre) ;
- les modes de résolution des litiges pouvant intervenir entre membres du consortium (conciliation, médiation…).
Un risque de « lourdeur administrative » : un enjeu de coûts
Un GME, comme tout partenariat, est susceptible d’exacerber certains « risques » liés à tout projet porté en commun : bureaucratisation et lourdeur administrative, coûts de coordination, enjeux de gouvernance et de pouvoirs. Là aussi, l’anticipation est de rigueur et l’insertion de clauses appropriées dans la convention peut, dans une certaine mesure, remédier à ces difficultés.
À ce titre, doivent être préalablement débattues et prévues dans la convention :
- la désignation d’un exécutif doté de pouvoirs clairs et d’un fonctionnement souple ;
- la fixation d’un principe de contribution aux dépenses d’intérêt commun et aux coûts de coordination qui auront été préalablement budgétés ;
- ou encore la fixation d’un principe de réparation, par tel membre, des dommages qu’il aura causés et qui lui sont imputables. En définitive, le GME est un outil pertinent auquel les associations doivent recourir. Mais sous l’apparente facilité de création (un contrat régi par le droit commun des contrats) se cache une autre réalité. Sa rédaction s’avère souvent complexe et plus que jamais l’adage « le contrat fait loi entre les parties » trouve tout son sens.
Focus sur le chef de file
L’association « chef de file » est l’une des associations membres du GME, désignée par les autres membres, non seulement pour jouer le rôle d’intermédiaire/interlocuteur unique entre le bailleur de fonds et les membres du GME et/ ou pour coordonner les interventions des membres (le plus souvent, sous la direction d’un comité de pilotage), mais également pour agir comme un mandataire. Les attributions du chef de file et sa responsabilité vis-à-vis du bailleur de fonds en tant que mandataire commun doivent être clairement définies dans le contrat.