Contrôle fiscal informatisé : le Conseil d’Etat précise sa jurisprudence en matière de demande de traitement… et accentue l’écart entre la théorie et la pratique !

Le Conseil d’Etat a précisé dans deux arrêts du 7 mars 2019 sa jurisprudence en matière de contrôle fiscal informatisé. Dans ces arrêts, le Conseil d’Etat a souhaité rappeler que deux obligations distinctes peuvent s’imposer dans le cadre de l’article L47 A II du LPF.

La première obligation vise à préciser la nature des investigations souhaitées. Celle-ci est applicable quelle que soit l’option retenue, puisque cette précision doit permettre au contribuable de choisir l’option de façon éclairée.

La seconde obligation vise quant à elle à préciser la nature des travaux à réaliser (d’un point de vue plus technique) mais ne concerne que l’option b (réalisation des traitements par le contribuable).

La jurisprudence en matière de Contrôle fiscal informatisé (CFI) étant rare, il est toujours intéressant de connaître la position du Conseil d’Etat sur cette matière. Toutefois, en pratique, selon la complexité des ERP et des demandes, il est difficile de choisir une option sans un minimum de précisions sur la nature des traitements envisagés et sur la nature technique des travaux informatiques à réaliser afin notamment d’identifier les données pertinentes pour la réalisation des traitements.

C’est pourquoi on ne peut qu’encourager qu’un échange avec le vérificateur soit instauré le plus en amont possible afin de comprendre au mieux la demande de traitement et ainsi choisir l’option de la manière la plus éclairée possible. Ce dialogue est également encouragé par le Service du contrôle fiscal de la DGFiP.

Par deux arrêts rendus le 7 mars 2019, le Conseil d’Etat (CE) a précisé sa jurisprudence relative aux conditions de mise en œuvre des dispositions de l’article L 47 A II du LPF dans sa rédaction en vigueur du 29 décembre 2007 au 8 décembre 2013 :

« II. En présence d’une comptabilité tenue au moyen de systèmes informatisés et lorsqu’ils envisagent des traitements informatiques, les agents de l’administration fiscale indiquent par écrit au contribuable la nature des investigations souhaitées. Le contribuable formalise par écrit son choix parmi l’une des options suivantes :

  1. Les agents de l’Administration peuvent effectuer la vérification sur le matériel utilisé par le contribuable
  2. Celui-ci peut effectuer lui-même tout ou partie des traitements informatiques nécessaires à la vérification. Dans ce cas, l’Administration précise par écrit au contribuable, ou à un mandataire désigné à cet effet, les travaux à réaliser ainsi que le délai accordé pour les effectuer. Les résultats des traitements sont alors remis sous forme dématérialisée répondant à des normes fixées par arrêté du ministre chargé du budget
  3. Le contribuable peut également demander que le contrôle ne soit pas effectué sur le matériel de l’entreprise. Il met alors à la disposition de l’Administration les copies des documents, données et traitements soumis à contrôle. Ces copies sont produites sur tous supports informatiques, répondant à des normes fixées par arrêté du ministre chargé du budget. L’Administration restitue au contribuable avant la mise en recouvrement les copies des fichiers et n’en conserve pas de double. L’Administration communique au contribuable, sous forme dématérialisée ou non au choix du contribuable, le résultat des traitements informatiques qui donne lieu à des rehaussements au plus tard lors de l’envoi de la proposition de rectification mentionnée à l’article L. 57.

Le contribuable est informé des noms et adresses administratives des agents par qui ou sous le contrôle desquels les opérations sont réalisées. »

Bien que cet article ait connu des évolutions très significatives depuis décembre 2013, ces décisions sont importantes et nous éclairent utilement sur l’interprétation de ces dispositions par la haute assemblée.

Elle est parfaitement résumée par le rapporteur public, M. Romain Victor qui l’exprime en ces termes :

« Il faut donc veiller à ne pas fusionner des obligations qui s’imposent, le cas échéant, successivement à l’administration, le texte de l’article L. 47 A opérant une nette distinction entre, d’un côté, les « investigations souhaitées » par le service, qui font l’objet d’une information avant le choix du contribuable entre les trois options et, de l’autre, les « travaux à réaliser », qui font l’objet d’une information postérieure, le cas échéant, si le contribuable fait le choix d’effectuer lui-même tout ou partie des traitements informatiques.

Dans la première étape, il appartient à l’Administration, pour décrire la nature des investigations souhaitées, d’indiquer au contribuable sur quelles données (journaux de caisses, livres comptables…), au titre de quelles périodes, elle souhaite faire porter ses recherches et d’en dire un minimum sur l’objet de ces mêmes recherches, ce qui renvoie selon nous à la fois au but qu’elle s’est assignée (par exemple la détection de recettes non déclarées ou de recettes pour lesquelles un taux de TVA erroné a été appliqué) et aux modalités, autres qu’informatiques, selon lesquelles elle entend réaliser le contrôle, par exemple en procédant à des rapprochements entre tels et tels éléments.

Dans la seconde étape, il lui appartient, pour mettre le contribuable en mesure de réaliser lui-même tout ou partie des traitements qu’il a décidé d’effectuer, de l’éclairer sur la nature technique des travaux informatiques à réaliser, par exemple en extrayant des données d’un fichier recensant des ventes aux clients pour les confronter à des extractions de données figurant dans d’autres fichiers d’achats auprès des fournisseurs ou d’invendus.

Nous vous invitons donc à procéder à cette clarification de votre jurisprudence en collant au plus près de la lettre du texte de l’article L. 47 A, c’est-à-dire en vous en tenant aux mots « nature des investigations souhaitées », plutôt qu’aux mots « nature des traitements informatiques ».

Cette présentation a le mérite de s’aligner parfaitement sur la pratique et les recommandations du Service du contrôle fiscal de la DGFiP qui distingue clairement la « demande de traitement », où est précisée la « nature des investigations souhaitées » par le Service du « cahier des charges » dont le contenu doit, le cas échéant1, « mettre le contribuable en mesure de réaliser lui-même tout ou partie des traitements qu’il a décidé d’effectuer [, de] et l’éclairer sur la nature technique des travaux informatiques à réaliser ».

Mais cette simplicité relative ne doit pas tourner au simplisme.

En effet, si on peut facilement s’accorder sur l’objet de la « demande de traitement » qui doit « simplement » permettre au contribuable de choisir utilement entre les options a), b) et c) qui lui sont offertes, on ne peut ignorer que la complexité des environnements/systèmes informatiques actuels ne se satisfera bien souvent pas d’une formule elliptique telle que : « pour réaliser ces traitements, il serait nécessaire d’utiliser les données fournies par le logiciel Alliance Plus [ou au choix : SAP2 ou ORACLE ou SAGE…] » pour l’éclairer utilement dans son choix. En pratique, sans entrer dans le détail d’un « cahier des charges » dont la rédaction par le Service n’est effectivement obligatoire qu’en cas de choix par le contribuable de l’option b) du II de l’article L 47 A du LPF, et malgré la pertinence des commentaires de Monsieur le rapporteur public au plan strictement juridique, un minimum de précisions sur la « nature des traitements3 » envisagés et sur « la nature technique des travaux informatiques à réaliser » est alors nécessaire pour permettre l’identification des données pertinentes pour la réalisation des traitements et éclairer utilement le choix du contribuable parmi les 3 options.

A défaut, il n’y a pas de réel choix possible entre les 3 options.

Cette situation, d’autant plus fréquente que l’environnement technique est complexe, n’est compatible ni avec la lettre du texte, ni avec l’intention du législateur qui, depuis 1990, a décidé d’offrir au contribuable vérifié le choix des modalités pratiques de son propre contrôle informatique4.

De ce point de vue, les récentes et insistantes recommandations du Service du contrôle fiscal de la DGFiP sur la nécessité d’engager rapidement et en amont de la demande de traitement un dialogue avec le contribuable pour en envisager la faisabilité technique, doivent être saluées et encouragées.

Sauf pour des systèmes informatiques très simples, et « Alliance Plus » en est peut-être un, si malgré les encouragements de l’administration centrale, le dialogue avec le Service s’avérait infructueux, nous ne pourrions alors que recommander aux contribuables de choisir l’option b)5 afin d’obtenir du vérificateur un « cahier des charges » contenant les éléments techniques indispensables à l’identification des « données élémentaires » nécessaires à la réalisation des traitements demandés.

Enfin, on ne peut que s’étonner de l’attitude des magistrats qui, à juste titre, n’hésitent pas à désigner des experts pour les assister dans l’examen de dossiers à fort contenus techniques dans des domaines complexes tels que le droit de la santé ou de l’urbanisme mais persistent à considérer que leurs compétences intrinsèques en matière fiscale sont suffisantes pour traiter seuls les dossiers de contrôle fiscal informatisé dans lesquels les technologies de l’information ont, et auront de plus en plus, un rôle déterminant. Comprenne qui pourra !


1 Choix pour l’option b) du II de l’article L 47 A II du LPF.

2 Ce qui est peut-être suffisant pour « Alliance Plus », que nous ne connaissons pas, ne peut pas l’être pour des ERP dans lesquels plusieurs milliers de tables / fichiers sont mis en œuvre pour remplir une fonction donnée. Un minimum de précisions sur la « la nature technique des travaux informatiques à réaliser » est alors indispensable pour permettre l’identification des données pertinentes pour la réalisation des traitements.

3 Et non la seule « nature des investigations souhaitées » comme précisé au 1er alinéa du II de l’article L 47 A du LPF.

4 Ce choix a été confirmé en 2007 lorsque le même législateur a refusé d’adopter un projet de révision de l’article L 47 A II du LPF qui prévoyait de confier à l’administration, et non plus au contribuable, la liberté du choix entre les 3 options.

5 Quitte à en changer ensuite dans un délai compatible avec le déroulement du contrôle fiscal lorsque la demande a été parfaitement comprise.