Critiquer son employeur, tout n’est pas permis !

Depuis longtemps, la liberté d’expression est reconnue par les textes (i) internationaux1 , (ii) européens2 et (iii) nationaux3. S’agissant plus particulièrement de la situation du salarié, sa liberté d’expression est consacrée que ce soit dans l’entreprise4 ou en dehors de celle-ci5. Chaque salarié peut exprimer ouvertement et sans ambages son avis en tous lieux et par tous moyens qu’il juge adéquats.

L’existence d’un véritable droit de critique du salarié vis-à-vis de son employeur

Loin de subir le joug de son employeur sans dire un mot, le salarié pense, partage, communique, et parfois même « vertement » sur sa relation avec son employeur sans que cela ne soit nécessairement condamnable. L’inféodation du salarié à son employeur dans sa liberté de parole n’est que pure chimère ! Le salarié jouit d’un véritable droit de critique à l’égard de l’entreprise, et toute restriction ne peut y être apportée que si elle est « justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché ». (Article L.1121-1 du Code du travail).

Une autre limite est tout de même encore apportée : celle de l’abus de droit ; la liberté d’expression du salarié ne devant pas « dégénérer » en propos abusifs tels que notamment des propos diffamatoires, malveillants, menaçants ou excessifs même si cette dernière notion reste relativement difficile à caractériser laissant aux juges une immense liberté d’appréciation dans le cadre de contentieux.

Une certaine loyauté vis-à-vis de son employeur doit donc toujours demeurer.

Si le principe de la liberté d’expression et ses limites sont claires, il est toutefois moins aisé en pratique de les mettre en œuvre à l’heure des nouvelles techniques de communication qui ont largement banalisé la diffusion des opinions de chacun.

L’expression d’un droit sur les réseaux sociaux qui ne rime pas nécessairement pour l’employeur avec pouvoir de sanction

Favorisant ainsi le champ des possibles à la liberté d’expression – la tentation étant désormais grande de s’épancher abusivement sur Facebook, Youtube, etc. – l’utilisation des réseaux sociaux a atteint le pouvoir de l’employeur de sanctionner un salarié pour ses propos abusifs ; des propos malveillants ayant un caractère d’ordre privé ne pouvant constituer un motif de licenciement au nom de l’impunité attachée au respect des communications privées6. Selon que les propos diffusés sur les réseaux sociaux par le salarié ont un caractère public (c’est-à-dire accessibles au plus grand nombre sur un compte ouvert) ou privé (c’est-à-dire tenus dans un cercle restreint auquel ne peuvent accéder que quelques personnes qui y sont autorisées/agréées), l’employeur peut donc se trouver dans l’impossibilité de mettre en œuvre son pouvoir de sanction. La diffusion au sein d’un cercle privé de propos « inappropriés » se voit ainsi autorisée, ou du moins, peut ne pas être condamnable sur le terrain du droit du travail ! Le « salut » du salarié qui souhaite critiquer son employeur sans risque de représailles réside donc dans la publicité qu’il donne à ses propos. Il peut librement médire, pour autant que cela se passe devant un public réduit et/ou sélectionné. Le véritable enjeu pour un salarié est donc de limiter le périmètre de sa communauté.

L’existence de « mariages » pas toujours heureux entre liberté d’expression du salarié et utilisation des réseaux sociaux

La multiplication des contentieux en la matière témoigne toutefois de la difficulté à établir, en pratique, la délimitation entre la sphère privée et la sphère publique des propos tenus. Quels critères sont à prendre en compte ? Celui de la mise en place d’un paramétrage (« fermé » ou « ouvert ») du réseau social ou, indépendamment de la question du paramétrage, celui de l’étendue de la publicité des propos dans la mesure où le caractère privé ou public des propos dépend in fine de l’importance du nombre de membres accédant au réseau social du salarié ? La question se pose avec d’autant plus d’acuité que certains profils dits « fermés » peuvent regrouper plus d’une centaine de personnes, là où certains profils dits « publics » peuvent ne concerner qu’une dizaine de personnes. Quand bien même il aurait été possible de penser le contraire, la participation à un réseau social n’exclut donc pas nécessairement le caractère privé des propos.

Ainsi, la Cour de cassation a considéré que la diffusion de propos injurieux sur un compte Facebook ouvert à uniquement 14 personnes agréées par le salarié relevait d’une conversation privée qui ne pouvait constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement7.

Par une telle décision, la Cour, à la fois, ménage le respect attaché aux communications privées et sauvegarde le pouvoir de sanction de l’employeur en présence de propos litigieux ; la position aurait a priori  été différente en présence d’un plus grand nombre de personnes agréées.

Est-ce à dire in fine que tout est une question d’auditoire pour critiquer son employeur ? Il serait simpliste d’adopter une telle approche dans la mesure où des éléments tels que (i) la volonté du salarié de limiter ou, au contraire, de partager ses propos au plus grand nombre de personnes, (ii) les circonstances du litige, (iii) le caractère systématique ou par exemple outrageux des propos seront, eux aussi, nécessairement pris en compte par les juges du fond pour apprécier le bien-fondé de la sanction prononcée par l’employeur.

Loin d’une logique de « diminution » de l’office du juge qui semble parfois prévaloir à l’aune de la fixation du barème d’indemnisation du licenciement injustifié, la fonction judiciaire conserve donc, en l’occurrence, un rôle essentiel dans la détermination de lignes directrices claires et précises sur l’affirmation du droit de critique du salarié sur les réseaux sociaux.


Déclaration Universelle des Nations-Unies sur les Droits de l’Homme de 1949 ; Pacte International relatif aux Droits Civils de 1966

Article 10 de la Convention Européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme de 1950 ; Charte des Droits Fondamentaux de l’Union Européenne

Article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 ; L.2281-1 du Code du travail

Arrêt Pierre – Cass. Soc., 14 décembre 1999 : JurisData n° 1999-004469

Arrêt Clavaud – Cass. Soc., 28 avril 1988 : JurisData n° 1988-000733

Affaire Bărbulescu c. Roumanie (Requête no 61496/08) – Décision de la CEDH du 05 septembre 2017

Cass. soc., 12 septembre 2018, n° 16-11.690

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Malik Douaoui

Malik Douaoui, Avocat Associé, possède une expérience de plus de 20 ans en droit social. Il conseille ses clients dans la gestion des relations individuelles et collectives de travail ainsi […]