Cour de cassation n° 23-13.806, Docgestio, chambre sociale, 27 novembre 2024
Rappel des faits
L’affaire soumise à la Cour de cassation concernait une UES composée d’une quinzaine d’associations et sociétés œuvrant dans le secteur du maintien de personnes âgées à domicile, dans laquelle deux réorganisations ont été mises en œuvre sans consultation du CSE.
L’ensemble des associations et sociétés composant l’UES ainsi que le président du comité ont été assignés devant le président du tribunal judiciaire, en invoquant le non-respect par l’employeur de ses prérogatives d’information-consultation.
En effet, un projet de réorganisation de l’activité « portage de repas » dans une première association et un projet de réorganisation des locaux dans une seconde association avaient été mis en œuvre sans consultation préalable du comité. Sur le deuxième projet, l’arrêt de la cour d’appel statuant en matière de référé avait entièrement débouté le comité, estimant que la teneur du projet ne requérait pas une consultation du CSE.
S’agissant de la réorganisation de l’activité de portage de repas, la cour d’appel avait en revanche considéré que ce projet, qui comportait le transfert de salariés d’une association vers une des sociétés de l’UES, requérait la consultation du comité et qu’il existait donc un trouble manifestement illicite. Elle avait ordonné à l’employeur, sous astreinte, de convoquer le comité sous 40 jours pour une réunion portant sur l’information en vue d’une consultation sur ce projet de réorganisation, et de transmettre tous les documents et informations relatifs à l’opération. Elle avait toutefois débouté le comité de sa demande de paiement d’une provision sur dommages-intérêts au regard de l’atteinte portée à ses intérêts propres, estimant qu’il ne justifiait pas de l’existence d’un préjudice non sérieusement contestable.
Ayant formé un pourvoi contre l’arrêt, le CSE faisait valoir que le défaut de consultation, lorsqu’elle est obligatoire, cause nécessairement un préjudice au comité, que les juges du fond doivent réparer par l’octroi de dommages-intérêts, et que l’obligation de réparer ce préjudice n’était pas sérieusement contestable. Outre la suspension du projet et la reprise de la procédure d’information-consultation qui lui avait été accordée par les juges, le CSE exigeait donc le versement d’une provision à valoir sur des dommages-intérêts.
Rappel de la règle
L’article L. 2312-8 du Code du travail prévoit, dans son paragraphe II, la consultation du CSE par l’employeur sur les questions intéressant « l’organisation, la gestion et la marche générale de l’entreprise ». Cette formulation est déclinée en sous-thèmes tels que, notamment, les mesures de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs (1°) ou encore l’introduction de nouvelles technologies ou tout aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail (4°).
Il est en effet de jurisprudence constante de la Cour de cassation que l’absence de consultation du CSE, lorsqu’elle est légalement obligatoire, est constitutive d’un trouble manifestement illicite (Cour de cassation n° 18-10.815 F-D, Chambre sociale, 10 juillet 2019).
Lorsque l’employeur met en œuvre un projet sans respecter l’obligation d’information-consultation préalable du comité, le CSE peut saisir le juge des référés pour demander la suspension du projet, et la reprise en bonne et due forme de l’information-consultation et/ou des dommages et intérêts au titre de l’atteinte à ses prérogatives.
L’article 835 du Code de procédure civile indique que le président du tribunal judiciaire peut prescrire en référé. Dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, comme ici, il peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation, même s’il s’agit d’une obligation de faire. La Cour de cassation va donc au regard de cet article préciser que le juge des référés saisi par le CSE d’une telle situation n’est pas obligé d’accorder une provision pour dommages-intérêts au CSE. Il peut choisir de seulement « ordonner l’exécution de l’obligation », bien que cela puisse sembler sévère à l’égard de la pratique qui était d’octroyer une provision même symbolique au CSE, dans une telle situation.
Décision
La Cour de cassation va ainsi, dans cet arrêt préciser les pouvoirs du juge des référés, saisi par le comité d’une telle situation. Le juge des référés n’est pas obligé d’accorder une provision pour dommages-intérêts présentée par le CSE.
La Cour de cassation décide ainsi que, lorsque le juge des référés, après avoir constaté un défaut de consultation du CSE ordonne à l’employeur de procéder à la consultation requise et de convoquer le CSE dans un certain délai sous astreinte en lui communiquant les informations requises et, le cas échéant, ordonne la suspension de la mesure en cause ou lui fait interdiction de la mettre en œuvre tant que la consultation n’a pas été menée, il procède à une remise en état pour faire cesser le trouble manifestement illicite.
Cela constitue une mesure appropriée au sens de l’article 8, § 1 de la directive 2002/14 du 11 mars 2002 sur l’information et la consultation des travailleurs qui impose aux États de prévoir des mesures appropriées en cas de non-respect de la directive par l’employeur ou les représentants des travailleurs, en particulier par l’existence de procédures administratives ou judiciaires appropriées pour faire respecter les obligations du texte.
Pour éviter des situations similaires, il est essentiel que l’employeur respecte scrupuleusement son obligation d’information et de consultation du CSE et qu’il s’assure de bien documenter et communiquer tous les projets susceptibles d’une telle consultation. Une bonne communication avec le CSE permet non seulement de prévenir les conflits, mais également de participer à une gestion transparente et participative des réorganisations et des projets d’entreprise.