Le décret relatif à la « clause-filet » en matière d’évaluation environnementale a été publié en date du 25 mars 2022 (décret n°2022-422 du 25 mars 2022 relatif à l’évaluation environnementale des projets). À la manière d’un filet à fine maille, ce texte cherche à neutraliser l’effet de seuil qui permet à certains projets d’échapper à toute évaluation environnementale. Ce texte était très attendu car il met en place un dispositif d’évaluation environnementale des projets susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement et la santé humaine mais demeure en deçà des seuils de nomenclature annexée à l’article R.122-2 du code de l’environnement.
Petit rappel sur l’évaluation environnementale et la notion de « clause filet » :
Aux termes de l’article L.122-1 (alinéa 1 et 2) du code de l’environnement, les projets qui, par leur nature, leur dimension ou leur localisation, sont susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement ou la santé humaine font l’objet d’une évaluation environnementale en fonction de critères et de seuils définis par voie réglementaire et, pour certains d’entre eux, après un examen au cas par cas effectué par l’autorité environnementale.
Pour la fixation par décret de ces critères et seuils, et pour la détermination des projets relevant d’un examen au cas par cas, il est tenu compte des données mentionnées à l’annexe III de la directive 2011/92/UE modifiée du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement.
Ces projets étaient ainsi jusqu’alors susceptibles de relever de trois catégories :
- ceux soumis à évaluation environnementale de manière systématique (projets énumérés à l’annexe I de la directive n° 2011/92/UE du 13 décembre 2011 et à l’annexe de l’article R.122-2 du code de l’environnement (1re colonne),
- les projets soumis à évaluation environnementale à la suite d’un examen au cas par cas (projets énumérés à l’annexe II de de la directive n° 2011/92/UE du 13 décembre 2011 et à l’annexe de l’article R.122-2 du code de l’environnement (2e colonne),
- et enfin ceux ne relevant d’aucune des deux catégories précitées, échappant ainsi à toute évaluation environnementale.
Genèse du décret
Par un arrêt n°425424 du 15 avril 2021, le Conseil d’Etat a notamment estimé qu’en ne prévoyant pas de soumettre à une évaluation environnementale, lorsque cela apparaît nécessaire, des projets qui, bien que se trouvant en-deçà des seuils qu’il fixe, sont susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement ou la santé humaine en raison notamment de leur localisation, le décret attaqué méconnaissait les objectifs de la directive précitée du 13 décembre 2011.
Il a ainsi prononcé l’annulation du décret n°2018-435 du 4 juin 2018 (qui avait modifié les catégories/seuils de projets relevant d’une évaluation environnementale) « en tant qu’il exclut certains projets de toute évaluation environnementale sur le seul critère de leur dimension, sans comporter de dispositions permettant de soumettre à une évaluation environnementale des projets qui, en raison d’autres caractéristiques telles que leur localisation, sont susceptibles d’avoir une incidence notable sur l’environnement ou la santé humaine» et a enjoint au Premier ministre de prendre des dispositions réglementaires afin qu’un projet, lorsqu’il apparaît qu’il est susceptible d’avoir une incidence notable sur l’environnement ou la santé humaine pour d’autres caractéristiques que sa dimension, notamment sa localisation, puisse être soumis à une évaluation environnementale.
Contenu du décret
Le décret crée ainsi un nouvel article R. 122-2-1 du code de l’environnement qui prévoit que l’autorité compétente soumet à l’examen au cas par cas tout projet, y compris de modification ou d’extension, situé en deçà des seuils fixés à l’annexe de l’article R. 122-2 et dont elle est la première saisie, que ce soit dans le cadre d’une procédure d’autorisation ou d’une déclaration, lorsque ce projet lui apparaît susceptible d’avoir des incidences notables sur l’environnement ou la santé humaine au regard des critères énumérés à l’annexe de l’article R. 122-3-1.
Le porteur du projet doit désormais suivre l’une des trois étapes suivantes :
- L’autorité compétente pour la première demande d’autorisation ou déclaration déposée relative au projet informe le maître d’ouvrage de sa décision motivée de soumettre le projet à un examen au cas par cas, au plus tard quinze jours à compter du dépôt du dossier de cette demande ou déclaration;
- Dans l’hypothèse où le projet serait effectivement soumis à un examen au cas par cas, le maître d’ouvrage saisit l’autorité compétente dans les conditions existantes pour les projets relevant d’un examen au cas par cas (articles R. 122-3 et R. 122-3-1 du code de l’environnement);
- Le maître d’ouvrage peut, de sa propre initiative, saisir l’autorité compétentedans les conditions prévues pour les projets relevant d’un examen au cas par cas de tout projet situé en deçà des seuils prévus par le code de l’environnement.
Le décret prévoit également l’articulation de cette clause filet (et l’éventuelle prescription d’une évaluation environnementale) avec le code de l’environnement (autorisation environnementale, déclaration), le code forestier, le code général de la propriété des personnes publiques, le code rural et le code de l’urbanisme.
Les conséquences pratiques de l’entrée en vigueur du décret
Les dispositions du décret sont applicables aux premières demandes d’autorisation ou déclarations d’un projet déposées à compter du 26 mars 2022.
Le porteur du projet devra donc désormais toujours s’interroger préalablement sur l’éventuelle incidence de son projet sur l’environnement, au regard des critères établis par la directive n° 2011/92/UE du 13 décembre 2011 repris à l’article R.122-3-1 du code de l’environnement (caractéristiques, localisation, impact du projet, sans se limiter au seul critère de la dimension), afin d’anticiper la réalisation d’une évaluation environnementale. Cette interrogation est de mise, quand bien même le projet se situerait en deçà des seuils prévus à l’annexe de l’article R. 122-2 du code de l’environnement.
Certains points restent toutefois en suspens.
Le décret ne précise pas si le silence de l’autorité compétente dans le délai de quinze jours pour décider de mettre en œuvre la clause-filet vaut obligation pour le porteur du projet de déposer un dossier de demande d’examen au cas par cas ou si au contraire l’absence de réponse marque la reprise de l’instruction de l’autorisation.
En l’absence de précision du texte, il convient d’appliquer le principe du « silence vaut acceptation » ; ce qui signifierait ici la reprise de l’instruction. Néanmoins, l’Autorité environnementale du Cgedd dans son avis du 10 février 2022 sur le projet de décret a indiqué « en cohérence avec l’interprétation constante de la directive, un silence ne peut valoir exonération, car le silence ne permet pas de vérifier que l’examen a bien été réellement mené. ». Le doute est donc permis.
De plus, la brièveté de ce délai interroge sur la réalité de l’analyse que sera en mesure de faire l’administration concernée, compte tenu des moyens et des compétences nécessaires à cet effet.
Il conviendra ainsi de suivre les commentaires et précisions éventuelles qui pourront être apportées à ce dispositif.