La CAA de Paris juge que la valorisation initiale excessive d’un actif amortissable intervenue plus de 7 ans avant l’ouverture du premier exercice non prescrit, se traduisant par des dotations aux amortissements erronées, constitue une erreur susceptible de bénéficier du « droit à l’oubli » et de contourner la règle d’intangibilité du bilan d’ouverture du 1er exercice non prescrit.
Rappel
On sait que la règle de l’intangibilité du bilan d’ouverture du premier exercice non prescrit (CGI, art. 38, 4 bis) a pour effet de limiter la portée de la correction symétrique des bilans et de permettre ainsi au service vérificateur de procéder à des rehaussements de bénéfices au titre du premier exercice non prescrit à raison d’erreurs qui peuvent avoir été commises au cours d’un exercice prescrit.
Ce principe comporte toutefois des limites. En particulier, il ne s’applique notamment pas lorsque l’entreprise établit que les erreurs ou omissions à l’origine de l’insuffisance d’actif net ont été commises plus de 7 ans avant l’ouverture du premier exercice non prescrit, soit depuis plus de 10 ans, si l’on ajoute les 3 ans couverts par la prescription abrégée en matière d’impôt sur les sociétés (exception dite du « droit à l’oubli »).
Le Conseil d’Etat a, à cet égard, opéré une distinction claire, entre, d’une part, les erreurs ou omissions commises depuis plus de 10 ans qui affectent l’évaluation d’un élément toujours inscrit au bilan de l’entreprise au jour de son contrôle et, d’autre part, celles qui relèvent de l’application répétée d’une méthode erronée et qui se traduisent par une évaluation incorrecte d’un même poste de bilan, de manière constante d’exercice en exercice, selon un principe identique, mais pour des montants variant en fonction de la composition effective de ce poste (avis du 17 mai 2006, n°288511, SA Catimini).
Cette exception, qui ne joue pas pour les erreurs volontaires exclusives de bonne foi (CE (na) 25 juillet 2013, n°365679), s’exerce aussi bien lorsque l’erreur affecte un élément de l’actif que du passif du bilan.
Enfin, le Conseil d’Etat a, plus récemment, précisé qu’une erreur affectant de manière constante un élément de l’actif ou du passif, même reconduite de bilan en bilan, n’est pas constitutive d’une erreur récurrente interdisant de revendiquer le bénéfice du droit à l’oubli, dès lors que l’inscription initiale erronée n’a pas fait, et ne devait pas faire, comptablement, l’objet d’un réexamen depuis cette date (CE, 24 janvier 2018, n°397732, SARL Bar du Centre).
Le principe d’intangibilité du bilan d’ouverture ne s’applique pas non plus lorsque l’entreprise a, en période prescrite, pratiqué des amortissements excessifs au regard des usages ou passé en charges des dépenses qui auraient dû venir en augmentation de l’actif immobilisé.
L’histoire
En 2005, une société a acquis un ensemble immobilier (construction et terrain) et l’a amorti sur la base du prix d’achat global, sans valorisation de l’assiette du terrain qui ne pouvait donner lieu à amortissement.
A l’issue d’une vérification de comptabilité portant sur les exercices 2014 et 2015, l’Administration a remis en cause les amortissements pratiqués par la société, au motif que la société n’avait pratiqué aucune ventilation entre construction et terrain et que, de la sorte, la quote-part des amortissements se rapportant au terrain était non déductible.
La société a alors demandé à bénéficier du droit à l’oubli (et donc de la correction du 1er exercice non prescrit) pour les amortissements dotés au cours des exercices prescrits en arguant que la valorisation initiale excessive de l’actif amortissable résultait d’une erreur commise dès l’origine (en 2005), soit depuis plus de 10 ans.
La décision de la CAA de Paris
La Cour juge que les conditions d’invocabilité du droit à l’oubli étaient bien remplies en l’espèce, en déclinant les critères élaborés au fil des années par la jurisprudence du Conseil d’Etat.
Elle relève, à cet égard que :
- La valorisation initiale excessive de l’actif amortissable résultait bien d’une erreur commise dès l’origine et depuis plus de 10 ans ;
- Que celle-ci avait été constamment reprise dans le bilan de chaque exercice, entraînant une sous-évaluation systématique de l’actif net ;
- Cette erreur ne présentait pas un caractère délibéré.
Enfin, elle indique que cette erreur, qui est unique, ne constitue pas une erreur entachant la méthode d’amortissement qui aurait dû, chaque année, faire l’objet d’un réexamen comptable. Elle admet, en conséquence, l’application du droit à l’oubli – et donc du droit à bénéficier d’une correction du bilan d’ouverture du 1er exercice non prescrit.