Selon le Conseil d’Etat, la mise à disposition gratuite, à titre de résidence principale, de biens immobiliers aux parents d’un associé d’une LLC ne caractérise pas, par elle-même, une activité lucrative permettant de l’assujettir à l’IS en France.
Rappel
Le juge de l’impôt a dégagé une grille d’analyse applicable aux personnes morales étrangères propriétaires d’immeubles en France, pour l’application des dispositions de l’article 206 du CGI.
Sur cette base, le juge de l’impôt identifie, au regard de l’ensemble des caractéristiques de cette société et du droit qui en régit la constitution et le fonctionnement, le type de société de droit français auquel la société de droit étranger est assimilable afin de déterminer le régime applicable à l’opération par la loi fiscale française (méthode dite de « l’assimilation », élaborée par le Conseil d’État dans sa décision du 24 novembre 2014, n°363556, Sté Artémis, assimilation d’un « General Partnership » constitué au Delaware à une société de personnes française).
Plus récemment, le Conseil d’Etat a précisé que, pour déterminer si une société de droit étranger est assimilable à une société par actions de droit français, le juge de l’impôt n’a pas à tenir compte de l’objet de cette société, un tel critère n’étant pas au nombre des caractéristiques définissant ce type de sociétés (solution dégagée par le Conseil d’État dans une décision relative à une société de droit suisse, CE, 22 juillet 2022, n°444942, Sté Phoenix Union Co).
Si les caractéristiques de la personne morale ne permettent pas de l’assimiler à une société française de capitaux, alors l’assujettissement à l’IS n’est possible que si la société étrangère se livre à une exploitation lucrative (voir notamment, CE, 24 mai 2006, n°278737, Sté Immobilière Saint-Charles, CE, 27 janvier 2013, n°354994, Ets Poudix, plus récemment, CE, 2 avril 2021, n°427880, Sté World Investment Corporation).
A cet égard, le Conseil d’Etat a pu juger qu’un objet social lucratif crée une présomption de lucrativité de l’activité, qui peut toutefois être renversée lorsque la mise à disposition du bien n’est pas motivée par un but lucratif (voir notamment, CE, 16 janvier 1990, n°64211, min. c/ Fondation « Arts et Industries »).
En revanche, le fait, pour une personne morale qui ne serait pas, pour un autre motif, passible de l’IS, de mettre gratuitement un élément de son actif à la disposition de son actionnaire ne constitue pas, par lui-même, une activité lucrative (voir notamment, CE, 24 mai 2006, n°278737, Sté Immobilière Saint-Charles).
L’histoire
Une société de droit américain constituée sous la forme d’une Limited Liability Company (LLC) possède pour seuls actifs deux biens immobiliers situés en France.
Ces deux biens immobiliers sont mis à la disposition, gratuitement, des parents de l’un de ses associés. Les parents occupent l’un des deux biens et mettent le second à la disposition de leur salarié, à titre de logement de fonction.
A l’issue d’un contrôle fiscal portant sur les exercices 2011 et 2012, l’Administration a estimé que la LLC était passible de l’IS en France et l’a imposée à raison du montant des loyers qu’elle avait renoncé à percevoir.
La CAA de Marseille a confirmé le redressement en considérant que même si la LLC n’était pas assimilable à une société de droit français passible de l’IS, elle s’était néanmoins livrée à une exploitation lucrative. Pour ce faire, la CAA s’est fondée sur 2 éléments : l’objet social de la société et le fait qu’un des biens immobiliers soit mis à disposition de tiers.
Devant le Conseil d’Etat, le débat s’est essentiellement cristallisé sur le point de savoir s’il est possible de considérer que la société exerçait une activité lucrative susceptible d’entraîner son assujettissement à l’IS en France.
La décision
Le Conseil d’Etat confirme tout d’abord que la LLC ne pouvait pas, au regard de l’ensemble de ses caractéristiques et du droit qui en régit la constitution et le fonctionnement, être assimilée à l’un des types de sociétés de droit français passibles de l’IS.
Puis, il se livre à l’examen du second critère de l’exploitation lucrative.
Il juge, à cet effet, que la mise à disposition gratuite par une société de biens immobiliers aux parents de son associé à titre de résidence principale ne saurait caractériser, par elle-même, une activité lucrative au sens de l’article 206 du CGI.
Ni la circonstance que l’objet social de la société inclut notamment l’achat, la location et la revente de biens immobiliers, ni celle que les parents de l’associé mettent à leur tour à la disposition de leur salarié, à titre d’avantage en nature, une partie des biens en cause, ne permettent davantage de regarder la société comme se livrant à une activité lucrative.
La rapporteure publique, Karin Ciavaldini, souligne dans ses conclusions sous l’arrêt qu’« un objet social lucratif crée une présomption que l’activité est lucrative mais celle-ci peut être remise en cause s’il apparaît que la mise à disposition du bien n’est pas motivée par la recherche d’un profit indirect, ce qui est a priori le cas lorsqu’elle procède d’une logique interne à l’entreprise (salariés, associés, dirigeants) ou d’une logique familiale ».
Elle suggérait ainsi au Conseil d’Etat de s’éloigner de l’approche formaliste retenue par la CAA, s’attachant à l’objet social et s’éloignant de l’activité réellement exercée par la société.