Maîtriser le risque fiscal dans toutes ses dimensions : le nouvel enjeu des CFO des filiales françaises de groupes internationaux

Cet article est reproduit ici avec accord de l’éditeur, EACC France.

Pour retrouver l’article original, cliquez ici

Les grandes multinationales américaines ont probablement plus (et plus tôt) que d’autres su intégrer les avantages d’une bonne gestion des règles fiscales pour améliorer la performance financière et commerciale de leurs entreprises.

En parallèle, notre écosystème fiscal a connu de profonds bouleversements ces dernières années, avec une demande de « responsabilité » croissante des entreprises. Outre les modifications législatives annuelles au gré des lois de finances des exigences nouvelles en matière de transparence fiscale ont vu le jour, sous l’influence des initiatives déployées par l’OCDE (plan « BEPS » en particulier) et relayées par la Commission européenne.

Tandis que les entreprises font preuve d’une sophistication croissante dans le déploiement de leur stratégie fiscale, les contrôles fiscaux se sont durcis, les moyens dont dispose l’administration fiscale se sont étoffés, et les sanctions se sont renforcées.

Surtout, le droit fiscal s’est significativement pénalisé, notamment à la suite de l’adoption de la loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude : transmission automatique au parquet de certains dossiers en vue d’éventuelles poursuites pénales (suppression du « verrou de Bercy »), pratique du « name and shame » (publication des sanctions fiscales appliquées à l’encontre des personnes morales ayant commis des infractions graves), création d’une amende à la charge des professionnels du droit proposant à leurs clients des montages frauduleux, durcissement significatif des sanctions pénales encourues en cas de fraude fiscale, etc.

En parallèle, on assiste à une prise de conscience citoyenne, se traduisant par des exigences renforcées en matière de transparence, mais aussi de moralisation et d’exemplarité des entreprises, lesquelles entendent se garder de tout risque réputationnel.

Les grandes multinationales américaines se retrouvent, au même titre que leurs pairs, en première ligne face à ce changement des règles du jeu et la fiscalité n’est plus seulement l’affaire des conseils fiscaux et de la direction fiscale, mais également de la direction financière et plus largement de toute la direction générale de l’entreprise qui représente le groupe en France.

En pratique

Les contrôles fiscaux des grands groupes internationaux se sont incontestablement durcis, l’Administration disposant de moyens renforcés et diversifiés.

En témoigne notamment la création d’un service d’enquêtes judiciaires des finances (SEJF), dirigé par un magistrat de l’ordre judiciaire et constitué d’agents des douanes et d’agents des services fiscaux, spécialement habilités à exercer des missions de police judiciaire (pouvoirs de perquisition, de géolocalisation, de mise sous écoute, etc.), qui coexiste désormais avec la Brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF).

La transmission d’informations entre le Parquet et l’administration fiscale a également été étoffée, l’autorité judiciaire devant à présent informer l’administration fiscale lorsqu’elle suspecte une fraude fiscale.

Autres éléments à prendre en compte, la digitalisation du contrôle fiscal (et le recours par l’Administration à des experts informatiques), ainsi que la multiplication des données devant être fournies par les entreprises à l’Administration : déclaration pays par pays (CbCR), déclaration des dispositifs transfrontières par les intermédiaires fiscaux (DAC 6), déclaration spécifique pesant sur les opérateurs de plateforme (DAC 7) ou encore la nouvelle proposition de directive européenne « ATAD 3 » qui vise les structures dépourvues d’une substance « physique » minimum.

A côté de ces outils de droit interne, l’administration fiscale dispose également de moyens pour se procurer auprès de l’IRS et des autres administrations étrangères des informations relatives aux transactions internationales effectuées par les contribuables français, tels que les mécanismes d’échanges de renseignements entre administrations étrangères (sur demande, spontanés ou automatiques, selon les cas) et les contrôles fiscaux simultanés, fondés sur des conventions fiscales internationales et des directives européennes.

En pratique, les redressements visent tout particulièrement la politique prix de transfert des groupes, les transactions internationales et la fiscalité de la R&D, l’Administration faisant, de surcroît, plus facilement application des pénalités de 40 % qui ouvrent désormais la porte à un possible volet pénal.

Quelles solutions ?

Dans ce contexte, il est plus que jamais nécessaire de veiller à la mise en place de bonnes pratiques ainsi que d’une véritable gouvernance fiscale au sein de l’entreprise.

Ainsi, les entreprises auront tout intérêt à privilégier des modes alternatifs de règlement des différends (recours à la procédure amiable en matière de prix de transfert notamment).

Mais, avant même tout contrôle, elles doivent agir en amont. Elles peuvent, par exemple, recourir à la procédure d’accord préalable en matière de prix de transfert, aux fins d’obtenir de l’administration fiscale un accord sur la méthode de détermination des prix de transfert qui s’appliquera à leurs transactions intra-groupes futures.

Surtout, elles peuvent étudier les (nombreuses) options mises à leur disposition par la loi « ESSOC » du 10 août 2018 et la nouvelle relation de confiance présentée le 14 mars 2019 : examen de conformité fiscale, « garantie fiscale », « rescrit-contrôle », démarche spontanée de mise en conformité et, tout particulièrement, le dispositif de partenariat fiscal pour les ETI et les grandes entreprises.

Ce dernier mécanisme est très inspiré du « horizontal monitoring » néerlandais, reposant sur la confiance, la compréhension mutuelle et la transparence entre le contribuable et l’administration fiscale, et promu par l’OCDE depuis 2008 (publication de différentes études autour des concepts de « enhanced relationship » et de « co-operative compliance »). En France, il a donné lieu à une première expérimentation en 2013, qui ne s’est avérée que partiellement concluante, puisque, de l’aveu de l’administration fiscale elle-même, ce dispositif avait vocation à apporter aux entreprises une « sécurité juridique parfaite », les agents de l’Administration devant valider l’intégralité des liasses déposées par les entreprises, de sorte que celles-ci ont pu avoir un sentiment de « contrôle fiscal continu ».

Le nouveau partenariat fiscal, plus souple, vise à offrir aux entreprises partenaires la possibilité de nouer des échanges et une relation suivie dans le temps avec l’Administration et d’aborder de manière conjointe les problématiques que rencontre l’entreprise. Dans ce cadre, l’entreprise pourra se voir délivrer des rescrits, lui permettant de sécuriser ses opérations et activités complexes susceptibles d’être considérées à risque.

Le partenariat fiscal est donc tout particulièrement intéressant en présence de forts enjeux, de nouveautés législatives, mais également dans une optique de « gain de temps ».

A l’automne 2021, plus de 46 groupes partenaires (environ 2500 sociétés), majoritairement français, avaient d’ores et déjà conclu un contrat de partenariat. Mais ce programme ne sera un vrai succès que s’il attire également de grandes multinationales étrangères, ce que l’avenir devra confirmer.

Thomas Perrin

Thomas Perrin rejoint Deloitte Société d’Avocats en 2002. Il est avocat au barreau des Hauts de Seine, associé, spécialisé en fiscalité internationale et a pris part à de nombreuses missions […]