Deloitte Société d’Avocats s’est associé à l’Institut Choiseul, centre de recherche indépendant dédié à l’analyse des grandes questions stratégiques internationales, afin de publier une note s’inscrivant dans le cadre des réflexions menées au sein du Pôle de Prospective Fiscale sur le financement de l’économie.
Cette note n’a d’autre ambition que de déplacer le débat fiscal du passionnel vers le rationnel, du conflit vers la construction, de proposer des pistes concrètes pour réconcilier la fiscalité avec le monde tel qu’il est, de tirer parti de la globalisation plutôt que de la subir.
Contrairement à une opinion couramment répandue, les États sont régulièrement en situation de faillite. La première occurrence historique revient à la France, en 1307, qui aboutira à la dissolution de l’ordre des Templiers dont l’écho romanesque occultera la situation économique désastreuse du royaume à cette époque et les révoltes fiscales qui le traversèrent. La Grèce doit faire appel à l’aide financière étrangère en 1897, déjà. Sans oublier, plus près de nous, l’Argentine en 2001 ou l’Islande en 2008. À chaque fois, l’obsolescence de la politique fiscale au regard de l’économie qu’elle est censée taxer représente l’une des causes profondes de ces défauts souverains, souvent source de drames humains.
Parce qu’elle n’est plus en phase avec le monde économique réel, la fiscalité est de moins en moins rentable pour les puissances publiques. L’absence de croissance de certains pays occidentaux et l’inflation de leurs dépenses publiques sont évidemment les causes des déficits publics, mais pas les seules. Les entreprises sont confrontées à des horizons que se sont considérablement élargis et leurs stratégies reposent sur des marchés internationaux. Opportunités et menaces sont désormais planétaires. Comment appréhender des acteurs économiques dont l’essentiel de la richesse est créé hors de leur État d’origine ? Où payer l’impôt ? Qui en bénéficie ? Le monde a changé, la fiscalité conçue pour un monde fermé doit être réinventée.
Tous les pays occidentaux, les anciens pays développés, font face à cette situation. Mais ils y répondent de manière diverse. Les États-Unis, dont la Californie et l’Illinois ont presque suspendu leurs paiements en 2011, font primer la modernisation de leur économie et la conquête de parts de marché dans les régions émergentes. La seule idée qui fasse consensus actuellement aux États-Unis est que la fiscalité ne doit pas nuire à la compétitivité, question largement tabou en Europe continentale, à la notable exception de l’Allemagne. Le débat fiscal américain pose la question de l’adaptation de la fiscalité au monde moderne. La France et une partie des pays européens se situent à l’opposé de la logique de compétitivité. Notre débat fiscal ne porte pas sur l’adaptation de l’impôt au monde du XXIe siècle mais plutôt sur la façon de protéger la fiscalité des mutations historiques.
Comment bâtir une forteresse qui garantisse l’efficience d’une souveraineté fiscale dans un monde ouvert ? Comment conserver une fiscalité nationale unique dans un marché intégré avec une devise commune ? Ce complexe du château-fort tend inévitablement à une logique répressive afin de prélever plus sur une base réduite, logique qui aboutit à la contraction du nombre des opérateurs présents sur le sol national et à la chute de leur rentabilité. Les recettes publiques baissent encore alimentant une nouvelle vague de répression jusqu’au point de non-retour.
Parce que notre fiscalité n’est plus en phase avec le monde moderne, les tensions sociales autour de l’impôt atteignent des niveaux inquiétants, à l’instar des déficits publics. Nous nous réfugions dans la recherche de boucs émissaires : entreprises internationales, particuliers suffisamment aisés pour payer l’impôt… Au point d’aboutir à un message dont l’absurdité aurait plu à Alfred Jarry : si nous manquons d’impôt c’est de la faute de ceux qui le payent !
Comment sortir de cette spirale destructrice ? En partant des mutations économiques de ce début de siècle pour bâtir une fiscalité d’avenir plutôt que de se réfugier dans une fiscalité musée, vestige d’une époque disparue avec la chute du mur de Berlin.
Au début du XXe siècle, un premier équilibre, fortement empreint des puissances économiques d’alors, avait été trouvé avec la création du droit fiscal international, au bénéfice des « États colonisateurs ». La mondialisation des échanges et l’émergence de nouvelles puissances économiques a bouleversé l’équilibre des forces économiques et politiques, a redistribué les cartes de la fiscalité, lançant une nouvelle ère, celle de la géopolitique fiscale où chaque État s’attache à taxer chez lui la plus grande part du commerce mondial, que ce soit par l’attractivité ou par la répression.
L’harmonisation fiscale internationale naissante du XXe siècle cède la place à un chacun pour soi universel. Nous vivons aujourd’hui dans un monde sans règle fiscale internationale efficace qui transforme tout investissement international en une prise de risque majeur particulièrement préjudiciable pour les entreprises françaises.
Dans un écosystème fiscal incohérent, voire conflictuel, l’obligation d’optimiser s’est imposée aux entreprises mais aussi aux particuliers. Loin de détourner les règles, cette optimisation fiscale cherche surtout à limiter les risques internationaux et à préserver sa compétitivité au sein de marchés mondialisés où aucune entreprise ne peut se permettre de payer nettement plus d’impôt que ses concurrents, où aucun particulier ne peut accepter de disposer d’un revenu disponible nettement inférieur à son voisin qui pourtant vit dans la même communauté européenne.
Presque malgré elle, la fiscalité a dû dépasser les sphères techniques pour devenir un enjeu stratégique pour les entreprises, tant elle est devenue un avantage ou un handicap concurrentiel. De même, elle influe les choix de vie des particuliers nomades ou sédentaires.
Au-delà des constats et d’exemples autour de la fiscalité actuelle, cette « Note Stratégique » s’attache à offrir des solutions concrètes pour remplacer l’impôt sanction par un impôt productif. Plus que la justice fiscale, notion éminemment fluctuante, c’est la rentabilité de l’impôt qui doit être au cœur de la refonte du système fiscal. Plus qu’être subi, l’impôt doit être consenti et sécurisé. Plus que l’expression d’une souveraineté nationale isolée et défensive, l’impôt doit s’insérer dans une recherche de compétitivité.
Oui, la fiscalité peut être un outil de compétitivité, la fiscalité peut être un outil de croissance, la fiscalité peut être lisible, mais pour cela, elle doit être repensée. Une seule chose est certaine : nous ne ferons pas l’économie d’un nouveau contrat fiscal.